Ayman Odeh, député arabe, veut sauver la gauche israélienne, pas la rejoindre
Pour faire basculer Netanyahu, les partis arabes sont prêts à unir leurs forces avec d’autres partis d’opposition, déclare leur chef à la Knesset
Ayman Odeh n’a pas la tâche facile. Il est le premier à représenter à la Knesset tous les partis politiques arabes israéliens. Les partis, dont les membres peuvent être des communistes laïcs comme des musulmans pratiquants, se sont réunis sous l’appellation de Liste arabe unie pour se présenter aux élections de 2015. Cette fusion leur a permis d’obtenir les votes pour avoir plus de sièges à l’assemblée.
Sous la direction d’Odeh, avocat de 41 ans, qui a quitté la politique de la ville de Haïfa pour devenir président du parti Hadash, la Liste arabe unie a gagné 13 sièges, ce qui lui confère le statut de troisième parti à la Knesset. C’est ce spectre de l’influence israélo-arabe grandissante qui a conduit le Premier ministre Benjamin Netanyahu à mettre en garde, dans les derniers jours de sa campagne, contre les arabes qui « votaient en masse ».
Bien que les juifs américains libéraux et les médias américains aient ouvertement accueilli Odeh, musulman laïc et arabe modéré, c’est un accueil plus mitigé qui lui a été réservé auprès des politiques israéliens. Pendant la première session à la Knesset de la Liste arabe unie, qui s’est terminée en août, les membres du parti nationaliste arabe Balad, l’une des quatre factions de la Liste, ont été critiqués pour avoir rendu visite aux familles des terroristes palestiniens et pour avoir appelé les soldats israéliens des « meurtriers ».
La Liste arabe unie a été accueillie par des attaques populistes lors de la session plénière de la Knesset, y compris de la part de Netanyahu ; et par une nouvelle loi, autorisant la Knesset à récuser un député qui se montrerait favorable à la lutte armée contre Israël, ou qui tiendrait des propos incitant à la haine raciale.
De peur qu’Odeh ne profite trop de ses vacances, la police israélienne a arrêté plus de 20 militants et cadres de Balad la semaine dernière. Selon la police, une enquête aurait révélé des fraudes au sein du parti.
Odeh s’est entretenu lundi avec un journaliste de JTA dans un bureau emprunté à Tel Aviv, pour discuter de ses visions et projets politiques, et de celui qu’il lui reste à détrôner, Netanyahu, bien qu’il ait dit que la Liste arabe unie n’est pas encore prête à rompre avec la tradition arabe de ne pas prendre part au gouvernement.
Pour des raisons de longueur, ses propos ont été édités.
JTA : En tant que Palestinien et en tant qu’Israélien, quelle partie du récit sioniste acceptez-vous ?
Odeh : Il y a quelque chose de fondamental dans la théorie du sionisme que je ne peux pas accepter, et il y a quelque chose dans la pratique du sionisme que je ne peux pas accepter.
L’idée, c’est que l’antisémitisme est quelque chose de pérenne, et c’est pourquoi les juifs ne peuvent vivre mêlés aux autres nations. C’est quelque chose à laquelle je résiste, au plus profond de moi-même. C’est un exemple de la théorie du sionisme que je ne peux pas accepter.
Lorsque l’on parle de la pratique du sionisme, la première chose qui m’est inacceptable, c’est la Nabka, lorsque 90 % de notre peuple a fui ou a été expulsé durant la guerre [de 1948], et a tout perdu – ses maisons, ses terres. C’est notre catastrophe, à nous, peuple palestinien, et c’est l’un des premiers fruits du sionisme.
Mais j’accepte que le peuple juif soit un peuple, et qu’il mérite l’autodétermination. Je l’accepte. Je sais qu’aucun pays moderne ne s’est établi sans faute, sans causer de tort. C’est le cas de votre pays, des États-Unis [ce journaliste est américain], et du Canada par exemple.
Mais je pense que les pays qui reconnaissent leurs erreurs passées en ressortent renforcés. Je ne pense pas que cela peut causer du tort à la légitimité d’Israël ou à n’importe quel autre pays. Je pense que lorsque vous admettez vos fautes, cela vous rend encore plus légitime.
Pour nous, Palestiniens, je ne pense pas que nous devons nous dresser contre l’État d’Israël. Je pense que nous devons nous dresser contre les erreurs inhérentes aux pays, et qui nous ont été infligées par les institutions de l’État d’Israël. Ce qui est le plus important pour nous, c’est de comprendre que les deux peuples qui cohabitent ici ont des intérêts communs.
Votre question porte sur la symbolique. Mais je ne suis pas un homme de symboles. Je suis un homme de contenu. S’attarder sur les symboles, sur les slogans, c’est le discours typique de celui qui ne veut pas trouver de solutions.
Etes-vous concentré sur l’égalité pour les Arabes israéliens ?
Notre situation est très complexe. Nous ne cherchons pas seulement l’égalité. Nous voulons la fin de l’occupation et l’institution d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël. Je veux l’égalité pour les citoyens arabes d’Israël. Je veux une justice sociale pour tous. Je veux la parité absolue et l’égalité pour toutes les orientations sexuelles. Je veux protéger l’environnement.
Je suis un citoyen, mais je suis aussi un Palestinien, et par-dessus tout, je suis un être humain. Au gouvernement, et à droite en générale, on ne me reconnait ni comme l’un ni comme l’autre.
Qu’est-ce que c’est que d’être un arabe israélien ?
Les deux peuples sont des peuples fiers. Nous avons tous deux un passé riche. Les juifs sont le peuple du Livre, le peuple des prophètes, des Prix Nobel, des intellectuels, comme Marx, Freud, Kafka, Spinoza et Einstein, le meilleur d’entre eux.
Et les arabes étaient les maitres du monde avant même l’empire romain, et plus que tous les autres empires dans l’histoire de l’humanité. Ils ont construit la civilisation, le début du savoir.
Le peuple juif est aujourd’hui le peuple le plus fort. Mais quelque part, il a toujours peur. Et les arabes sont en position de faiblesse, mais pensent toujours être les plus forts. Donc le peuple juif, bien qu’étant la majorité, se comporte comme une minorité de bien des manières. Et les arabes, la minorité, ont le sentiment d’être la majorité. Le gouvernement met même en avant des lois pour protéger les droits collectifs de la majorité, des juifs.
Tout ce que nous avons dit est, en réalité, un détail. Je pense que le plus important est de croire en l’humanité. Je sais que quand je dis cela, les gens pensent que je suis naïf. Mais allez dire à Martin Luther King ou à Malcom X que dans 40 ans, ils auront un président noir ? Celui qui aurait dit ça serait passé pour un fou.
Est-ce que je crois que ça peut se produire ici ? D’une certaine manière, ça a déjà commencé.
Je me souviens combien nous haïssions Rabin lorsque, lors de la première intifada, il avait encouragé à tuer le peuple palestinien. Deux ans après, il s’était rendu à la Maison Blanche, avec Yasser Arafat, ils ont échangé une poignée de main, et entamé le processus de paix.
C’est pourquoi je pense que l’on ne peut pas ne pas y croire. Je viens ici, à Tel Aviv, je marche dans la rue. J’entre dans ces bureaux. Tout le monde est juif, pratiquement, et nous nous enlaçons et nous sommes amis. C’est la vie, et la vie est plus forte.
Mais la gauche de Rabin n’existe plus. Pourquoi croire que la paix et l’égalité sont proches ?
C’est l’une des tâches les plus ardues qu’il m’ait été donné de gérer. Je dois faire en sorte que la minorité arabe soit perçue comme une puissance électorale importante, qui peut changer la trajectoire d’Israël.
À mes côtés, il y a quelqu’un d’autre qui comprend la puissance qu’à la communauté arabe entre les mains. Cet homme, c’est Benjamin Netanyahu, le Premier ministre. Il ne veut pas nous légitimer dans l’arène politique afin que nous puissions prendre part au processus décisionnel, pour le bien de son siège.
Il comprend que nous constituons 20 % des citoyens d’Israël, C’est beaucoup, pour une minorité. Il suffirait que 30 % de la population se joigne à nous, et nous pourrons décider, ensemble de la trajectoire que nous donnerons à ce pays, dans une toute autre direction.
Vous ne pourrez pas me convaincre que ces 30 % d’israéliens qui veulent et croient en la paix et en l’égalité n’existent pas. Je ne peux pas le croire.
Comment prévoyez-vous de légitimer les arabes comme force politique en Israël ?
Je pense que cela peut-être un projet pour tous les partis de l’opposition, pas seulement le nôtre. S’ils veulent récupérer le gouvernement, ils doivent se joindre à nous dans cette lutte, pour légitimer la communauté arabe. Et s’ils ne le font pas, nous ne serons pas les seuls perdants. Ils perdront, eux aussi. La seule personne qui sera gagnante dans ce scénario, c’est Netanyahu.
C’est quelque chose auquel nous œuvrons en ce moment. Nous rencontrons les partis de l’opposition, et tentant de nous mettre d’accord sur un programme à ce sujet.
A quoi ressemblerait ce programme ?
Premièrement, tous les partis de l’opposition devraient en parler, que Netanyahu chercher à délégitimer la minorité arabe, et qu’ils sont citoyens de ce pays, et qu’ils devraient pouvoir jouir de l’égalité citoyenne. Et je pense que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur un argument général de paix et d’égalité. Je sais qu’il s’agit d’un programme général. Si on se penche sur les détails, nous avons des divergences, mais je pense que l’on peut s’accorder sur le cadre.
La Liste arabe unie voudra-t-elle prendre part au gouvernement, chose encore inédite pour un parti arabe ?
Nous n’avons jamais fait partie d’une coalition. Du temps de Rabin seulement, nous avons maintenu le gouvernement depuis l’extérieur. Nous lui avons donné un filet de sécurité. Et je peux vous dire qu’il y a un accord quasi-total dans la communauté arabe pour dire que cette époque était la plus belle époque au parlement pour la communauté arabe. Mais nous ne sommes pas encore prêts en entrer dans une coalition. En revanche, si le retour de la droite au pouvoir dépend de nous, nous n’allons pas rester en marge. Cette réponse vous convient ?
Je ne sais pas. On dirait que la distinction est plutôt symbolique, pour quelqu’un qui n’est pas un homme de symboles. Êtes-vous personnellement prêt à rejoindre une coalition ?
La communauté arabe n’est pas en mesure de parler d’une coalition, n’y même d’y penser.
Est-ce que les mots et les actions de certains membres de la Liste Unifiée rendre la légitimation difficile ? Je pense notamment à Balad.
A mon sens, Balad est un allié stratégique pour la Liste arabe unie. Toutes les incitations du gouvernement ne nous ferons pas repousser ce parti. Balad n’est pas à la tête de la Liste arabe unie. Ils ne sont pas le visage de la Liste arabe unie. Ils ne sont pas les décisionnaires au sein de la Liste arabe unie. Mais ils sont un élément important de la Liste arabe unie.
Au bout du compte, ils croient en des valeurs universelles. Ils luttent de façon démocratique. Ils ont choisi de se rendre à la Knesset. Et ils se tiennent sur l’estrade de la Knesset avec tous les symboles sionistes. C’est pour cela que je n’accepterai jamais le point de vue qui les considère extrémistes. Et c’est aussi pourquoi je persiste à croire qu’ils sont des alliés de taille pour la Liste arabe unie.
Y compris Hanin Zoabi, députée du parti Balad ?
Y compris Hanin Zoabi.
La violence est-elle un élément légitime de la lutte palestinienne ?
Je la condamne tout le temps. Je veux que ça soit le plus clair possible. Chaque fois que l’on s’en prend à un civil, on s’attaque à l’humanité. Blesser des civils n’est pas seulement moralement mal. C’est aussi politiquement mal pour les palestiniens.
Et qu’en est-il des soldats ?
Je ne pense pas que les soldats doivent être là. Mais, derrière l’uniforme, je vois la personne.
Je vois leurs pères et mères. Les personnes qui veulent résoudre ce problème et mettre un terme à la violence, doivent mettre un terme à l’occupation.
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