A Djerba, les derniers Juifs de Tunisie
Sans perspectives d’avenir, les jeunes partent en Israël tandis que leurs parents s’attachent aux traditions

Des pierres tombales éventrées autour de la Grande Synagogue de Djerba : ce n’est pas l’œuvre de vandales, mais de Juifs tunisiens qui, émigrant en Israël, déterrent les ossements de leurs ancêtres afin de les emporter avec eux. La scène, poignante, est décrite dans un article de Radio Free Europe, repris par le Guardian, et résume le dilemme des quelque 1 500 Juifs vivant toujours en Tunisie : partir, ou rester ?
Avant l’indépendance de 1958, la communauté juive de Tunisie était l’une des plus importantes du Maghreb, avec environ 100 000 membres, principalement sur l’île touristique de Djerba. Mais, au fil des années et faute d’une égalité réelle et ressentie entre Juifs et musulmans, elle s’est drastiquement réduite, à environ 1 500 membres, au rythme des départs vers la France ou Israël. Elle reste la deuxième plus grande communauté juive au Maghreb : seul le Maroc fait mieux, avec 2 000 membres recensés, tandis que l’Algérie, la Libye ou l’Egypte sont vidés de leurs Juifs.
Les raisons sont multiples et l’envie de partir ne date pas d’hier : en 2014, des habitants décrivaient pour l’AFP le manque de sécurité dans l’île, la coexistence qui se délite entre Juifs et musulmans, qui avaient jusque-là vécu en parfaite harmonie.
« On ne sait pas comment réagiraient les gens qui ne sont pas d’ici si je sortais avec ma kippa », confiait un quadragénaire.
Mais pour d’autres Juifs de Djerba, c’est la situation économique de la Tunisie et le repli de la communauté juive qui est à blâmer : à Radio Free Europe, une jeune fille explique qu’elle n’a rien à faire après son travail, « à part rentrer à la maison et faire le ménage » – car le grand rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, enjoint les jeunes femmes à réduire leur exposition au monde extérieur.
Un monde bien différent d’Israël : Shiran, une institutrice de 23 ans, se souvient de son voyage à Ashkelon pour rendre visite à ses grands-parents. « J’étais dans un autre monde », dit-elle. « Où tout est vert, et il y a des arbres ».
La tentation d’Israël est bien présente, et est encouragée par l’Agence Juive : son porte-parole, Yigal Palmor, déclare à Radio Free Europe : « il y a très peu de perspectives d’avenir pour les communautés juives dans les pays arabes, sauf si les choses changent drastiquement. Même s’ils sont tolérés, je ne crois pas qu’ils aient un vrai futur ici ».
Les jeunes Juifs tunisiens sont invités à des voyages en Israël, dont ils reviennent souvent enthousiastes. Là-bas, ils pourront avoir un travail, en dehors de la joaillerie, emploi traditionnel des Juifs tunisiens, ou du tourisme, secteur sinistré depuis la révolution de Jasmin de 2011.
Une grande tradition demeure cependant à Djerba, où c’est l’effet inverse qui se produit : des Israéliens aux origines tunisiennes reviennent en Tunisie, pour le pèlerinage annuel de la Ghriba, dans la grande synagogue de Djerba. Source de discorde entre Israël et la Tunisie, qui empêche parfois les touristes israéliens de se rendre dans le pays, c’est un moment de joie pour la petite communauté, et les Israéliens soucieux de renouer avec leurs racines.
Ainsi, Maurice, un sexagénaire vivant en Israël depuis 50 ans, se considère toujours comme un « Soussien », de la ville de Sousse, au sud de la Tunisie, explique-t-il à Courrier International. N’ayant rien oublié de son arabe natal, il confie : « Mes musiques préférées sont la hadhra et la musique soufie. Elles me vont droit au cœur. Quels bons moments j’ai passés en Tunisie, quelle nourriture délicieuse j’y ai mangé, se souvient-il. C’est incomparable. ».