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Explications

Yovav Gavish : La pandémie va écraser les pays en voie de développement

Les pays les plus pauvres sont durement touchés par l'effondrement du prix des matières premières, la baisse des transferts d'argent et la hausse de leur dette

Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

Des membres d'une ONG financée par le privé travaillent avec des officiels de quartier pour désinfecter une une rue dans le bidonville de Nairobi, au Kenya, le 9 avril 2020. (AP/Brian Inganga)
Des membres d'une ONG financée par le privé travaillent avec des officiels de quartier pour désinfecter une une rue dans le bidonville de Nairobi, au Kenya, le 9 avril 2020. (AP/Brian Inganga)

La pandémie de coronavirus a fait des ravages dans les économies développées, mais ces dommages sont minimes par rapport à ce qui se prépare dans les pays en voie de développement, et les retombées de cette situation se ressentiront dans le monde entier, a affirmé le représentant d’Israël à la Banque mondiale.

Le lourd tribut que la maladie fera payer à la santé et à l’économie des pays en développement, qu’il s’agisse des centaines de millions d’enfants non scolarisés ou des chaînes d’approvisionnement mondiales brisées, aura également des conséquences désastreuses sur les grandes économies, a déclaré Yovav Gavish au Times of Israël dans une récente interview.

« Les gens ne mesurent pas aujourd’hui l’ampleur de la crise économique, elle est plus importante que ce que tout le monde peut penser », a-t-il averti. « Cela va davantage s’apparenter à la Grande Dépression et à la Seconde Guerre mondiale qu’à la crise financière [de 2008] ».

« Cela va toucher tout le monde », a-t-il assuré.

Les projecteurs ont été braqués sur les pays qui ont été touchés en premier par l’épidémie – la Chine, l’Italie, l’Espagne, les États-Unis – mais la contagion a été plus lente à s’étendre aux pays les plus pauvres.

Les raisons de ce retard ne sont pas totalement comprises, mais pourraient être liées à la diminution des déplacements vers et dans les pays en développement, ainsi qu’au réchauffement saisonnier dans l’hémisphère sud, qui pourrait entraver la propagation du virus. La diminution du nombre de tests et la faiblesse des infrastructures médicales pourraient également masquer l’étendue de l’épidémie.

Le township Alexandra de Johannesburg en Afrique du Sud, le 15 avril 2020. (AP/Jerome Delay)

Le virus semble toutefois s’être installé dans l’ensemble du monde en voie développement, avec des cas confirmés dans presque tous les pays d’Afrique subsaharienne, qui sera probablement la région la plus durement touchée.

La propagation de la pandémie et ses conséquences seront plus prononcées dans les régions en développement, a indiqué Yovav Gavish, qui siège au conseil d’administration de la banque, où il s’occupe des projets internationaux et des questions bancaires liées à Israël, notamment les investissements et les efforts de coopération internationale.

Yovav Gavish, le représentant d’Israël à la Banque mondiale. (Autorisation)

Fondée en 1944, la banque compte 189 pays membres et vise à réduire l’extrême pauvreté, entre autres objectifs, en fournissant une assistance financière aux pays les plus pauvres.

« Pensez à un camp de réfugiés à Djibouti. Comment allez-vous pratiquer la distanciation sociale ? C’est impossible. Tout ce qui est lié à la pandémie est bien pire », a-t-il déclaré.

Les effets sanitaires et sociaux du virus dans les pays sont déjà évidents.

Les systèmes de santé évolués, comme en Italie et en Espagne, ont été débordés, et les infrastructures médicales des pays pauvres seront moins à même de faire face à la crise. Les Nations unies ont fait savoir vendredi que, dans le meilleur des cas, l’Afrique connaîtrait probablement 300 000 décès dus au virus cette année. Sans intervention, le bilan pourrait atteindre les 3,3 millions de morts. Le continent a enregistré ses 1 000 premiers décès vendredi.

À la mi-mars, quelque 1,7 milliard d’enfants n’étaient pas scolarisés, selon la Banque mondiale, les élèves des régions les plus pauvres n’ayant pas accès aux ordinateurs et aux technologies d’enseignement à distance, ce qui aura probablement un impact à long terme.

Des enfants attendent de recevoir de la nourriture gratuite dans un bidonville confiné à Bombai, en Inde, el 18 avril 2020. (AP/Rajanish Kakade)

Le rapport de l’ONU a également mis en garde contre les graves difficultés économiques que connaît l’Afrique en raison de la pandémie, avec une croissance en baisse de 2,6 % dans le pire des cas et un nombre de personnes qui se retrouveront dans une pauvreté extrême estimé à 27 millions. La Banque mondiale a indiqué que l’Afrique subsaharienne pourrait connaître sa première récession en un quart de siècle.

Le FMI, qui a baptisé cette crise le « Grand Confinement » (Great Lockdown), table sur une contraction de 3 % du PIB mondial en 2020, soit pire que la Grande Dépression. L’organisation a estimé que la crise pourrait causer des pertes mondiales cumulées de 9 000 milliards de dollars, avec une chute du PIB des pays avancés de – 6,1 %, et le monde en développement, qui présente normalement des taux de croissance plus élevés, se contractant de 1 %, et de 2,2 % sans la Chine.

Le FMI a estimé que les économies développées et émergentes se redresseraient partiellement en 2021.

La Banque mondiale définit un pays comme ayant un bas revenu lorsque le revenu national brut par personne est inférieur à 947 euros, et comme un revenu moyen s’il est inférieur à 3 690 euros. Trente-et-un pays sont considérés comme étant des économies à bas revenu, et 47 comme ayant un revenu moyen.

Les pays en développement auront plus de difficultés à supporter le fardeau économique de la crise, a expliqué Yovav Gavish, qui travaillait au ministère des Finances israélien en 2010 avant de déménager à Washington pour rejoindre la Banque mondiale en 2018.

« On observe toutes ces enveloppes d’aides aux États-Unis, en Europe, en Australie, en Israël et ailleurs, mais dans le monde en développement, ces pays ne peuvent tout simplement pas augmenter leurs niveaux de dette. Ils sont déjà très élevés », a souligné Gavish.

Un docteur cubain pratique un dépistage médical dans un bidonville de Caracas, au Vénézuela, le 17 avril 2020. (AP/Ariana Cubillos)

En février, le FMI a indiqué que 44 % des pays en développement avaient des difficultés liées à leur dette ou avaient un très grand risque lié à celle-ci. L’enveloppe d’aide économique considérable de 160 milliards de dollars du FMI pour les pays en développement n’est pourtant rien comparé à celle de 2,2 billions de dollars adoptée par les États-Unis.

De nombreuses économies en développement ont déjà été durement touchées par l’effondrement du prix des matières premières et du pétrole à cause de la réduction de la demande due au ralentissement de l’économie et de la guerre des prix du pétrole que se livrent la Russie et l’Arabie Saoudite, laquelle a été finalement résolue.

« En Afrique, si vous prenez l’Angola ou le Nigeria, ou l’Asie centrale – l’Azerbaïdjan et d’autres pays – la plus grande partie de leur PIB provient du pétrole. D’autres pays comme le Congo, la RDC, le Ghana et de nombreux pays africains, ce sont les matières premières, et on observe une forte diminution du prix des matières premières », a décrit Yovav Gavish.

Le prix de référence WTI du baril de brut américain a enregistré une chute vertigineuse depuis le début de la crise, s’élevant à -37,63 dollars lundi. Cela signifie concrètement que le surplus de pétrole a forcé les traders à payer d’autres acteurs du secteur pour les débarrasser de leur pétrole brut.

La forte diminution des transferts d’argent va aussi porter un coup sévère à certains secteurs alors que les travailleurs émigrés employés dans les secteurs du service vont perdre leur travail. Les transferts mondiaux ont atteint 706 milliards de dollars en 2019 et, pour 66 pays, ces paiements représentent plus 5 % du PIB et peuvent même parfois dépasser les 20 %. Pour Haïti, les transferts en 2019 représentaient 34,3 % du PIB, et pour le Népal 29,9 %, selon la Banque mondiale.

Certains pays majeurs pour les transferts d’argent, dont les États-Unis, la France et l’Italie, ont été durement touchés par la crise, alors que les emplois du secteur des services sont souvent les premiers à disparaître. De nombreux employés dans les hôtels, les restaurants et les salons, par exemple, n’ont pas d’aide du gouvernement, et ne peuvent pas rentrer dans leurs pays.

Pour ceux qui peuvent garder leur emploi, il devient de plus en plus difficile d’envoyer de l’argent à leur famille à cause des restrictions de mouvement et des fermetures de bureaux de poste.

Dans d’autres pays en développement, l’économie informelle est fondamentale, particulièrement en Afrique. Un agriculteur qui vend ses récoltes sur un marché ouvert n’a pas d’assurance maladie ou de programme d’épargne fournis par un employeur.

« La dimension informelle est un facteur aggravant de ces situations déjà délicates. Si je suis employé de manière illégale, je n’ai pas de filet de sécurité, je n’ai pas de services médicaux », explique Yovav Gavish.

Un vendeur de rue vend des choux sur le bord du trottoir après que le gouvernement a ordonné la fermeture du principal marché ouvert dans le bidonville de Mathare à Nairobi au Kenya, le 24 mars 2020. (AP/Brian Inganga)

Les devises de certaines économies en développement ont été durement touchées par la crise, notamment le réal brésilien, le peso mexicain, le rand sud-africain, qui ont baissé de 20 % par rapport au dollar depuis le début de la crise.

Ce déclin s’explique par le fait que les investisseurs cherchent à éviter les risques en se tournant vers des placements sûrs, dont des devises plus solides, principalement des dollars et des euros. Cela entraîne une fuite de capitaux du monde en développement.

La dette étrangère de la plupart des pays est fixée en dollars et, puisque c’est la devise la plus sûre, elle est plus attirante pour les investisseurs. Alors que les devises nationales perdent de la valeur, la dette du gouvernement augmente.

« Prenons l’exemple du Mexique. Le gouvernement a une dette extérieure fixée en dollars. Leur monnaie perd de la valeur face au dollar ce qui augmente leur dette, a étayé Yovav Gavish. C’est très important. Si vous avez une augmentation de 20 % de la dette qui est libellée en dollar, cela a un impact énorme ».

Et l’accès limité des pays en développement aux marchés financiers ne fait que renforcer le problème, tout particulièrement en période de crise.

Des ouvriers journaliers et des travailleurs illégaux qui gagent habituellement à peine de quoi vivre sont empêchés de rentrer chez eux par un cordon de police aux alentours de la capitale du Pérou de Lima, le 17 avril 2020. (AP/Martin Mejia)

Pourquoi tout cela devrait-il préoccuper les citoyens des pays développés, dont beaucoup sont déjà affectés par des difficultés liées au virus ?

La détérioration des conditions économiques dans le monde en développement entraînera sûrement des vagues d’immigration vers les économies plus fortes aux États-Unis et en Europe, même si ces pays ont des difficultés à gérer les conséquences économiques et sanitaires du virus.

La maladie pourrait rester plus longtemps dans les pays pauvres et migrer entre les hémisphères nord et sud avec les changements saisonniers, comme c’est déjà les cas avec la grippe.

Les pays en développement vont probablement commencer à faire défaut de leurs dettes, et les chaînes d’approvisionnement mondiales seront encore plus perturbées. Plusieurs centaines de millions de personnes vont probablement rejoindre les rangs des habitants les plus pauvres de la planète, selon la Banque mondiale.

La Banque mondiale s’inquiète que des décennies de développement pourraient être perdues à cause de la pandémie.

Le mois dernier, la Banque mondiale a déclaré qu’elle débloquait en urgence 14 milliards de dollars pour aider les pays en développement. Normalement, il faudrait plusieurs mois ou années de discussion avant d’approuver de tels financements, mais aujourd’hui des dizaines d’initiatives ont été approuvées dans le monde en l’espace de deux mois, a expliqué l’expert.

Pour la deuxième phase de la relance, la Banque mondiale a annoncé 160 milliards de dollars qui seront étalés sur les 15 prochains mois. Environ deux tiers de cette aide ira au secteur public, et le dernier tiers aux entreprises privées, particulièrement dans des secteurs durement frappés par le virus, notamment le tourisme et l’agriculture.

La Banque mondiale a également appelé à un moratoire sur la dette des pays en développement afin qu’ils puissent libérer leurs ressources pour lutter contre le Covid-19.

Vendredi, les Nations unies ont déclaré que selon le scénario le plus optimiste, l’Afrique aurait besoin de 44 milliards de dollars pour mener des tests de dépistage, acheter des équipements de protection et des traitements. Dans le scénario le plus pessimiste, il faudrait 446 milliards de dollars.

Dans un discours télévisé le président français Emmanuel Macron avait demandé d’annuler « massivement » la dette des pays africains pour leur permettre de mieux lutter contre la pandémie, avant de reculer par la suite et de plutôt évoquer récemment un moratoire sur le remboursement de cette dette.

Le virus a déjà infecté plus de 2,4 millions de personnes et fait plus de 166 000 victimes dans le monde, selon l’université américaine John Hopkins. Plus de la moitié de l’humanité – environ 4,5 milliards de personnes – fait l’objet d’une forme de confinement.

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