« West Side Story », de Leonard Bernstein à Metallica, en passant par Spielberg
Cette faculté à "traverser les âges" de la musique n'étonne pas Laurent Valière, journaliste et producteur qui propose sur France Musique un podcast, "La story de West Side Story"
La partition de Leonard Bernstein pour « West Side Story » est passée à la postérité grâce au film tiré de la comédie musicale : ses mélodies se retrouvent même chez Metallica ou encore le Wu-Tang Clan.
Broadway a accueilli pour la première fois la comédie musicale en 1957, avant que le 7e art ne s’en empare en 1961 devant la caméra de Robert Wise. Trente ans après le long-métrage, Metallica, groupe phare du metal, sort son légendaire « Black Album ». Surprise, une des chansons, « Don’t Tread On Me », commence par citer « America », un incontournable de « West Side Story ».
Toujours au rayon grosses guitares, Alice Cooper, une des figures du hard-rock, reprend le thème musical des Jets, une des bandes rivales de « West Side Story », dans son « Gutter Cat vs The Jets » en 1972. L’emprunt sera plus subtil, avec des samples diffus, mais le titre, « Maria », ne laisse pas de doute: le Wu-Tang Clan, collectif mythique du rap, rend bien hommage à Bernstein dans ce morceau en 1997.
Cette faculté à « traverser les âges » n’étonne pas Laurent Valière, journaliste et producteur qui propose sur France Musique le podcast en dix épisodes « La story de West Side Story » (à partir du 8 décembre, date de la sortie du remake de Steven Spielberg).
Comme le rappelle ce spécialiste, Bernstein (décédé en 1990) se rend compte de l’intemporalité de son œuvre en la dirigeant lui-même pour la première fois dans les années 1980 à la demande de la prestigieuse maison de disques Deutsche Grammophon.
Passeur
Jusqu’ici il avait juste composé la musique de la comédie musicale, mais en avait laissé la direction à d’autres. Son emploi du temps étant bondé entre ses divers projets à Broadway et sa nomination à la tête de l’orchestre philharmonique de New York.
« Dans le documentaire filmé autour de cet enregistrement, on l’entend dire ‘c’est très intéressant, c’est une musique des année 1950, je pensais qu’elle avait mal vieillie, mais en la dirigeant 30 ans plus tard, non, pas du tout' », relate pour l’AFP Laurent Valière.
Pour cet expert, la musique de « West Side Story » est « un standard, qui a transcendé la musique classique, avec des apports jazz, be-bop et rythmes latinos ». Bernstein, toujours ramené à cette œuvre à cause du succès du film (10 Oscars), finira par dire à longueurs d’interviews « qu’il en avait marre et qu’il n’avait pas fait que ça dans sa carrière », comme le rapporte Laurent Valière.
Le succès de la musique de la comédie musicale puis du film tient dans la démarche même de son créateur, pédagogue et passeur.
« Bernstein était un monstre de télé, il y racontait dans une émission la musique classique en passant par les standards de jazz et de variété, il décloisonnait tout, il voulait du contemporain pour ‘West Side Story’, pas de l’opéra », dissèque encore l’homme de radio.
Mambo
Comme le dépeint Laurent Valière, l’alignement des planètes se produit quand les créateurs de la comédie musicale – Bernstein et Arthur Laurents, auteur du livret – sont autour d’une piscine à Hollywood. Ils tombent sur un journal de Los Angeles qui parle de guerre des gangs. C’est la révélation alors qu’ils cherchent à moderniser « Roméo et Juliette » de Shakespeare.
Les railleries racistes dont sont la cible les Sharks, immigrés portoricains opposés aux Jets, trouvent un écho dans le parcours de Bernstein, Juif qui a essuyé plus jeune des quolibets antisémites. La présence de protagonistes portoricains lui permet aussi de recycler les rythmes latinos dont il raffole. « Et c’est comme ça qu’un mambo se retrouve dans ‘West Side Story' », détaille Laurent Valière, qui conclut : « Bernstein est hyper-contemporain. »
« Dans la musique classique, il est vénéré, presque désespérément, comme le grand communicateur, celui qui a poussé le répertoire symphonique dans la conversation de tous », a parfaitement résumé un jour le célèbre critique musical Alex Ross dans The New Yorker.