A Tel Aviv, une fresque peinte en mémoire d’une jeune festivalière tuée à Nova
Tamar Goldenberg était originaire de Rishon Lezion et possédait la double nationalité israélienne et géorgienne
Elle sourit. Des mèches de longs cheveux auburn aux reflets aubergine teintés de bleu s’échappent de son élégant chapeau jaune. Les yeux azurs sont rieurs. Sa beauté insolente s’épanouit au milieu de fleurs colorées et psychédéliques. Elle s’appelait Tamar. Elle avait 23 ans. Une fresque posthume dans le bouillonnant quartier de Tel Aviv Florentine célèbre la mémoire d’une jeune festivalière de Nova qui a trouvé la mort le 7 octobre 2023.
Au premier abord, n’importe quel flâneur nonchalant qui croiserait le regard de la jeune fille au sourire franc et joyeux qui s’étale sur un mur au croisement des rues Abarbanel et Frenkel, à hauteur du numéro 1, pourrait penser qu’il s’agit d’une peinture d’inspiration « hippie », sorte d’ode extravagante à la légèreté des années 70. Si ce n’est peut-être la prédominance de la couleur rouge du volet floral qui borde le beau visage de Tamar. Mais pas de coquelicots devenus le symbole de la tuerie de Nova ou de date explicite comme une piqûre de rappel.
Tamar Goldenberg, originaire de Rishon Lezion et possédant la double nationalité israélienne et géorgienne, est décédée le « samedi noir » près du kibboutz Reim lors de l’assaut du Hamas contre les participants de la rave-party Tribe of Nova aux côtés de ses amis Gideon et Noa Chiell, un frère et sa sœur qui ont également été assassinés. Les photos des 364 jeunes assassinés sont affichées sur le site du massacre, à l’endroit même où se tenait le chapiteau transformé en mémorial. Fragiles symboles dont on devine qu’ils ne pourront subsister au temps qui passe.
C’est peut-être aussi pourquoi depuis le 7 octobre de nombreux artistes israéliens ressentent le besoin à travers leurs œuvres de documenter par tous les moyens la tragédie et d’extérioriser le choc et le cri de douleur de la société israélienne face à la violence du pogrom du Hamas. La créativité est bien souvent une réponse à une souffrance. L’art peut se révéler plus évocateur et puissant que les mots.
L’œuvre « Boker Tov Sunshine » (Bonjour Soleil), nom de la fresque murale de Florentine, s’inscrit d’une certaine façon dans cette veine mais au réalisme douloureux se substitue une poésie joyeuse, née d’une volonté collective de restituer le souvenir d’une jeune fille qui croquait la vie.
Tout commence lorsque Victoria Sarazin, artiste peintre, passe devant la devanture d’un petit salon de beauté de Florentine où se donne rendez-vous la jeunesse branchée tel avivienne. Son regard tombe sur un homme muni d’un pinceau rose s’acharnant, tel Sisyphe, à camoufler un vilain tag noir sur le mur attenant à la boutique. « Je me suis approchée et je lui ai dit sans détour, laisse-moi faire, je peux t’aider à en faire quelque chose de bien, sans l’effacer. J’aime l’idée de tikkun olam (concept philosophique du judaïsme qui signifie « réparation du monde » ou « parfaire le monde »). Créer pour réparer. Il me propose de parler avec sa femme, qui tient l’institut de beauté, et qui a un projet en tête », raconte Victoria.
Cette dernière fait la connaissance d’Ortal, chez qui Tamar avait l’habitude de faire sa manicure, et qui était aussi et surtout son amie. Elle explique vouloir rendre hommage à Tamar en peignant son portrait et a obtenu l’accord de son père, touché par la démarche. De son côté, Victoria a déjà expérimenté l’art urbain. Elle est repérée par le département francophone de l’Alyah et de l’Intégration de la mairie de Tel Aviv, alors qu’elle peint sur un mur de la rue Lilienblum près de Neve Tzedek. Entre autres activités pour les olim (nouveaux immigrants) francophones, des ateliers peintures sont organisés, en collaboration notamment avec le ministère de l’Intégration. L’idée fait son chemin et les responsables du département de l’Alyah décident de s’associer au projet d’Ortal avec Victoria et programment plusieurs ateliers auxquels participent les olim.
Y-a-t-il mieux qu’une thérapie collective pour affronter un traumatisme collectif ?
Tous rejoignent avec enthousiasme les sessions de peinture, heureux d’apporter les touches de couleur aux dessins de Victoria et de voir renaître peu à peu la jeune fille rayonnante sous leurs coups de pinceaux, à raison de plusieurs heures par semaine. « Aucun d’entre nous ne connaissait Tamar. Mais chaque rendez-vous était comme une plongée dans un bain d’émotions », décrit Victoria. Des rendez-vous auxquels participent parfois, spontanément, des passants désireux de s’investir pour le souvenir de Tamar et, à travers elle, pour toutes les victimes du 7 octobre.
« Un jour, la mère d’une jeune fille assassinée lors du festival, venue avec un groupe d’amies en pèlerinage dans le quartier que sa fille aimait tant, nous observe et intriguée par notre énergie, nous interroge avec le pressentiment qu’il est question de ‘Nova’. Elle a immédiatement saisi un pinceau et peint avec nous dans l’émotion partagée », se souvient l’artiste.
Julia Lumbroso, coach de vie et naturopathe, fait partie du groupe des olim qui ont participé aux ateliers : « Depuis le 7 octobre, j’ai fait des volontariats, cueilli des tomates, fait des barbecues pour les soldats, avec l’urgence d’être utile. Mais cette mission de peindre ensemble dans la rue, toutes générations confondues, avec parfois des touristes qui posaient des questions, des enfants handicapés qui ont participé, une survivante de Nova, au gré des rencontres, reste une expérience unique. Face au négationnisme en vogue devant l’horreur de la tragédie du 7 octobre, le travail de mémoire doit se faire maintenant. On ne peut pas se permettre d’attendre ».
Ne rien oublier. Et se souvenir des belles choses.
La veille du festival Nova, Tamar, prête pour aller danser, voulait l’être jusqu’au bout des ongles ! Elle avait demandé à Ortal de déployer ses talents pour lui faire une manucure « zèbre ». Le détail pourrait presque faire sourire si le contraste entre la jeunesse brisée et la barbarie du terrorisme n’était aussi criant. Ortal a tenu à peindre elle-même sur la fresque les ongles zébrés de son amie. Une signature en forme d’ultime dédicace.
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