Budget : 280 économistes mettent (sérieusement) en garde le gouvernement
Selon d'anciens hauts fonctionnaires, le financement prévu de bons alimentaires et d'écoles non réglementées constitue une "menace existentielle pour l'avenir d'Israël"
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
L’allocation de milliards de shekels de fonds de coalition qui serviront principalement à accroître le soutien aux institutions et aux programmes ultra-orthodoxes menace de transformer Israël en un pays du tiers-monde, a averti dimanche un groupe de 280 experts en économie.
Dans une lettre signée par des économistes de haut niveau, le groupe a exhorté le gouvernement à « revenir à la raison » et à reconsidérer l’allocation de fonds discrétionnaires d’une valeur d’au moins 13,7 milliards de shekels qui ont été promis pour répondre aux engagements de la coalition. Les fonds discrétionnaires font partie du budget de l’État 2023-24 qui sera soumis au vote cette semaine, et qui doit être approuvé avant le 29 mai pour éviter de déclencher de nouvelles élections législatives.
« Nous, experts dans les domaines de l’économie et de la gestion (…) avertissons que le transfert de fonds qui font partie des accords de coalition reflétés dans le prochain budget devrait causer des dommages importants, et à long-terme à l’économie d’Israël et à son avenir en tant que pays prospère », ont écrit les économistes. « L’allocation des fonds de la coalition est actuellement accordée pour des considérations politiques à court-terme, mais elle transformera Israël à long-terme d’un pays développé et prospère en un pays en régression dans lequel une grande partie de la population n’a pas les compétences de base pour vivre dans le XXIe siècle. »
Les économistes ont cité l’augmentation « sans précédent » des fonds alloués aux établissements scolaires ultra-orthodoxes non officiels, qui ne sont pas soumis au contrôle du ministère de l’Éducation et n’enseignent pas les matières fondamentales telles que les mathématiques, les sciences ou l’anglais. Ils s’inquiètent également du coup de pouce financier accordé aux étudiants de yeshiva et de la distribution prévue de bons alimentaires, par des canaux extérieurs au système normal de protection sociale, sans condition d’emploi.
La somme d’argent connue sous le nom de « fonds de coalition » a été distribuée ces dernières années à partir du budget de l’État pour répondre aux demandes des partis et est devenue une condition de leur soutien pour l’adoption du budget. Ces derniers mois, le Likud, le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait de généreuses promesses pour s’assurer le soutien de ses partenaires de coalition ultra-orthodoxes et d’extrême-droite.
Sur les 13,7 milliards de shekels de fonds de la coalition, environ 3,7 milliards de shekels seront consacrés à l’augmentation du budget des allocations versées aux étudiants en yeshiva. Un autre montant de 1,2 milliard de shekels est prévu pour les établissements d’enseignement privés non supervisés, qui n’enseignent pas non plus les matières principales. Environ 1 milliard de shekels est destiné à financer le programme de bons alimentaires mis en place par le chef du Shas, Aryeh Deri.
Au cours du week-end, la faction Agudat Yisrael du parti Yahadout HaTorah, dirigée par Yitzchak Goldknopf, a menacé d’empêcher l’adoption du budget de l’État si les demandes de 600 millions de shekels supplémentaires n’étaient pas satisfaites.
« Ces mesures empêcheront les enfants haredim d’acquérir les compétences de base essentielles à leur intégration sur le marché du travail dans une économie développée et réduiront l’incitation des étudiants haredim à entrer sur ce marché », affirment les économistes dans la lettre. « Les enfants doivent recevoir une éducation qui leur permette de s’intégrer au marché du travail et les diplômés doivent être incités à rejoindre le marché du travail. »
« Malheureusement, non seulement le gouvernement israélien ne s’occupe pas de cette question, mais il choisit également des mesures qui exacerbent le problème », peut-on lire dans la lettre.
Parmi les signataires de la lettre figurent des universitaires de haut niveau, dont l’ancien conseiller économique de Netanyahu et chef du Conseil économique national, le professeur Eugene Kandel ; le professeur Omer Moav, ancien conseiller du ministre des Finances ; le professeur Avi Ben Bassat, ancien directeur du ministère des Finances ; le professeur Udi Nisan, ancien responsable du budget au ministère des Finances ; et le professeur Manuel Trajtenberg, qui a occupé toute une série de postes clés au sein du gouvernement.
Un groupe d’anciens gouverneurs adjoints de la Banque centrale d’Israël ont également signé la lettre : Avia Spivak, Nadine Trajtenberg, Zvi Eckstein et Meïr Sokolov, ainsi que d’autres anciens hauts fonctionnaires de la Banque d’Israël.
La Knesset se prépare cette semaine à voter le budget de l’État 2023-2024, qui prévoit 484,8 milliards de shekels cette année et 513,7 milliards de shekels en 2024, contre 452,5 milliards de shekels en 2022.
« Aujourd’hui déjà, près d’un quart des enfants n’ayant pas atteint l’âge de la scolarité sont nés dans des familles haredim, et ce pourcentage devrait doubler d’ici 2050 », peut-on lire dans la lettre. « Le fait de nuire à la capacité du public haredi à s’intégrer dans un marché du travail moderne nuira avant tout à la situation économique du public haredi lui-même, réduira les chances des adultes haredim de gagner décemment leur vie et augmentera le taux de pauvreté au sein de la population haredi. »
La semaine dernière, le ministère des Finances a lancé un avertissement selon lequel l’allocation des fonds promis par la coalition pourrait entraîner une perte de milliers de milliards de shekels de PIB dans les années à venir, si cette mesure entrave l’intégration de la population ultra-orthodoxe sur le marché du travail.
Le ministère des Finances a estimé que si le taux d’emploi de la population ultra-orthodoxe ne change pas, la perte de PIB cumulée d’ici à 2060 devrait s’élever à 6,7 milliards de shekels.
« Ce n’est pas seulement la population ultra-orthodoxe qui sera lésée : lorsqu’un pourcentage important d’enfants israéliens n’acquiert pas les compétences de base, il est évident qu’Israël ne pourra pas continuer à faire partie des économies développées du monde », ont écrit les économistes dans la lettre du dimanche. « Le prix socio-économique se reflétera non seulement dans la perte de PIB, mais aussi dans le fait que l’économie aura du mal à fournir aux résidents israéliens des services de santé, d’éducation, de transport et de protection sociale au niveau d’une économie avancée. »
La lettre met en garde contre le fait que « la tendance actuelle à la croissance de la population haredi, qui double tous les 25 ans, et le fait que les enfants haredim ne parviennent pas à acquérir les compétences de base essentielles à l’intégration dans un marché du travail moderne, constituent une menace existentielle pour l’avenir d’Israël, car seuls les pays avancés peuvent financer les technologies militaires nécessaires pour protéger leurs résidents contre les menaces sur le futur champ de bataille ».