À Ramle, l’art sublime un passé et un présent riches et complexes
Du marché à la mosquée en passant par les mélodies underground, une histoire riche mêlée aux complexités d’une ville mixte juive et arabe moderne
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Smadar Sheffi, conservatrice d’art bien connue, fait le trajet de 20 minutes en train de Tel Aviv à Ramle plusieurs fois par semaine, pour se rendre au Centre d’Art Contemporain de Ramle (CACR), qu’elle a cofondé il y a plusieurs années. Son but est d’aider Ramle, ville ouvrière de près de 78 000 habitants riche d’une multitude de sites historiques négligés, à tirer avantage de ce vivier de trésors archéologiques et de belles églises, d’activités artistiques et de marchés.
À Ramle, où vivent quelque 58 000 Juifs, aux côtés d’environ 19 000 résidents arabes, l’art est le point de départ d’échanges sur les relations inter-confessionnelles, la religion, la politique et le genre, affirme Sheffi.
« Je voulais un endroit où je pourrais apporter quelque chose », déclare-t-elle. « Lorsque l’art contemporain est le point de départ, un autre type d’échange est possible. Cela permet de parler de choses qui, autrement, seraient problématiques. »
Situé à deux pas du marché en plein air de la ville, le CACR occupe le deuxième étage du musée de Ramle, dans ce qui fut le siège municipal des autorités mandataires britanniques. C’est ici que Sheffi œuvre à l’organisation d’expositions, en persuadant des artistes de venir, un temps, y poser leurs valises.
La dernière exposition en date s’intitule « Copper Wing [Aile de cuivre] », de l’artiste Meydad Eliyahu, issu d’une famille israélo-indienne.
L’exposition, visible jusqu’à fin octobre, présente des œuvres sur cuivre qui racontent l’histoire de la communauté juive indienne en Israël, dont une grande partie se trouve à Ramle.
Cette exposition est la nouvelle branche d’un projet artistique qu’Eliyahu a commencé il y a dix ans, qui explore les communautés, et notamment la communauté indienne d’Israël, ses influences et traditions parfois ignorées et rappelle des événements historiques et phénomènes sociaux oubliés ou effacés.
« ‘Copper Wing’ est un nouveau berceau pour ces traditions », écrit Sheffi dans la présentation de l’exposition.
Au fil de l’eau, l’exposition évolue vers un portrait intime et saisissant de la communauté indienne de Ramle, gravé dans le cuivre. Notamment avec ce tableau mural, représentant l’ancien Ramle, sur un fond d’un vert éclatant, avec un tronc d’arbre et un rideau de feuilles en cuivre, en forme de noix de cajou, souvent utilisées dans la cuisine indienne.
Sur un autre mur, on trouve la page d’un livre géant en cuivre, inspiré des écrits intimes d’un immigrant de Ramle, avec une recette manuscrite de limonade, un texte en Devanagari et une terminologie mi-hébraïque mi-anglaise.
L’exposition, explique Sheffi, évoque la communauté indienne locale dans ses propres termes, exploration d’un initié désireux d’en faire connaître les traditions à un large public.
Dans le cadre de ce projet, Meydad a organisé des ateliers dans des espaces publics, des centres communautaires et des écoles. Une table présentant les œuvres en cuivre créées par des habitants de Ramle fait d’ailleurs partie intégrante de l’exposition.
Le centre d’art s’intéresse régulièrement à l’histoire compliquée de Ramle et à ses tensions.
La ville a été fondée à proximité de Lydda – aujourd’hui Lod – au début du 8e siècle de notre ère, par le prince omeyyade Sulayman ibn Abd al-Malik, pour être la toute première nouvelle ville musulmane de Terre Sainte.
À l’époque, Ramle était considéré comme une charnière entre Le Caire et Damas, situé le long d’une route importante reliant le port méditerranéen de Jaffa à Jérusalem. La route est encore visible aujourd’hui dans la vieille ville de Ramle.
Le maire Michael Vidal, son équipe chargée du tourisme, Sheffi et bien d’autres, soulignent que la ville demeure un carrefour important entre Jérusalem et Tel Aviv, de même qu’un centre régional important, qui a certes eu du mal à émerger de décennies de marasme économique.
Vidal rappelle que Ramle a, pour l’essentiel, été épargné par les violences arabo-juives de mai 2021, contrairement à sa voisine de Lod, théâtre d’affrontements nocturnes et de violences meurtrières.
« Naturellement, beaucoup de personnes cherchent à comprendre Ramle et posent des questions », explique Vidal lors d’une récente conversation téléphonique. « Ils aimeraient comprendre comment cette ville a été épargnée. »
La ville invite les visiteurs à découvrir ses trésors lors du festival annuel, à l’occasion de Souccot, du 11 au 13 octobre prochains.
On pourra profiter de spectacles musicaux et scéniques avec les stars de la pop Eden Ben Zaken, Moshe Peretz, Ethnix et d’autres, ainsi que d’activités pour les enfants, le matin, le tout moyennant un droit d’entrée symbolique de 20 shekels.
Les amateurs d’histoire seront heureux de visiter la vieille ville de Ramle, dans un format rapide de 26 minutes permettant de ne rien manquer des incontournables du lieu.
Vidal désigne de la main l’ancienne mosquée blanche de Ramle, à laquelle de récents travaux de restauration ont rendu sa blancheur originelle. La tour de la mosquée offre une vue sur les cimetières anciens et modernes de Ramle, et au-delà, sur les tours de Tel Aviv. Un centre d’accueil des visiteurs et un café sont en cours de construction.
De là, les visiteurs peuvent se rendre au marché ou au CACR, puis visiter la piscine des arches, réserve d’eau souterraine construite en 789 de notre ère, qui abrite aujourd’hui une collection de canoës que l’on peut mettre à l’eau.
En ce lieu, les visiteurs trouveront une autre installation du Centre d’art contemporain, une exposition audiovisuelle de l’artiste Dor Zlekha Levy.
L’œuvre, intitulée « Third Spaces [Tiers lieux]», projette des images d’instruments de musique sur les murs de la piscine, sur fond de musique hébraïque et arabe diffusée depuis huit points de l’espace souterrain.
C’est un tout petit espace pour une promenade en bateau, à peine 20 mètres carrés, et il faut compter 10 à 15 minutes pour tout voir, mais c’est une promenade apaisante et contemplative, une expérience originale pour les yeux et les oreilles, qui embrasse le passé, le présent et l’avenir de Ramle.