Contre le blues du virus, des tablettes sont prescrites aux seniors de l’ex-URSS
De jeunes gens collaborant avec le JDC encouragent la distribution d'ordinateurs de poche gratuits pour garantir aux Juifs âgés confinés un lien communautaire nécessaire

Irina Krivulya, 67 ans, est seule. Elle n’a ni enfants ni famille dans sa ville ukrainienne de taille moyenne de Khmelnytskyi. Sa sœur est morte il y a un an, son frère est également parti. Jusqu’à récemment, l’un de ses principaux cercles sociaux était la communauté juive locale – huit femmes juives âgées qui se réunissaient dans son appartement d’une pièce toutes les quelques semaines pour boire du thé et se rencontrer.
La modeste vie sociale d’Irina Krivulya était parrainée par un programme appelé Foyer chaleureux, mis en place par la section locale de Hesed, un centre d’aide sociale juif. Mais maintenant, en raison des directives de confinement dues à la Covid-19, personne ne vient lui rendre visite.
« Nous ne nous sommes pas réunis à cause de la situation ; tout le monde essaie d’être prudent », commente Mme Krivulya. « La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était il y a environ trois mois ».
Le seul lien d’Irina Krivulya avec le monde extérieur, c’est son vieux portable qui fonctionne à peine. Il permet seulement de passer des appels, indique-t-elle, qui n’a jamais utilisé un ordinateur de sa vie.
Mais tout cela va changer. Elle et des dizaines d’autres seniors vont recevoir des tablettes gratuites avec une connexion internet gratuite, grâce à la communauté juive d’Ukraine.
Les tablettes sont fournies grâce à une initiative lancée par le Leadership Alumni Programs (LAP), un groupe de jeunes adultes qui ont participé à des programmes gérés par le Joint Distribution Committee (JDC) dans l’ancienne Union soviétique. Le LAP tente actuellement de réunir 12 000 dollars (10 600 euros) pour acheter 40 tablettes destinées à des personnes âgées juives isolées en Russie, en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie et en Géorgie.

(Crédit : Joint Distribution Committee)
« En mars, lorsque la quarantaine a commencé, nous sommes tous passés à la communication en ligne. Tous les jeunes discutaient en ligne, Zoom est devenu populaire. Nous avons donc commencé à réfléchir à la manière dont nous pourrions aider les personnes âgées pendant la pandémie dans l’ancienne Union soviétique », explique Alexei Lidovsky, un employé du JDC qui dirige le projet en Ukraine.
« Avant la pandémie, nos personnes âgées recevaient la visite de bénévoles et de parents, mais maintenant [personne ne peut leur rendre visite]… La plupart des personnes âgées de l’ex-URSS n’ont pas les moyens d’acheter un ordinateur portable ou un smartphone », décrit-il.
Alexei Lidovsky, qui est également spécialiste des relations publiques et journaliste de télévision à Krivoy Rog, en Ukraine, a donc créé une campagne de financement participatif sur charidy.com, qu’il a baptisée Say YES to communication ! [Dites oui à la communication].
Bien que la collecte de fonds pendant la pandémie ait été particulièrement difficile, de nombreuses personnes ayant perdu leur emploi, 800 dollars ont été récoltés jusqu’à présent [au moment de la rédaction de cet article], soit assez pour acheter quatre tablettes. Deux de ces appareils iront à des personnes âgées en Ukraine, et deux à des personnes âgées en Russie.
« Je me suis dit : pourquoi devons-nous attendre d’avoir 12 000 dollars ? Nous pouvons commencer à agir tout de suite », indique M. Lidovsky.
Alexei Lidovsky a déclaré que les histoires des personnes âgées ayant reçu les quatre premières tablettes contribueront à alimenter l’enthousiasme pour l’initiative. Par exemple, une des femmes âgées en Ukraine qui recevra le cadeau a récemment perdu la vue. Sa tablette sera accompagnée d’applications spéciales pour les aveugles, précise M. Lindovsky.
Des bénévoles de la communauté juive installeront des applications telles que Skype, Zoom et Messenger sur les tablettes, couvriront le coût de l’accès à Internet pendant un an et expliqueront aux personnes âgées comment utiliser ces appareils, explique le bénévole. Ils prévoient également de mettre en place une ligne d’assistance téléphonique en cas de problèmes techniques avec les tablettes, et des réunions en ligne pour les personnes âgées, comme un cours de cuisine juive, pourraient également être organisées, ajoute M. Lindovsky.

Et il pense que ces outils seront utiles même après l’épidémie.
« Même si la Covid-19 disparaît, les personnes âgées à faible revenu, malades et seules auront toujours des problèmes de communication et de transport », souligne-t-il. « Je pense que les tablettes seront utiles même dans un an, dans deux ans ou dans trois ans ».
Les seniors ont été particulièrement touchés par la pandémie de Covid-19, et pas seulement parce qu’elles sont les plus susceptibles de succomber à la maladie. Dans de nombreux pays de l’ex-Union soviétique, les gouvernements ont adopté des réglementations strictes, obligeant principalement les personnes âgées à être placées en résidence surveillée.
En Russie, les personnes âgées de plus de 65 ans ne sont pas autorisées à sortir, même pour se promener. En Ukraine, les personnes de plus de 60 ans ne sont autorisées à se rendre au magasin ou à la pharmacie que dans un rayon de 2 kilomètres de leur domicile, et même dans ce cas, seulement si personne d’autre ne peut leur apporter de la nourriture. Et à Chisinau, la capitale de la Moldavie, les personnes de plus de 63 ans ne sont autorisées à quitter leur domicile que pour se rendre au supermarché ou à la pharmacie – et seulement entre 9 heures et 13 heures.

Des organisations juives sont également intervenues pour livrer de la nourriture aux Juifs âgés isolés pendant la pandémie. Le JDC fournit régulièrement de la nourriture et des médicaments à plus de 80 000 Juifs âgés et pauvres dans 11 pays d’ex-URSS, selon le porte-parole du JDC, Michael Geller. Près de la moitié des bénéficiaires sont des survivants de la Shoah.
Pendant la pandémie, les colis alimentaires étaient parfois livrés à vélo et en camionnette privée, car les transports publics étaient suspendus dans de nombreux endroits, indique M. Geller au Times of Israel dans un courriel.
Et la Fédération des communautés juives de Russie livre quotidiennement des déjeuners à 30 000 personnes âgées confinées chez elles, selon le porte-parole Boruch Gorin.
Toutefois, on ne peut pas vivre uniquement de pain.
« Ces tablettes les sauveront », estime Alla Magas, une employée du JDC à Moscou qui a fait un don au projet. Elle ajoute que certaines personnes âgées isolées sont trop malades pour quitter leur domicile – et maintenant, personne ne peut même plus leur rendre visite.
Les quatre premières tablettes devraient être livrées dans les prochaines semaines.
Irina Krivulya attend avec impatience la sienne, bien qu’elle admette qu’apprendre à utiliser un ordinateur lui semble être un cours de mathématiques avancées.
« J’étais sous le choc », confie-t-elle, lorsqu’on lui a demandé comment elle s’est sentie lorsqu’elle a appris qu’elle allait recevoir une tablette gratuite. « Je sais que ce n’est pas donné. Je suis vraiment contente ».

Une des premières choses qu’elle fera avec son ordinateur de poche est d’appeler son ancienne voisine Natasha, qui vit maintenant en Israël, dit-elle . Elle et Natacha étaient si proches que lorsqu’Irina Krivulya s’est fait opérer d’un cancer, Natacha a passé la nuit à l’hôpital avec elle. La dernière fois qu’elles se sont parlé, c’était à la veille de Rosh HaShana.
« Nous étions comme des sœurs, mais je ne peux pas communiquer avec elle très souvent car cela me coûte cher de l’appeler », indique Irina Krivulya. Avec les services vocaux sur Internet et les services d’appel vidéo tels que WhatsApp et Zoom, les appels seront désormais gratuits.
Ensuite, ajoute-t-elle, elle reverra quelques vieux films – quand elle le voudra. Les programmes télévisés sont souvent centrés sur la pandémie, déplore-t-elle, avec des mises à jour constantes sur le nombre de malades et de morts, et elle attend avec impatience de pouvoir regarder des émissions plus légères.
« Parfois, j’ai vraiment envie de regarder de vieux films », dit-elle. « Mais à la télévision, les films ne sont diffusés que tard dans la nuit ».
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