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Coronavirus : le gouvernement israélien autorise la surveillance des mobiles

La mesure doit être approuvée par une sous-commission de la Knesset avant d'être appliquée ; les ministres assurent s'être efforcés de limiter les risques concernant la vie privée

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Image d'illustration. (iStock)
Image d'illustration. (iStock)

Dimanche, le gouvernement a approuvé un texte permettant au service de sécurité du Shin Bet de réaliser une surveillance de masse des téléphones des Israéliens sans avoir besoin d’obtenir un mandat. Cette initiative, qui vise à endiguer la propagation du nouveau coronavirus, a provoqué une vive réaction parmi les défenseurs de droits qui craignent des violations des libertés fondamentales.

La mesure nécessitera l’approbation finale de la sous-commission de la Knesset sur les services clandestins avant sa mise en application.

Le Bureau du Premier ministre a expliqué que le Shin Bet ne collectera pas toutes les données et que tout le gouvernement n’y aura pas accès. En outre, selon la proposition de texte, l’agence ne pourra utiliser les informations que dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Ce pouvoir ne durera que 30 jours après avoir été validé par la sous-commission de la Knesset.

Des officiels du gouvernement ont souligné que l’utilisation de ces outils, habituellement réservés aux opérations de contre-terrorisme, avait pour objectif de sauver des vies.

Pourtant, la mesure a fait l’objet de critiques de la part de défenseurs des droits humains et de experts de la vie privée. De fait, dans la pratique, n’importe qui en Israël pourrait passer sous la surveillance du Shin Bet, une organisation qui n’a aucun devoir de transparence publique. La proposition va également beaucoup plus loin que les mesures de surveillance utilisées par d’autres pays dans leur combat contre l’épidémie.

Des magasins et des restaurants à Tel Aviv, le 15 mars 2020. (Miriam Alster / FLASH90)

A cause du temps relativement long qu’il faut pour que les symptômes apparaissent, des officiels de la santé pensent que plus de gens ont contracté la maladie, mais n’ont pas encore été diagnostiqués.

La proposition de surveillance téléphonique était l’une des dernières mesures d’une série de mesures drastiques prises par le gouvernement – dont un effort important pour garder les gens à distance des espaces publics.

Ces dernières semaines, les autorités de Taïwan et de Singapour, entre autres pays, ont utilisé les données des téléphones portables pour s’assurer que des citoyens respectaient les ordres de quarantaine.

Ces outils – la police israélienne et le ministère de la Santé ont déjà des moyens similaires à leur disposition – ne sont pas ceux qui ont été approuvés par le gouvernement dimanche.

Une capture d’écran de la vidéo qui montre des officiers de police en vêtement de protection arrêter un homme qui aurait ignoré un ordre de quarantaine à Tel Aviv, le 14 mars 2020. (Capture d’écran : Twitter)

Le Shin Bet a été autorisé à utiliser les données – on sait que l’appareil est en liaison avec des antennes relais – afin de pister rétroactivement les mouvements de ceux s’étant révélés porteurs du coronavirus pour voir avec qui ils ont interagi dans les jours ou les semaines précédant leur diagnostic afin de placer les personnes concernées en quarantaine.

Le Shin Bet transmettra ces informations au ministère de la Santé, qui enverra un message à ceux qui étaient à moins de deux mètres de la personne infectée pendant 10 minutes ou plus, en leur disant de se mettre en quarantaine.

« Les informations seront uniquement transmises au ministère de la Santé, à des personnes spécifiques avec des autorisations sécuritaires, et seront effacées immédiatement après leur utilisation », a assuré un haut responsable du ministère de la Justice à la Treizième chaîne.

Les données que le Shin Bet exploitera existent déjà, mais elles ne sont généralement pas accessibles à l’agence de sécurité. La proposition permettra au Shin Bet d’utiliser les informations sans avoir besoin d’autorisations supplémentaires de la justice ou du gouvernement.

Un porte-parole du ministère de la Justice, qui a joué un rôle majeur dans le développement du programme, a déclaré que les malades n’auraient pas à donner leur permission pour que leurs données puissent être utilisées, mais que la question n’avait pas encore été tranchée.

Une voyageuse portant un masque de protection vérifie son téléphone dans le hall des arrivées à l’aéroport international Ben Gurion à proximité de Tel Aviv, le 10 mars 2020. (Jack Guez / AFP)

Jusqu’à présent, les autorités sanitaires s’étaient appuyées sur les entretiens menés avec les patients pour savoir précisément où ils avaient été et avec qui ils avaient été en contact dans les semaines précédant leur diagnostic.

La crainte du gouvernement, qui l’a conduit à cette proposition drastique, est qu’à mesure que le nombre de personnes infectées par le virus augmente, il finira par être impossible d’interroger tout le monde individuellement. En utilisant un système automatique, la question sera réglée.

Le ministre des Transports Bezalel Smotrich, généralement critique du Shin Bet, était l’un des quatre ministres qui, avec un représentant du ministère de la Justice, a développé les protocoles imposant les conditions de ce qu’il a reconnu être une mesure extrême.

« Je peux vous le dire sans équivoque : il n’y a pas et il n’y aura pas de ‘Big Brother’ dans l’État d’Israël, même dans le cadre d’un événement extrême auquel nous sommes confrontés maintenant », a soutenu Bezalel Smotrich dans un tweet, en référence au roman dystopique de George Orwell 1984.

Bezalel Smotrich, membre du parti Yamina et ministre des Transports, s’exprime au quartier général de Yamina pendant la soirée électorale à Ramat Gan, le 17 septembre 2019. (Flash90)

Le député radical de l’alliance nationaliste de droite Yamina a dit reconnaître qu’il s’agissait d’une « mesure extrême » qui était seulement justifiée puisqu’elle pourrait sauver des « dizaines de milliers de vies ».

Pourtant, un certain nombre de juristes et spécialistes de la vie privée ont prévenu que s’il était légitime pour le gouvernement d’utiliser des outils numériques afin de lutter contre l’épidémie la manière de faire posait de sérieuses questions sur le respect de la vie privée.

Dans un communiqué, l’avocat Avner Pinchuk, de l’Association pour les Droits civiques en Israël, a déclaré que le bénéfice marginal obtenu en pistant les porteurs de la maladie et en déterminant avec qui ils avaient pu être en contact « ne justifie par une infraction grave du droit à la vie privée. Le danger du Covid-19 est non seulement le virus en lui-même, mais la crainte que dans les efforts pour surmonter le danger, nous perdions aussi nos valeurs basiques en tant que société libre et démocratique ».

Tehila Altshuler Shwartz, une intellectuelle israélienne spécialiste des médias et des technologies, a indiqué au Times of Israël que l’une de ses craintes principales provenait du fait que le Shin Bet serait responsable du programme, plutôt qu’une organisation transparente.

Tehila Shwartz Altshuler témoigne devant la Commission centrale électorale à la Knesset le 8 août 2019. (Capture d’écran : Facebook)

Le service de sécurité fait l’objet d’un contrôle réduit puisqu’il répond directement au Premier ministre; contrairement à la police et aux autres autorités civiles, le Shin Bet n’a pas à demander les données aux fournisseurs de services, mais dispose de son propre accès direct ; et l’agence n’est pas soumise aux lois sur la liberté des données privées en Israël, ce qui signifie que tout ce que l’on fera avec les données pourrait rester secret.

« C’est honteux que le procureur général ait approuvé cela », a-t-elle dénoncé.

Altshuler Shwartz, une chercheuse à l’Institut israélien de la démocratie, a noté que plusieurs autres services – la police, le ministère de la Santé ou l’armée – qui sont plus transparents et mieux contrôlés auraient pu être chargés de l’initiative, au lieu du Shin Bet.

Elle a ajouté que l’application d’une mesure aussi draconienne alors qu’il n’y a pas de Knesset pleinement active constituait une décision très troublante.

Altshuler Shwartz a prévenu qu’en ayant recours à cette forme de surveillance, généralement réservée au contre-terrorisme, dans le cadre d’une crise sanitaire, le gouvernement ouvrait la voie vers une utilisation future de cette méthode pour des questions non liées à la sécurité.

Un membre de la police des frontières israélienne porte un équipement de protection et un masque contre le coronavirus, au point de contrôle d’Ein Yael, près du zoo biblique de Jérusalem, le 11 mars 2020. (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)

« Cet argument pourrait être utilisé à l’avenir pour n’importe quoi, une crise économique, une crise éducative », a-t-elle soutenu.

Un doctorant du programme de recherche Droits humains sous pression à l’Université libre de Berlin en Allemagne, qui a mené des recherches similaires dans le passé, a déclaré que la question demandait de trouver un équilibre entre coûts et bénéfices.

« Le coût pour notre vie privée est-il suffisamment équilibré par rapport au bénéfice pour le public de savoir qui a été à proximité des personnes exposées virus pour les placer en quarantaine ? », interroge ainsi Andrew Mark Bennett.

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