Arrêt Dobbs : Les organisations juives de soutien à la fertilité dans la tourmente
Alors que la halakha cherche à protéger la vie de la mère, les organisations juives fournissant des services d'aide contre l'infertilité doivent naviguer avec précaution

JTA – Kristin essayait de tomber enceinte naturellement depuis deux ans avant d’apprendre qu’elle souffrait de deux problèmes de coagulation sanguine qui augmentent son risque de fausse couche et peuvent rendre la grossesse et l’accouchement dangereux, voire mortels.
Elle et son mari Shai ont donc opté pour un plan d’urgence : avoir recours à une mère porteuse. Le couple de confession juive pensait pouvoir faire appel à une personne proche de l’Ohio, leur État d’origine, comme l’Illinois ou le Minnesota, où les lois sur les mères porteuses et l’interruption de grossesse sont plus souples.
Mais la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe v. Wade, mettant fin au droit à l’avortement aux États-Unis. De ce fait, l’Ohio a soudainement interdit l’avortement passé un délai de six semaines, et la perspective de nouvelles restrictions dans d’autres États voisins se profilent à l’horizon.
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C’est pourquoi, avec le soutien de Hasidah, une fondation juive pour la fertilité qui offre des subventions et des conseils aux familles juives confrontées à l’infertilité, Kristin et Shai ont décidé de faire appel à une mère porteuse au Canada.
« Il était plus logique de protéger la sécurité d’une mère porteuse qui accepterait de faire ce geste merveilleux, de nous faire ce cadeau extraordinaire, et de s’assurer que sa vie soit protégée plutôt que celle d’un fœtus ou d’un amas de cellules qui n’est même pas encore un enfant », a déclaré Kristin à la Jewish Telegraphic Agency. Elle a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué pour des raisons de confidentialité.
Leur changement de plan n’est que l’un des nombreux scénarios auxquels les organisations juives d’aide contre l’infertilité sont confrontées alors que les Américains sont contraints de s’adapter à la réalité de « l’après-Roe ». Ces organisations ont pour objectif principal d’aider à la procréation, et non de mettre fin à des grossesses. Mais l’inquiétude est grande ; les nouvelles lois pourraient porter atteinte aux techniques de procréation assistée, la fécondation in vitro, en particulier. L’arrêt Dobbs porte atteinte à leur travail, et poussent leurs clients dans la tourmente.
« Si vous avez été sujet à l’infertilité, c’est déjà bien assez effrayant », a déclaré Idit Solomon, rabbin, PDG et fondatrice de Hasidah. Pour eux, c’est bien réel : « Lorsqu’ils seront déjà en plein processus, que se passera-t-il si … ? ».
Solomon se souvient avoir rencontré un couple du Texas qui avait entamé le processus de gestation pour autrui (GPA) peu après l’arrêt Dobbs.
« En réalité, je ne les ai pas conseillés », a dit Solomon. « Je leur ai juste demandé : ‘Avez-vous pensé à suivre ce processus ?’. Et ils m’ont interrompu : ‘Nous allons faire appel à une mère porteuse hors de l’État' ».
Hasidah est l’un des nombreux groupes qui ont émergé ces dernières années pour aider des familles juives à remplir la mitzva d’être fécond et de se reproduire. Fort des préoccupations relatives à la fertilité, Israël subventionne les couples infertiles afin qu’ils puissent avoir jusqu’à deux enfants par FIV, quel que soit le nombre de tentatives nécessaires. Israel, est à ce jour, le leader mondial en matière de FIV.
Aux États-Unis cependant, le processus peut coûter en moyenne 20 000 dollars par tentative, ce qui en fait un lourd fardeau financier pour de nombreuses familles. Hasidah, Puah America et une poignée d’autres fondations prennent en charge les coûts tout en offrant un soutien tout au long de ce processus éreintant.

Couronnée de succès pour la première fois en 1978, la FIV réunit des ovules et des spermatozoïdes en laboratoire pour créer des embryons en dehors de l’utérus. Les embryons sont ensuite surveillés pendant plusieurs jours afin d’évaluer ceux qui ont le plus de chances d’aboutir à une grossesse réussie. Il est également possible de dépister les maladies génétiques chez les embryons afin que seuls les embryons sains soient transférés – une aubaine pour les couples juifs d’origine ashkénaze, qui sont plus susceptibles d’être porteurs d’une multitude de maladies génétiques telles que la maladie de Tay-Sachs, une affection dégénérative qui entraîne la mort de l’enfant entre ses trois et ses cinq ans.
Selon une étude de la Fondation juive pour la fertilité, les juifs non orthodoxes présentent non seulement un risque plus élevé de maladies génétiques, mais aussi un taux d’infertilité global supérieur à la moyenne. On ne sait pas exactement pourquoi, mais une théorie veut que les couples juifs aient tendance à poursuivre des études supérieures à un rythme plus soutenu, ce qui les rend plus âgés en moyenne lorsqu’ils envisagent d’avoir des enfants ; au contraire, les juifs orthodoxes commencent à avoir des enfants en moyenne cinq ans plus tôt que les juifs dits « laïques » et ont généralement plus d’enfants, selon une étude Pew de 2021.
Les embryons hors de l’utérus ne sont soumis à aucune restriction en vertu des lois des États limitant l’avortement que l’arrêt Dobbs a autorisées, d’après de multiples analyses effectuées par des organismes de presse et divers groupes de défense. Mais on s’inquiète du fait qu’ils pourraient l’être à l’avenir, à mesure que les lois sont révisées et que les défenseurs de l’idée que la vie commence dès la conception gagnent du terrain.
Des préoccupations resurgissent. L’objectif de la FIV étant de créer autant d’embryons que possible, puis de transférer les plus sains dans l’utérus, il en résulte souvent beaucoup plus d’ovules fécondés qu’il n’est possible d’en utiliser. Certains opposants à l’avortement disent vouloir que ces embryons soient donnés, et non détruits.
Kristin a déclaré qu’elle et son mari prévoyaient de conserver leurs embryons au Canada par crainte d’un « scénario cauchemardesque » aux États-Unis, où ils perdraient toute autonomie sur leur propre ADN.
Selon les modifications apportées à la loi, si vous renoncez à vos embryons, la clinique s’octroie le droit de les placer dans le corps de quelqu’un d’autre. Ainsi, vous auriez alors des enfants sans même le savoir, des enfants que vous n’aviez pas prévu de mettre au monde
Selon les modifications apportées à la loi, si vous renoncez à vos embryons, la clinique s’octroie le droit de les placer dans le corps de quelqu’un d’autre. Ainsi, vous auriez alors des enfants sans même le savoir, des enfants que vous n’aviez prévu de mettre au monde », a-t-elle déclaré.
Bien que ce scénario soit, à l’heure actuelle, improbable, la question de savoir quoi faire des embryons non utilisés est cruciale pour les Juifs qui ont recours à la FIV.
Alors que la loi juive continue de s’adapter à la FIV, la plupart des avis rabbiniques s’accordent sur le fait que le don d’embryons est problématique selon la halakha, ou loi juive, en raison de la possibilité que cela puisse donner lieu à un inceste involontaire dans le futur. Ils s’accordent également pour dire qu’il est permis de détruire les embryons de façon « passive », à savoir en ne les réfrigérant pas, par exemple.
La FIV aboutit assez souvent à des grossesses multiples, qui sont plus dangereuses que les grossesses d’un fœtus unique. Les médecins conseillent parfois d’avorter de manière sélective un ou plusieurs fœtus afin de garantir des conditions plus saines pour ceux qui sont maintenus, et pour la personne enceinte. Étant donné que la loi juive permet et même exige de mettre fin à une grossesse lorsque la vie de la mère est en jeu, la réduction du nombre de fœtus est un scénario dans lequel de nombreuses autorités rabbiniques traditionnelles autoriseraient l’avortement. Mais dans les États où l’avortement a été interdit ou sévèrement limité, les avortements sélectifs risquent d’être limités voire impossibles.
« Les implications élevées de la FIV – financières, émotionnelles et physiques – associées aux nouveaux risques peuvent dissuader certaines familles juives de se lancer dans ce processus dans les États où l’avortement est soumis à de nombreuses restrictions », a déclaré Solomon.
« S’il y a autant d’enjeux, vous ne voudrez pas être dans un endroit où tout type de soins pourrait être remis en question », a-t-elle déclaré. « Vous voudrez minimiser les risques autant que possible ».
Les groupes juifs orthodoxes se sont montrés plus à l’aise avec l’arrêt Dobbs que les non orthodoxes, dont beaucoup ont fait valoir que la loi juive soutient l’accès sans entrave à l’avortement. Mais même les groupes de fertilité s’adressant aux juifs orthodoxes reconnaissent que le contexte a déjà changé pour certaines des familles avec lesquelles ils travaillent.
Puah America, une organisation juive de fertilité et de santé des femmes qui travaille avec des couples orthodoxes, n’a apporté aucun changement à la suite de l’arrêt Dobbs. Mais son directeur rabbinique, Elan Segelman, a déclaré qu’il pouvait s’attendre à des ajustements du soutien du groupe à l’avenir si la bonne voie à suivre selon la loi juive pour une famille s’avère entrer en conflit avec la loi de leur État.
« Bien sûr, en tant que Juifs américains et Juifs respectueux de la loi, nous ne dirions jamais à quelqu’un de faire quelque chose d’illégal », a déclaré Segelman. Mais, a-t-il ajouté, « la halakha est la halakha. La question est de l’appliquer. Cela peut simplement s’avérer être plus compliqué, en fonction de l’endroit où se trouvent les gens. »
La halakha est la halakha. La question est de l’appliquer. Cela peut simplement s’avérer être plus compliqué, en fonction de l’endroit où se trouvent les gens
Pour la Jewish Fertility Foundation, basée à Atlanta, l’arrêt Dobbs intervient un an après qu’une subvention a permis au groupe d’étendre ses activités à deux nouveaux États – l’Alabama et la Floride, qui figurent tous deux parmi les 23 États devant faire face aux nouvelles restrictions sur l’avortement à la suite de l’arrêt Dobbs. Aujourd’hui, la fondation surveille attentivement la manière dont ses clientes seront affectées dans leur désir d’avoir des enfants et propose même un temps dédié, lors des sessions régulières de soutien, à des discussions portant sur les implications de l’arrêt.
Mais l’organisation – qui n’est pas un groupe de défense et qui suit les conseils d’organisations non juives de soutien à la fertilité telles que RESOLVE – affirme que rien n’a changé sur le terrain et que ses clients poursuivront leurs traitements de fertilité à l’accoutumée.
« Nous ne savons pas ce qui va se passer et la situation pourrait être différente pour chaque État », a déclaré Rachel Loftspring, avocate et membre du conseil d’administration qui a contribué, il y a plusieurs années, à faire intervenir le groupe dans son État d’origine, l’Ohio. « Nous partageons donc ce que nous savons ».
Les groupes juifs qui soutiennent la fertilité sont maintenant rejoints par des groupes spécifiquement juifs qui visent à soutenir l’accès à l’avortement. Le National Council of Jewish Women (NCJW) et « Rabbis for Repro » (un groupe de rabbins américains qui se sont engagés à soutenir les droits reproductifs au sein de leurs congrégations) ont annoncé en mai qu’ils s’associeraient au Fonds national pour l’avortement (NAF) afin de collecter des fonds pour aider à financer les transports, les procédures d’avortement et la ligne d’assistance téléphonique du NAF.
Melissa Scholten-Gutierrez, rabbin orthodoxe d’Atlanta qui fait partie du conseil consultatif de « Rabbis for Repro », a déclaré que son expérience passée en tant qu’assistante sociale et éducatrice en santé prénatale lui a fait comprendre que l’avortement fait partie intégrante du processus de fertilité.
Scholten-Gutierrez a reçu son ordination rabbinique à la Yeshivat Maharat, la première yeshiva orthodoxe à ordonner des femmes comme membres du monde rabbinique. Le mot « rabbin » étant un terme masculin, Scholten-Gutierrez se fait appeler « rabba ».
Elle se souvient avoir conseillé une femme du Colorado qui avait découvert à mi-parcours de sa grossesse que son fœtus ne serait pas viable plus de quelques heures après la naissance. Mais à l’époque, la loi du Colorado ne permettait pas aux personnes bénéficiant de l’assurance maladie de l’État de se faire avorter lors d’une grossesse aussi avancée.
« Grâce aux personnes qui se sont battues pour cette femme, nous avons pu lui obtenir des soins et le médecin lui a proposé d’avorter gratuitement », a déclaré Scholten-Gutierrez. « Nous avons pu la faire soigner et je pense que cela lui a sauvé la vie. »
Il est clair que les groupes soutenant les familles juives qui cherchent à avoir un enfant ont un rôle à jouer pour les aider dans un contexte de plus en plus restrictif.
« Lorsque vous ne pouvez pas avoir d’enfants, cela soulève des questions sur votre identité », a déclaré Solomon. Les juifs dans cette situation, dit-elle, « ne veulent pas se tourner vers un groupe général. Ils ne veulent évidemment pas se tourner vers un groupe chrétien. Ils veulent être avec des gens qui sont en résonance avec ce qui est important pour eux. »
Pour Kristin et Shai, dont la mère est une rabba réformée, travailler avec des accompagnants juifs alors qu’ils ont entrepris d’avoir recours à une GPA, à une époque où la grossesse est devenue plus périlleuse dans leur propre État, est essentiel.
« Nos systèmes de valeurs et notre morale sont basés sur notre éducation juive », a déclaré Kristin. « Avoir une organisation juive qui non seulement nous aidera à travers le processus, mais qui nous aidera aussi à comprendre les meilleures façons de procéder pour protéger la mère porteuse est vraiment primordial pour nous. »
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