À Istanbul, malgré les menaces iraniennes, la vie des Juifs n’a pas changé
Selon les grands rabbins de Turquie, les alertes de sécurité des derniers jours ont eu peu d’impact sur les expatriés ou la communauté juive de la ville, forte de 15 000 habitants

Dans une scène tout droit sortie de la série d’espionnage « Fauda », des membres des forces de l’ordre israéliennes ont exfiltré des ressortissants israéliens de leur hôtel à Istanbul, la semaine dernière, sur la foi de renseignements indiquant qu’ils étaient pris pour cible par des émissaires iraniens.
Cette histoire vraie s’est déroulée à un moment où des Iraniens cherchaient manifestement à enlever ou tuer des touristes israéliens à Istanbul, en représailles à l’assassinat, le mois dernier, d’un officier supérieur du Corps des gardiens de la révolution islamique, le colonel Hassan Sayyad Khodaei, que l’Iran impute à Israël.
Loin de semer la panique, l’évacuation et les avertissements répétés des responsables israéliens ont été accueillis avec confusion, et une certaine apathie, en Turquie par la communauté juive et les Israéliens de passage.
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Ces avertissements ont été émis à un moment privilégié pour les relations turco-israéliennes, plus chaleureuses qu’elles ne l’ont été depuis 10 ans. Plus tôt cette année, le président Isaac Herzog a ainsi rencontré son homologue, le président turc Recep Tayyip Erdogan, et le mois dernier, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, s’est rendu à Jérusalem pour s’entretenir avec son homologue israélien, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid.
Lapid se rendra à Ankara, ce jeudi, pour rencontrer Cavusoglu, malgré la dissolution imminente du gouvernement israélien.
Israël se serait, dit-on, abstenu de donner l’alerte pendant un temps afin de permettre aux autorités turques de régler la question de la menace iranienne elles-mêmes. Finalement, l’évacuation s’est effectuée en concertation entre le Mossad et les autorités turques, dont le Premier ministre Naftali Bennett a fait l’éloge cette semaine.

« Les actions menées avec les forces de l’ordre turques ont porté leurs fruits », a déclaré Bennett. « Ces derniers jours, conjointement avec les autorités turques, nous avons déjoué un certain nombre d’attaques et des terroristes ont été arrêtés sur le sol turc. »
Le Conseil de sécurité nationale d’Israël a, pour l’occasion, relevé son degré d’alerte pour la Turquie à un niveau comparable à celui de l’Afghanistan ou du Yémen, pays ravagés par la guerre, ou encore de l’Iran.
« Si vous vous trouvez à Istanbul, regagnez en Israël au plus vite », a déclaré Lapid le 13 juin. « Si vous avez prévu un voyage à Istanbul, annulez-le. Les vacances ne valent pas la peine de risquer sa vie.
« Les forces de l’ordre israéliennes font tout ce qui est en leur pouvoir pour déjouer ces attaques et neutraliser les attaquants et ceux qui les envoient », ajoutait Bennett le lendemain. « Nous n’hésiterons pas à intervenir, quel que soit l’endroit dans le monde, pour assurer la protection de nos ressortissants. »
Les avertissements d’Israël sont allés crescendo tout au long de la semaine, bien qu’il ait été dit que plusieurs cellules iraniennes avaient été neutralisées par les forces israéliennes et turques.
Vendredi, Israël invitait ses ressortissants présents en Turquie à s’enfermer dans leur chambre d’hôtel et ne pas ouvrir la porte, même au personnel de service ou aux livreurs.

Pour les Israéliens présents à Istanbul, l’alerte a été accueillie avec beaucoup de modération.
« Honnêtement, je viens seulement d’en entendre parler aux informations », a déclaré Itay, un Israélien vivant en Turquie, à la Jewish Telegraphic Agency. Il a demandé que son nom de famille ne soit pas révélé pour des raisons de sécurité et de confidentialité.
Il a confié ne pas avoir ressenti le besoin de changer ses habitudes et ne connaitre aucun autre Israélien qui l’ait fait.
« Je ne parle pas très fort en hébreu ni rien de ce genre, naturellement. Mais si quelqu’un me demande d’où je viens, je dis sans problème que je viens de Tel Aviv », a-t-il déclaré.
Le rabbin Mendy Chitrik, grand rabbin ashkénaze de Turquie et émissaire de Habad-Loubavitch qui s’occupe de dizaines de touristes israéliens chaque semaine, a déclaré avoir reçu de très nombreux messages, la semaine passée, de la part d’expatriés israéliens et de voyageurs en quête de conseils.
« Quand les gens m’appellent et me demandent s’ils doivent venir, je dis qu’ils devraient se référer aux instructions de sécurité de leur gouvernement et essayer de s’y conformer », a-t-il déclaré.

Il concède avoir constaté peu de changements.
« Quand je marche dans les rues de Nisantasi [l’un des quartiers commerçants branchés d’Istanbul], j’entends toujours parler hébreu », a-t-il dit.
Chitrik a ajouté n’avoir aucune connaissance du nombre de personnes qui ont finalement renoncé à leur voyage à Istanbul sur la base des avertissements officiels. En revanche, en sa qualité de directeur des opérations de supervision casher en Turquie pour les rabbinats israélien et turc ainsi que pour l’Orthodox Union, basée aux États-Unis, Chitrik a noté que le nombre de repas casher commandés pour les vols à destination de la Turquie n’avait en rien diminué.
Selon le site d’information Walla, 3 750 personnes, à bord de 21 vols, auraient décollé d’Israël pour la Turquie le 13 juin, en dépit des alertes. Ces chiffres comprennent également les passagers en escale à l’aéroport d’Istanbul, deuxième aéroport le plus fréquenté d’Europe, exclu de l’alerte.
Dans l’ensemble, Chitrik n’envisage guère de changer ses habitudes.
« En tant que rabbins, personnes de foi, nous faisons d’abord et avant tout confiance à Dieu, puis aux autorités turques pour qu’elles protègent leurs citoyens, la communauté juive et les millions millions de touristes qui viennent en Turquie », a-t-il déclaré.
Les médias israéliens semblent avoir eu du mal à trouver des ressortissants israéliens réellement préoccupés de leur sécurité suite à l’alerte, même si un grand nombre d’entre eux se sont tout de même enfermés dans leur chambre d’hôtel suite à l’alerte de vendredi.
Les expatriés israéliens sont loin d’être les seuls Juifs à Istanbul, qui abrite une communauté turco-juive de 15 000 personnes.
La communauté a déjà été prise pour cible, par le passé, en raison des tensions avec Israël. Ce fut notamment le cas en 1986, lorsqu’un tireur palestinien a ouvert le feu sur la célèbre synagogue Neve Salom d’Istanbul, tuant 22 personnes. En 2003, deux voitures piégées ont explosé à l’extérieur de Neve Salom et d’une autre synagogue de la ville, tuant 28 personnes. Les attentats de 2003 auraient été l’œuvre du groupe terroriste Al-Qaïda.

Pour autant, le grand rabbin séfarade de Turquie, Ishak Haleva, a publiquement invité les Israéliens à venir en Turquie, malgré les avertissements du ministère israélien des Affaires étrangères.
« Il y a eu un problème, [et] les autorités israéliennes ont réagi, à juste titre », a déclaré Haleva dans une interview au Jerusalem Post. « Ils seraient responsables si quelque chose se passait et qu’ils n’aient averti personne. »
Il a assuré que toute cette affaire avait fait « beaucoup plus de bruit qu’elle n’avait porté de menaces réelles ».
« Je pense que les Israéliens devraient continuer à venir en Turquie. C’est un très beau pays. Ils peuvent venir, sans en parler à tort et à travers », a déclaré Haleva.
« La Turquie est belle en été, alors venez, nous serons ravis de vous accueillir. »
Il a tout de même ajouté que « lorsqu’ils parlent dans la rue, ils ne devraient pas le faire aussi fort que d’ordinaire ».
Bennet a souligné lundi qu’en dépit des arrestations, la menace demeurait active.
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