Ballottés d’une guerre à l’autre, les Syriens réfugiés au Liban rentrent chez eux
Les réfugiés n'étaient pas très bien accueillis dans le pays du Cèdre en proie à une crise économique grave aggravant un discours xénophobe

Dix ans après avoir fui vers le Liban la guerre qui ravageait son pays, le Syrien Ahmad Moustafa a de nouveau vécu le cauchemar de l’exil, reprenant le chemin inverse pour échapper aux bombes israéliennes.
« Nous allons d’une guerre à l’autre », résume avec lassitude cet homme de 46 ans après avoir franchi avec sa femme et ses trois enfants la frontière syrienne dans la région de Qousseyr.
Moustafa n’a pas oublié le jour où il a quitté sa ville natale de Raqqa, dans le nord-est de la Syrie, tombée en 2013 sous le contrôle des jihadistes du groupe terroriste sunnite de l’État islamique (EI).
« Nous avons fui juste avec les habits que nous portions », raconte Moustafa.
« Et maintenant c’est la même chose au Liban, nous avons dû partir sous les bombes, pour sauver nos vies », et quitter en toute hâte la localité libanaise de Wazzani, non loin de la frontière israélienne dans le sud du Liban.
« Nous repartons de zéro, encore une fois », soupire le Syrien, interrogé à bord d’un bus affrété par un homme d’affaires de Raqqa.

Il espère pouvoir loger avec sa famille chez des proches, dans la ville qu’ils ont quittée il y a une décennie.
Le Liban a accueilli des centaines de milliers de Syriens – deux millions de réfugiés, selon les autorités, 770 000 recensés par l’ONU – après le début de la guerre civile en 2011. Le mot « accueillir » n’est pas tout à fait idoine dans le sens où les réfugiés syriens n’ont pas toujours été les bienvenus au Liban, plongé dans une crise sociale et économique majeure – les responsables politiques multipliant les appels à les renvoyer dans leur pays d’origine.
Depuis 2019, le Liban est englué dans une profonde crise économique, et un habitant sur trois vit dans la pauvreté, selon l’ONU. Les autorités libanaises affirment que le pays ne peut plus supporter la présence des réfugiés syriens, surtout dans les régions les plus pauvres comme le nord.
Dans ce contexte, aggravé par une crise politique en raison de l’incapacité des dirigeants libanais à s’entendre, le discours xénophobe de certains hommes politiques s’était accentué à l’approche d’une conférence annuelle sur la Syrie prévue à Bruxelles le 27 mai.
Début mai, l’Union européenne (UE) avait annoncé une aide d’un milliard d’euros au Liban, appelant Beyrouth à coopérer dans la lutte contre l’émigration clandestine vers Chypre, porte d’entrée de l’UE.
Mais le chef du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah de l’époque, Hassan Nasrallah, avait appelé quelques jours plus tard le gouvernement à « ouvrir la mer » aux bateaux de migrants pour faire pression sur l’Europe, accusée de vouloir maintenir les réfugiés syriens au Liban.
Les autorités libanaises affirment avoir intensifié les campagnes pour rechercher les Syriens sans permis de séjour, fermer leurs commerces et les forcer à évacuer leurs maisons.
À la mi-mai, quelque 300 Syriens ont été rapatriés, en coordination avec le régime de Damas, qui reste réticent à un retour massif de ses citoyens.
Sahar Mandour, chercheuse à Amnesty International, fait état « de campagnes d’incitation à la haine, de restrictions légales et de mesures inédites » de la part des autorités libanaises « pour restreindre la délivrance de permis de séjour ».
Ainsi, « la plupart » des réfugiés se retrouvent « dans une situation illégale » au Liban.
De manifestations populaires réprimées par le gouvernement du dictateur syrien Bashar el-Assad, le conflit a muté en un affrontement impliquant des puissances régionales et internationales, le Hezbollah libanais, la Russie et l’Iran ayant aidé Assad à se maintenir au pouvoir.
Treize ans et des centaines de milliers de morts plus tard, le pays est morcelé et en miettes économiquement, toujours secoué par des combats dans certaines zones.
« Une souffrance sans fin »
Au Liban, la guerre est revenue il y a un an, lorsque le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah a ouvert dans le sud un front de soutien au Hamas à Gaza dans le cadre de la guerre contre le groupe terroriste palestinien, déclenchée par le pogrom perpétré par ce dernier le 7 octobre sur le sol israélien.
Le début de la campagne de bombardements massifs d’Israël sur les fiefs du Hezbollah dans le sud, l’est du Liban et la banlieue sud de Beyrouth a déplacé des centaines de milliers de personnes dans le pays. Quelque 310 000, en majorité des Syriens, ont franchi la frontière entre le Liban et la Syrie depuis le 23 septembre, selon les autorités libanaises.
Jaafar al-Ali, 53 ans, fait partie de cette vague de réfugiés syriens aujourd’hui de retour.

Lui et sa famille avaient aussi fui Raqqa en 2014, l’année où cette ville est devenue la « capitale » du « califat » instauré par le groupe terroriste sur de vastes portions de territoires en Syrie et en Irak.
Après des années de régime de terreur et d’atrocités, les terroristes de l’EI ont été chassés par une coalition internationale dirigée par les Etats-Unis et menée sur le terrain par les forces kurdes syriennes. Le « califat » a été défait en 2019, mais les terroristes de l’EI sont toujours actifs en Syrie et en Irak.
« C’est une souffrance sans fin, d’un déplacement à l’autre », lâche Jaafar al-Ali, en attendant un bus qui doit le ramener dans sa ville natale.
« Nous allons à Raqqa pour y dormir dans la rue », ajoute-t-il avec amertume. « Je n’ai plus rien là-bas. Plus de familles, plus de proches, plus de maison. »
Jaafar jette un regard triste sur son fils de 13 ans, Mouayad. « Il n’a connu que la guerre et les déplacements. Il n’a pas reçu d’éducation et ne sait ni lire ni écrire », dit-il.
« La mort me traquait »
Bachar Hamaydi, 25 ans, avait payé une fortune pour fuir Raqqa en 2016. Il a fui la zone de Wazzani dans le sud du Liban sous le son des bombes. « Nous avons vu des cadavres sur la route » menant du sud du Liban à la frontière syrienne, raconte-t-il.
Plusieurs de ses voisins sont morts dans les frappes israéliennes.
« J’avais le sentiment que la mort me traquait. Je me retournais pour voir si elle nous suivait, moi et ma famille. Je n’oublierai jamais les cris de mes enfants. C’était un jour de terreur dont je me souviendrai toute ma vie », ajoute-t-il.