Annexion : comment le décalage entre Trump et Netanyahu s’est mis en place
Dans les deux jours qui ont suivi l'événement historique à la Maison Blanche, Netanyahu a renoncé à sa promesse de de souveraineté dans les implantations. Que s'est-il passé ?
De nombreux partisans du mouvement pro-implantations se sont empressés de saluer la publication, mardi, de « l’Accord su siècle » du président américain Donald Trump, disant que cette proposition de paix était la plus favorable à Israël jamais présentée dans l’Histoire.
Il y a eu certaines craintes liées à la vision d’un état palestinien telle que cette dernière est définie dans le plan – même si la fondation de cet état est soumise à une liste de réserves que les Palestiniens n’accepteraient jamais.
Mais les préoccupations face à l’adoption, par Trump, d’une « solution réaliste à deux Etats » ont été noyées par la jubilation entraînée par le feu vert donné à Israël, dans la proposition, d’annexer sans attendre la vallée du Jourdain et toutes les implantations de Cisjordanie.
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Mais à peu-près 24 heures après la présentation du plan à la Maison-Blanche, la joie a laissé place à la frustration.
« Je suis très déçu », a déclaré Shimon Riklin, un grand ponte de la droite et habituellement partisan indéfectible de Netanyahu, au Times of Israel mercredi – vingt-quatre heures après avoir littéralement dansé de joie dans les rues de Washington.
« Je m’attendais à ce qu’il tienne sa promesse et à ce qu’il fasse ce qu’il avait dit qu’il ferait – avant les élections ».
Riklin a eu le cœur meurtri, a-t-il écrit sur Twitter peu après.
« J’avais espéré véritablement qu’il y aurait une application de la souveraineté », a-t-il fait savoir à ses 100 000 abonnés sur Twitter.
Le découragement affiché par Riklin – et par de nombreux autres à la droite de l’échiquier israélien – semble avoir résulté, au choix, d’une erreur tactique de Netanyahu ou d’une coordination excessivement médiocre entre le gouvernement israélien et l’équipe chargée de la paix à la Maison Blanche. Voire des deux.
D’abord immédiatement, puis dans un mois ou plus : qu’est-il arrivé ?
Tout a commencé mardi aux environs de midi, dans l’East Room de la Maison Blanche où Netanyahu et Trump ont présenté le plan de paix de l’administration lors d’une cérémonie festive à laquelle ont assisté les membres Républicains du congrès, les responsables communautaires juifs, d’éminentes personnalités évangéliques et trois ambassadeurs du Golfe arabe.
« Israël appliquera ses lois dans la vallée du Jourdain, dans toutes les implantations juives en Judée et Samarie et dans les autres secteurs qui, selon votre plan, feront partie d’Israël et que les Etats-Unis ont reconnu comme faisant partie intégrante d’Israël », a déclaré Netanyahu dans un discours prononcé immédiatement après le dévoilement du plan de paix par Trump.
Mais Netanyahu n’a pas précisé quand il ferait appliquer cette souveraineté.
Le président, dans son allocution, avait mentionné le projet de former une « commission conjointe » dans laquelle les Etats-Unis et Israël transformeraient la carte conceptuelle inclue dans la proposition en carte « plus détaillée et calibrée de manière à ce que la reconnaissance puisse être immédiatement réalisée ».
Ce qui avait paru signifier que les Etats-Unis reconnaîtraient sans délai l’annexion à venir des territoires concernés par l’Etat juif.
Serait-ce le cas même si cette annexion devait avoir lieu la semaine prochaine ? Le président n’en avait rien dit.
Quelques instants après la cérémonie à la Maison Blanche, Netanyahu avait promis au cours d’un point-presse de faire voter ce plan d’annexion la semaine prochaine, lors de la réunion du cabinet. Cette réunion a habituellement lieu le dimanche, avaient souligné les journalistes. Netanyahu en avait convenu d’un hochement de la tête, indiquant qu’Israël lancerait officiellement le processus de l’extension de la souveraineté sur de larges parties de la Cisjordanie dans les jours à venir.
Citant la nécessité probable de lever certaines entraves bureaucratiques, le ministre du Tourisme Yariv Levin, assis aux côtés de Netanyahu, avait fait remarquer que le vote du cabinet pourrait être reporté à mardi.
Les journalistes des médias de droite avaient laissé libre cours à leur enthousiasme. Israël allait enfin étendre sa souveraineté à son cœur biblique, s’étaient-ils exclamés avec extase. C’était presque trop beau pour être vrai.
L’ambassadeur américain David Friedman, co-auteur du plan, avait confirmé lors d’un point-presse, mardi après-midi, que Netanyahu pouvait entreprendre l’annexion quand il le désirerait.
« Israël n’a pas du tout à attendre », avait répondu Friedman, inébranlable, lorsqu’il lui avait été demandé s’il y avait un « délai de carence » avant l’application par le gouvernement de la souveraineté sur les implantations.
La période d’attente couvrirait le temps nécessaire pour obtenir les approbations internes et créer les documents, faire les vérifications qui s’imposent et la cartographie, « ce qui nous permettra de faire une évaluation, de nous assurer que tout est conforme à la carte conceptuelle », avait-il ajouté.
« S’ils souhaitent appliquer la loi israélienne à ces secteurs alloués à Israël alors nous la reconnaîtrons », avait poursuivi Friedman.
La première remise en question sérieuse portant sur l’immédiateté de l’annexion aura été soulevée par Jared Kushner, haut-conseiller de Trump et chef de l’équipe en charge du plan de paix.
Lors d’un entretien accordé à CNN, dans la soirée de mardi, Kushner avait clamé qu’il ne pensait pas que l’Etat juif procéderait à une annexion quelle qu’elle soit dans les jours suivants. Une affirmation qui allait à l’encontre de l’intention déclarée de Netanyahu de faire voter le dossier à Jérusalem dans les meilleurs délais- et paraissant indiquer, au mieux, des défaillances dans la communication entre les deux hommes.
Le matin suivant, Friedman avait organisé une autre conférence de presse et il lui avait été demandé de clarifier la question du moment choisi pour l’annexion. Il avait alors reconnu la nécessité de mettre en place une commission conjointe entre les Etats-Unis et l’Etat juif mais il avait encore semblé dire que le gouvernement israélien pouvait agir lorsqu’il le souhaitait – même si ses propos n’avaient pas été entièrement définitifs.
Cette commission travaillerait « avec toute la réflexion nécessaire pour atteindre le but recherché mais c’est un processus qui exige certains efforts et certains arrangements », avait dit Friedman. Le gouvernement israélien « fera ce qu’il fera mais la commission se formera », a-t-il ajouté.
La partie américaine, avait-il continué, désignera rapidement les membres du panel et lorsque les Israéliens auront fait la même chose et qu’ils présenteront leur proposition, « nous la prendrons en considération dans le cadre de l’accord et nous prendrons ensuite une décision ».
« Je ne vais pas me projeter au-delà d’aujourd’hui et je ne vais pas spéculer sur le temps que ça prendra », avait-il précisé. « Nous sommes conscients que c’est quelque chose sur lequel nous allons commencer à travailler dès maintenant et nous allons tenter d’apporter des réponses rapidement ».
Et, mercredi après-midi, des responsables israéliens témoignant sous couvert d’anonymat avaient semblé eux aussi faire volte-face, prenant leurs distances face à la promesse d’une annexion imminente et clamant qu’un travail en profondeur était requis, avec notamment la préparation de cartes via des images satellites. D’autres sources dont les propos avaient fuité avaient évoqué des « raisons sécuritaires » pour ce report.
Mettant un terme (apparent) à la discussion, Kushner, dans un entretien accordé mercredi – alors que Netanyahu se trouvait à bord de son avion en direction de Moscou – avait déclaré, sans équivoque possible, que l’administration était opposée à une annexion immédiate.
« Notre espoir est qu’ils attendront jusqu’à après les élections », avait dit Kushner à GZERO Media, soulignant que la Maison Blanche ne soutiendrait pas Israël si le pays devait procéder hâtivement à une quelconque annexion en amont du scrutin du 2 mars. Alors qu’il lui était directement demandé si l’administration Trump donnerait son appui à une décision immédiate d’annexer la vallée du Jourdain et les implantations en Cisjordanie, Kushner avait répondu « Non », ajoutant que « nous avons besoin qu’un gouvernement israélien » soit en place avant d’aller de l’avant.
Certains propos de responsables israéliens avaient été repris par la suite, disant que Jérusalem pourrait ignorer la déclaration de Trump mais que Netanyahu ne prendrait probablement pas le risque de s’attirer les foudres de Washington actuellement.
Que dit la proposition elle-même sur l’annexion ?
La vallée du Jourdain « sera placée sous souveraineté israélienne », dit le document émis par Trump. Il stipule par ailleurs que l’Etat juif « incorporera la vaste majorité des implantations juives dans un territoire israélien contigu ».
La section 22 appelle les Israéliens et les Palestiniens à commencer à négocier, ajoutant que les deux parties « doivent se conduire d’une manière qui se conforme à la Vision et qui puisse préparer les populations respectives à la paix ».
Le document ne précise pas quand Israël sera autorisé à lancer le processus d’annexion.
Mais les divergences sur le calendrier des opérations masquent l’essentiel, a déploré un haut-responsable de la délégation de Netanyahu à Washington et à Moscou devant les journalistes.
« Il n’y a pas de querelle sur le fond. Il n’y a qu’une question technique mineure », a-t-il estimé.
Israël voulait initialement procéder à l’annexion en une, deux ou peut-être trois étapes, a expliqué le haut-responsable, s’exprimant sous couvert d’anonymat. L’application de la loi israélienne dans la vallée du Jourdain et dans les communautés établies en Cisjordanie est relativement simple, a-t-il expliqué.
Mais pour d’autre secteurs – et en particulier les territoires qui entourent les implantations et autres endroits inhabités – les choses sont plus compliquées, ce qui exige la mise au point de cartes avec l’aide de géologues sur le terrain, en utilisant des images par satellite et autres.
Et Israël espérait donc prendre en charge immédiatement la phase d’avancée plus technique, n’abordant la partie plus complexe que lors d’une étape ultérieure, a noté le responsable.
Les Américains, pour leur part, préfèrent que les choses se fassent en une fois, a ajouté cet officiel, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître officiellement les annexions israéliennes à de multiples reprises.
Alors tout cela était-il un malentendu ?
Le haut-responsable n’a pas souhaité évoquer un malentendu, ne critiquant ni les Israéliens, ni les Américains. Mais il semble que cette saga aurait pu être évitée si Jérusalem et Washington s’étaient mieux coordonnés en amont de la révélation du plan.
Après tout, cela fait trois ans que la proposition est en préparation et les deux parties savaient bien que l’annexion en serait une partie majeure. Il est indubitable que Kushner et Friedman étaient conscients qu’un mois avant les élections, Netanyahu tenterait de rentabiliser le feu vert reçu pour l’annexion, une tentative de glaner davantage de soutiens. S’ils n’avaient pas voulu que Netanyahu fasse l’annonce d’une annexion imminente si rapidement, ils auraient pu l’en avertir.
Autre explication possible pour cette confusion, l’existence de camps séparés – ou tout du moins de positionnements divergents – au sein même de l’équipe de paix de Trump. Friedman, partisan enthousiaste de longue date du mouvement pro-implantation, peut avoir encouragé Netanyahu à ne pas attendre pour entreprendre l’annexion tandis que Kushner peut avoir désiré que le Premier ministre se comporte avec plus de retenue.
Friedman, basé à Jérusalem, est probablement convaincu que le plan de paix n’a aucune chance d’entraîner un accord entre les Israéliens et les Palestiniens et il peut donc ne s’intéresser qu’à garantir qu’Israël obtiendra ce qui lui avait été promis.
Kushner, qui se trouve pour sa part à Washington, est profondément engagé auprès des leaders arabes de la région. Son objectif pourrait être d’œuvrer à donner au plan de paix de son beau-père les meilleures chances de réussite. Une annexion immédiate et unilatérale de vaste pans de la Cisjordanie refroidirait clairement le soutien apporté à l’accord par le monde arabe.
C’est sûr, il n’y a pas de crise entre le gouvernement Netanyahu et l’administration Trump. Ils se soutiennent mutuellement – considérant le plan comme étant significatif, bénéfique pour l’un et d’autre et populaire auprès des électeurs – et cet état de fait n’est pas près de changer.
Mais la question sensible de l’annexion a souvent causé des frictions entre Washington et Jérusalem. Cela a été encore le cas sous l’administration Trump.
Par exemple, au mois de février 2018, Netanyahu avait dit lors d’une rencontre à la Knesset de sa faction du Likud qu’il discutait de l’annexion de la Cisjordanie avec les Américains « depuis un moment maintenant ». Ses propos avaient fait les gros titres en Israël, amenant un porte-parole de la Maison Blanche à opposer un démenti cinglant : « Les informations portant sur des discussions des Etats-Unis avec Israël concernant un plan d’annexion de la Cisjordanie sont fausses ».
« Les Etats-Unis et Israël n’ont jamais évoqué une telle proposition et le président reste concentré exclusivement sur son initiative de paix israélo-palestinienne », avait-il ajouté.
Cette semaine, personne n’a démenti des discussions ouvertes sur l’annexion. C’est l’une des pierres d’achoppement du plan de l’administration que les deux parties considèrent comme historique. Mais les va-et-vient troublants sur le moment choisi ont révélé le malaise inhérent au sujet. Sous la précédente administration, cela aurait pu être qualifié de désaccord éclatant en plein jour.
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