Comment les Juifs de Berlin restent créatifs pendant la pandémie
Du spirituel au culinaire, la vie juive dans la capitale allemande tente de s'adapter à la réalité créée par les mesures d'urgence en pleine crise sanitaire

BERLIN (JTA) — La capitale allemande n’a pas toujours été confinée au même niveau que ses voisines française ou italienne, ni même comme d’autres régions allemandes, telles que la Bavière. Mais les mêmes mesures d’urgence s’appliquent au quotidien.
Les restaurants sont fermés, sauf pour les commandes à emporter et la livraison. Les écoles ont fermé, tout comme les institutions religieuses, et les spectacles ont été annulés.
Néanmoins, les Berlinois, connus pour leur créativité, se sont adaptés grâce justement à cette inventivité qui les caractérise. La vie juive – qu’elle soit spirituelle ou culinaire – change rapidement, mais, d’une certaine manière, prospère.
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Laurel Kratochvila, originaire de Boston, a lancé en 2013 Fine Bagels, pour perpétuer la tradition culinaire juive à Berlin.
« Je le décrirais comme une boulangerie et un café juif moderne », dit-elle. « On passe un peu inaperçu, c’est vrai, mais si vous savez ce que l’on propose, vous comprenez, les bagels, les rugelach et ce genre de choses. »
Fine Bagels s’est implanté dans le quartier terne mais chic de Friedrichshain. A l’intérieur, les clients peuvent prendre un café et un bagel entourés de livres, notamment une sélection d’ouvrages sur la ville et sur la cuisine juive.
Quand la pandémie a frappé et que les restrictions sur les commerces ont été instaurées, Laurel Kratochvila a suggéré à son mari et partenaire commercial Roman qu’ils devaient trouver un moyen de faire des livraisons.

Ils ont créé une page spécifique « Corona Deliveries! » avec une sélection de leurs bagels, livres et pâtisseries et malgré la pénurie de levure, ils ont réussi à vendre leur ‘hallah de Shabbat, qui n’est proposée que le jeudi et le vendredi. La transition a été étonnamment douce.
« C’est drôle de voir comment nous avons réussi à instaurer une routine », se réjouit-elle. « On dirait que les choses ont toujours été ainsi ». »
Et la réaction des clients ?
« On dirait que les choses ont toujours été ainsi. »
Laurel Kratochvila la juge « incroyable », ajoutant que « nous n’avons jamais été aussi affairés, à travailler 12 heures pas jour, chaque jour ».
Ils livrent sur le palier des clients, qui peuvent demander un livraison sans contact humain, s’ils ont réglé par PayPal au préalable.
« Nous gagnons évidemment moins d’argent, mais je suis ravie parce que nous avons de quoi faire travailler nos équipes, et nous allons surmonter cette crise », estime Laurel Kratochvila.
La communauté religieuse évolue en ligne
Le rabbin Jonah Sievers de la synagogue Pestalozzistrasse indique que la pandémie a contraint les dirigeants religieux à « se renouveler ».
Sa synagogue libérale – ou réformée – a rapidement réagi à la fermeture des lieux de culte en proposant des offices en direct sur Facebook.
« Les réactions ont toutes été positives », assure-t-il, ajoutant que les fidèles ont apprécié de pouvoir rester connectés. « Je dois dire qu’il y a eu une créativité inédite… C’est agréable de rencontrer des gens, mais nous avons vu que l’on pouvait atteindre les gens et qu’il y avait un tout nouveau degré d’accessibilité. »

Le rabbin Rebecca Blady est venue à Berlin avec son mari, le rabbin Jeremy Borovitz, il y a quatre ans, pour lancer un projet éphémère devenu Base Berlin, un espace égalitaire juif pour jeunes adultes. Ils ont mis tous leurs événements sur pause depuis le 13 mars.
« C’était une décision difficile à prendre, parce que notre organisation met l’accent sur les réunions et l’expérience humaine du rassemblement », commente-t-elle. « Et nous ne sommes pas en mesure de le faire physiquement en ce moment, alors nous faisons le maximum pour continuer à construire une communauté spirituelle sans rencontres physiques ».
Comme Jonah Sievers, le couple a transféré la majeure partie de ses activités en ligne. Ils proposent des cours, des sessions de méditation et une prière de Havdalah enfin de Shabbat. Le côté positif, c’est la participation en hausse.

Rebecca Blady pense que la capacité à prendre part aux activités depuis chez soi a été bénéfique pour les personnes plus introverties. De plus, elle pense que des personnes vivant ailleurs qu’à Berlin, et qui n’auraient pas eu la possibilité de participer à un évènement de Base Berlin, participent aux activités en ligne.
« Je dirais, en moyenne, que les chiffres sont plus élevés », estime Rebecca Blady. « Je pense que les gens cherchent une communauté. Je pense qu’il y a un sentiment de solitude encore plus fort qu’avant la pandémie ».
Le supermarché casher a pris un coup
Lali Silber, gérante d’un supermarché casher à Lampari, dans le district de Charlottenburg, ne partage pas l’enthousiasme des autres.
« C’est très difficile », confie-t-elle depuis son domicile.
Son commerce, situé dans un quartier abritant d’autres magasins juifs et des synagogues, repose grandement sur les importations israéliennes, qui ont été reportées. En temps normal, Lampari fournit ces produits importés aux hôtels, aux restaurants, aux communautés et aux organisations dans toute l’Allemagne.

Lampari a été économiquement très touchée par la crise. Mais cette nouvelle réalité a permis au magasin de mieux se concentrer sur les besoins individuels de chaque client et de prévoir des livraisons.
« Nos employés s’investissent vraiment », se réjouit Lali Silber. « Pas tout le monde ne ferait ce que font mes employés. Ils risquent leur santé pour s’assurer que les gens aient leurs emplettes. Il n’est pas question d’argent en ce moment. Il est question de vie humaine ».
Le « Shabbat interminable » d’un musicien klezmer
Daniel Kahn, un musicien et compositeur klezmer yiddishophone de Detroit, voit le potentiel d’une transition sismique dans la société.
« C’est comme un Shabbat interminable », plaisante-t-il. « Mais avec l’électricité. »
Le joueur de guitare et d’accordéon estime en toute sincérité que le monde avait besoin de cette pause.
« Cette idée que le commerce s’effondre, que les marchés s’effondrent et qu’il ne reste rien, à part vos proches », dit-il. « On finit par s’accrocher aux liens fondamentaux que l’on peut avoir les uns avec les autres. »
Daniel Kahn est arrivé à Berlin à 2005, où il a ensuite rencontré sa femme Yeva Lapsker, danseuse et traductrice.

« Berlin est, d’une certaine manière, un carrefour entre l’Orient et l’Occident », décrit-il, où des artistes issus de différents milieux ont l’opportunité de collaborer. « C’est un espace de transit et un espace de refuge ».
Il a énuméré une liste d’ateliers, de concerts et de festivals klezmer annulés auxquels sa femme et lui auraient assisté.
« Normalement, nous voyageons tout le temps, vous savez, comme des tournées, nous allons à des festivals », explique-t-il. « Pour le moment, tout est l’arrêt, tout est incertain ».
Cela dit, Daniel Kahn a tout de même réussi à transposer certaines de ces activités en ligne. Il devait participer à un concert international et interconfessionnel et avait prévu de participer à un Seder de Pessah en yiddish. A la fin du mois, il proposera une performance solo pour le théâtre yiddish Folksbiene Theater de New York et une autre à Berlin.
« Je ne me soucie pas de monétiser tout ça », dit-il. « Je ne vois aucun moyen de remplacer efficacement un spectacle physique. »
Yeva Lapsker estime que les gens se fatigueront vite de tous ces cours en ligne et de ces conférences Zoom, si ce n’est pas déjà le cas.
« Je pense que c’est comme un pansement », juge-t-elle, mais ça nous rappelle ce qui nous manque vraiment. »
Un cabaret queer tente de garder le cap
Personne n’avait prévu d’annuler son Seder de Pessah au début du mois, simplement de s’adapter. Certains ont même fini par se rendre à plusieurs Sedarim.
Mais aucun ne ressemblait au Seder queer organisé par les collaborateurs du groupe de cabaret Jews ! Jews ! Jews ! – Lolita Va Voom, une danseuse burlesque, et Nana Schewitz, une grand-mère juive de 96 ans incarnée par un jeune de 25 ans venu de Floride.

Lolita est guide touristique la journée, et a lancé Jews! Jews! Jews! après avoir été frustrée par ses clients qui ne semblaient intéressés que par le fait de voir des victimes de la Shoah. Nana fait écho à ce sentiment.
« Les gens veulent s’excuser au nom de leurs grands-parents », indique Nana.
Donc Lolita a tenté de montrer un autre aspect de la vie juive berlinoise.
« Berlin a une histoire juive riche et intéressante », explique-t-elle. « Je voulais faire quelque chose qui représente l’art juif subversif ici à Berlin et montrer qu’il y a à Berlin des Juifs qui vivent, respirent et créent, et que nous ne sommes pas qu’un fantasme mythique ni que des Israéliens ou des orthodoxes. »
Elles avaient prévu un Seder queer sur scène, mais il a eu lieu en ligne également. Nana a décrit ce Seder – avec sa Haggadah – comme un mélange de tradition et d’éléments « queer très, très stupides », avec Nana en drag-queen et Lolita avec sa performance burlesque.
Elles ont été encouragées par la participation de quelques dizaines de participants au Seder, et si elles ne peuvent pas faire leur show ces derniers temps, elles ont présenté quelques spectacles en ligne.
« C’est ce qui me fascine à propos du judaïsme », commente Nana. Le judaïsme, « c’est ce que vous en faites, et nous sommes capables de créer et d’intégrer le judaïsme dans ce que nous voulons et avons besoin qu’il soit ».
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