Israël en guerre - Jour 496

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Ce tramway où la peur prend le dessus sur la coexistence

Depuis les hostilités de cet été, les passagers, Juifs et Arabes, du tramway de Jérusalem ressentent une tension qui est montée d’un cran

Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes

Une police israélienne se tient devant une scène de crime à Pisgat Zeev en 2012. (Crédit : Uri Lenz/FLASH90)
Une police israélienne se tient devant une scène de crime à Pisgat Zeev en 2012. (Crédit : Uri Lenz/FLASH90)

Zemira Tahan a réfléchi à deux fois avant de monter dans le wagon. Nous sommes à Pisgat Zeev, au nord de Jérusalem.

« Mes enfants me disent : ‘C’est effrayant là, pourquoi continuer ?’ » dit-elle au Times of Israel alors que le tram fait son chemin vers le sud et le centre-ville. Il a été la cible de jets de pierres à trois reprises ce matin. « Mais je me dis : si je ne monte pas, et si vous ne montez pas, et si personne ne monte, le train peut ne plus s’arrêter à Pisgat Zeev. Nous avons attendu plusieurs années pour ce tramway et nous voulons aussi en profiter ».

Tahan n’est pas la seule habitante de Jérusalem à se méfier de monter à bord du tramway ces jours-ci. Considéré comme une oasis de coexistence dans une ville en conflit lors de son inauguration il y a trois ans, le tramway transporte environ 130 000 passagers par jour le long de 14 km. La route va de Pisgat Zeev au nord-est de la ville jusqu’au Mont Herzl, au sud-ouest, et traverse les quartiers palestiniens de Shuafat et de Beit Hanina.

Mais quand des émeutes ont éclaté dans les zones palestiniennes de Jérusalem début juillet après l’assassinat de Mohammad Abu Khdeir – dans une attaque perpétrée par des extrémistes juifs après que les corps des trois adolescents israéliens aient été retrouvés en Cisjordanie – l’infrastructure du tramway de Shuafat a été la première à être prise pour cible.

Les émeutiers ont mis le feu aux stations et aux distributeurs de billets ; ils ont même essayé de faire tomber un poteau électrique à l’aide d’une meuleuse. Le tramway s’est arrêté de fonctionner au niveau de la station de Givat Tsarfatit [avant les quartiers arabes] pendant une semaine, alors que la police et la mairie évaluaient les dégâts.

Le tramway a continué à être la cible des Palestiniens pendant l’opération Bordure protectrice, mais la violence n’a pu s’éteindre même après la conclusion du cessez-le-feu. Selon la police de Jérusalem, 13 cas de jets de pierres ont été signalés entre le 7 septembre et le 28 septembre, avec deux personnes arrêtées et une inculpée.

Les jets de pierres sont devenus si menaçants qu’une police spéciale a été créée récemment à Jérusalem pour lutter contre le phénomène.

Dans une interview révélatrice à la radio israélienne mardi, Yaron Ravid, le PDG de CityPass, la société qui exploite le tramway, a déclaré que la police lui avait demandé de ne pas rendre publiques les attaques sur le tramway, en faisant valoir que l’attention des médias ne ferait qu’encourager les délinquants.

CityPass a déclaré à Ynet le 16 septembre que 95 attaques avaient été menées contre le tramway depuis le mois de juillet, la plupart du temps le soir.

Citypass a été contraint de mettre 30 % de ses trains (7 sur 23) hors service en raison des dommages causés par des jets de pierres, et estimé ces mêmes dommages à 35 millions de shekels (7,5 millions d’euros). Un porte-parole de la municipalité de Jérusalem a informé le Times of Israel que toutes les voitures étaient maintenant équipées de fenêtres antichoc, résistantes aux pierres.

Attendant à la gare de Givat Hamivtar, près du mont Scopus, Achraf Kheiri, 23 ans, est étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il déclare que les jets de pierres sont une réaction palestinienne à la négligence actuelle de la part de la municipalité de Jérusalem et de la police.

« Il n’y a pas d’autre moyen de protester, » estime-t-il. « Mettez-vous à leur place. Ils n’ont rien et ils veulent réagir à l’assassinat d’Abu Khdeir. Que feriez-vous ? En ce qui les concerne, personne ne prend soin d’eux ».

« Je ne ferai jamais une chose pareille, » explique-t-il avec emphase. « Vous savez pourquoi ? Parce que le tramway, je l’utilise tous les jours. S’il est bloqué, je ne peux pas rentrer chez moi ».

Dans un train bondé, Monica, une guide de Pisgat Zeev de 48 ans, affirme qu’elle évite de prendre le tramway le soir, lorsque les risques de jets de pierres augmentent.

« Ce n’est pas une question de manque de sécurité, mais je peux sentir l’hostilité dans les trois stations des quartiers arabes [le tramway les dessert une fois qu’il quitte Pisgat Zeev]. C’est effrayant » dit-elle au Times of Israel. « Être attaqué avec des pierres ou des cocktails Molotov est une expérience que je ne veux pas vivre ».

Le journal local de Pisgat Zeev a commencé à évoquer le tramway comme « les montagnes russes » et un groupe de résidents a appelé à un boycott jusqu’à ce que le tramway passe à l’écart des quartiers palestiniens problématiques. Monica affirme néanmoins qu’elle est opposée à une telle idée.

« En ce moment, la coexistence est une illusion, mais cela a marché au début. Je crois que nous allons revenir à cette situation, mais un certain temps doit passer. Les deux parties doivent être plus tolérantes ; et ça ne se produit pas du jour au lendemain ».

Malgré les inquiétudes, les Juifs et les Arabes sont bien « mélangés » ce mardi : le bavardage bruyant des écolières voilées arabes voisines avec les conversations de femmes israéliennes à la voix rauque sur leurs téléphones portables. Un garde de sécurité en kaki arpente lentement le quai ; le haut-parleur annonce la prochaine station en hébreu, en arabe et en anglais.

Ce que les Israéliens appellent la rakevet [le train en hébreu] est devenu une expérience effrayante, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Arabes, quoique pour des raisons différentes.

Depuis l’enlèvement et l’assassinat des trois adolescents israéliens en juin, les Palestiniens – en particulier les femmes voilées – ont fait état d’une forte augmentation des agressions verbales et physiques, dans ce qui demeure l’un des seuls lieux de contact étroit entre Juifs et Arabes dans la ville. Une vidéo d’une attaque verbale sur une femme palestinienne a été téléchargée sur YouTube et a commencé à devenir virale.

A la station de Shuafat, Khawla, une femme au foyer de 41 ans, a accepté de parler de ses expériences dans le tramway mais s’excuse d’avance de devoir descendre à la station suivante pour acheter un billet. Les distributeurs n’ont toujours pas été réparés depuis qu’ils ont été vandalisés, et elle ne veut pas avoir à payer une amende. Elle a cessé d’utiliser le tramway lorsque l’adolescent palestinien a été tué ; elle s’est remise à voyager il y a deux semaines quand la charge financière des taxis est devenue trop lourde pour elle.

« J’ai cessé d’utiliser le tramway, car il est devenu trop dangereux avant même [l’assassinat de] Abu Khdeir » déclare-t-elle. « Il y avait des slogans écrits sur nos murs à Shuafat qui disaient ‘Méfiez-vous des enlèvements d’enfants’ ».

Une fois, à une station de tramway, des jeunes ont harcelé Khawla et son fils avec des chants nationalistes, dit-elle. Deux semaines plus tard, un adolescent juif a craché sur le garçon alors qu’elle quittait le centre commercial de Pisgat Zeev avec lui.

« La situation s’est aggravée à tous les niveaux, » estime-t-elle, notant qu’à un moment donné au cours des dernières mois, elle appelait son autre fils – qui travaille comme chauffeur de camion dans la partie juive de Jérusalem cinq ou six fois par jour pour s’assurer qu’il allait bien. « J’ai vraiment vécu une période de tension ».

La présence accrue de la police et de la sécurité ferroviaire n’a pas donné à Khawla un sentiment de sécurité ; bien au contraire.

« La police n’a pas quitté la région depuis les émeutes. Il y a deux jours un jeune de 16 ans de l’école de mon fils a été battu et arrêté, » dit-elle. « Je ne laisse pas mon fils quitter la maison. Je crains pour son avenir si jamais on l’arrête ».

Khawla a déploré la situation des Palestiniens de Jérusalem qui, selon elle, sont rejetés à la fois par la mairie de Jérusalem et par l’Autorité palestinienne.

Comme Khawla, Hagit Balas, une résidente juive de Pisgat Zeev de 32 ans, a pris, elle, le tramway mardi pour la première fois depuis un mois et demi avec son jeune fils. Elle a dit qu’elle avait été témoin de nombreux cas où des Juifs avaient provoqué les Arabes « sans raison » en en venant même parfois aux mains.

Mais si cela ne tenait qu’à elle, Khawla – comme les autres résidents palestiniens de Jérusalem – devrait avoir un accès limité au tramway.

« Je pense que la séparation est justifiée et qu’il ne devrait pas passer à travers Shuafat » dit-elle.

« Je ne suis pas raciste ou quoi que ce soit, mais ils ne montrent aucune volonté de vivre en paix. S’ils brûlent leurs propres stations dans leurs quartiers et recommencent à lancer d’autres émeutes, et si nous vivons dans la peur dans notre propre ville, qu’est-ce qui nous reste ? ».

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