Dans l’affaire des enfants Yéménites, de la négligence mais pas d’enlèvements de l’Etat
La diffusion de plus de 400 000 documents révèle beaucoup d’indifférence au drame vécu par les familles. Toutefois, rien ne vient justifier les théories conspirationnistes élaborées à ce sujet - pour l'instant

Alors que le public et les médias israéliens commencent tout juste à consulter des centaines de milliers de documents récemment diffusés dans le cadre de « l’Affaire des Enfants Yéménites », des premiers rapports sur les dossiers émanant des résultats d’une enquête gouvernementale en 2001 semblent bannir les notions des enlèvements des enfants sous le parrainage de l’état au cours des premières années d’Israël, comme l’ont affirmé de nombreuses familles yéménites.
Toutefois, les rapports et les témoignages suggèrent également une grande indifférence, de la négligence et un certain mépris affichés par les institutions d’état dans leur gestion des familles des enfants disparus.
Les documents déclassifiés pointent de nombreux cas d’enfants ôtés à leurs familles pour recevoir des traitements médicaux sans approbation parentale, sans documentation appropriée ou procédures préalables d’identification.
Les familles ont, par conséquent, perdu la trace de ceux qu’ils aimaient, et ce alors que des décès n’ont jamais été rapportés et que les enfants se sont trouvés placés à l’adoption après que les autorités ont clamé que leurs familles avaient disparu.
Dans un dossier rapporté par le quotidien Haaretz, un couple arrivé en Israël en octobre 1949 et hébergé dans un village de tentes dans le sud de Haïfa a perdu ses deux enfants au mois de décembre qui a suivi : L’un d’entre eux a été emmené pour un examen médical pendant l’absence de ses parents et s’est évanoui.
L’autre, né quelques jours après, a disparu d’une clinique pour nouveaux-nés dans laquelle il avait été gardé en observation.

Les parents ont été plus tard informés de la mort de leurs deux enfants. Ce ne sont que des années plus tard que le couple a découvert que le premier avait été enterré à Haïfa sans mention de son nom de famille, tandis que le nourrisson avait été, pour sa part, enseveli quelque part à proximité de Karkur, sans aucune précision sur le lieu exact dans les documents officiels.
Dans une affaire couverte par la Deuxième chaîne, Malka Tzur, un an, a été hospitalisée à Haïfa après avoir ingéré une petite quantité de pétrole. Sa mère a été priée de revenir le jour suivant.
A son retour, on lui a signalé que la fillette était décédée pendant la nuit et qu’elle avait déjà été enterrée. La famille n’a jamais pu savoir l’endroit où reposait l’enfant.
Autre exemple, celui des jumeaux David et Rachel Nissan, hospitalisés à l’Hôpital Rambam à Haïfa alors qu’ils étaient âgés seulement d’une semaine. Lorsque le père de David, Kaduri, est venu pour donner son sang à son fils, il lui a été dit que l’enfant était décédé. Il n’a jamais pu voir sa dépouille. Rachel, pour sa part, a disparu quelques jours plus tard.
Les administrateurs de l’hôpital ont été dans l’incapacité de rendre des comptes sur ce qui était advenu d’elle pendant des mois, puis ont informé les parents de la mort de la petite fille. Dans les deux cas, de mauvaises tenues de dossier et l’indifférence bureaucratique semblent avoir été dans l’arrière-plan de ces disparitions.
Cette controverse qui dure depuis des décennies a émergé suite aux plaintes déposées par plus de 1 000 familles d’immigrants, faisant état de l’enlèvement systématique de leurs enfants dans les hôpitaux israéliens par l’état naissant. L’enfant kidnappé était alors placé à l’adoption, parfois à l’étranger – tandis que les familles étaient informées de la mort de leurs enfants.
La majorité des migrants venaient du Yémen, même si certains, originaires des Balkans, de l’Afrique du Nord et de plusieurs pays du Moyen-Orient ont également clamé avoir été victimes de cette pratique.

A travers les années, trois commissions d’enquête nommées par les gouvernements successifs ont examiné les allégations mais n’ont trouvé aucune preuve d’un crime. Elles ont conclu que la majorité des enfants étaient décédés dans des hôpitaux et avaient été enterrés sans que la famille n’en ait été informée ou qu’elle ait été impliquée dans le processus.
Une grande part des preuves examinées par les comités a été scellée dans les archives de l’Etat. Maintenant, dans le sillage de la pression mise par l’opinion publique, plus de 400 000 documents ont été diffusés sur un nouveau site Internet.
Un des dossiers examinés par le site d’information Ynet traitait l’affaire d’un enfant qui avait été placé dans un établissement de soins à Tiberias, après que les autorités aient clamé que sa mère “avait disparu”. Un document établit que « tous les efforts visant à retrouver la mère ont échoué », mais le site Internet note également que selon le dossier, le seul effort livré à cet effet a été la parution d’une petite annonce dans un journal.
Un autre dossier de 1954 raconte l’histoire d’un enfant placé à l’adoption après que sa mère ait prétendument quitté le pays, son père étant d’identité inconnue. Les parents adoptifs, un couple qui avait survécu à l’Holocauste, avait raconté aux responsables qu’on ne leur avait donné aucune information sur l’identité ou sur le passé de l’enfant.
Un travailleur social qui avait travaillé sur l’affaire avait été cité dans un document disant qu’il était “déraisonnable que les candidats aient reçu l’enfant sans un certificat de naissance ou toute autre information sur son identité”.
Amram, organisation israélienne qui se consacre à déterminer quelle est la vérité dans cette affaire, a expliqué mercredi qu’elle se réjouissait de la déclassification des documents, mais a toutefois noté que de de nombreux détails restent secrets.
“C’est une initiative importante mais nous devons nous souvenir que les comités d’enquête ont cherché à démentir la responsabilité de l’Etat en ce qui concerne les enlèvements et qu’ils ont évité de s’intéresser au dossier de façon appropriée”, a indiqué le groupe. « L’information trouvée ou non trouvée dans les archives officielles n’est pas une exigence pour la reconnaissance de ce crime ».