Dans le tollé autour du renvoi du chef du Shin Bet, la question des responsabilités pour le 7 octobre
La procureure générale et la Cour suprême voudront savoir pour quelle raison Benjamin Netanyahu limoge Ronen Bar – 17 mois après l'échec à déjouer l'attaque du Hamas et au moment où le Shin Bet enquête sur les assistants du Premier ministre

L’annonce par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, dimanche soir, de son intention de limoger le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a immédiatement entraîné un tollé de la part de l’opposition et d’organisations libérales qui estiment que le Premier ministre, par ce licenciement, tente d’empêcher la conduite d’une enquête susceptible de lui nuire – des investigations qui examinent actuellement les liens qui avaient été établis entre ses proches collaborateurs et le Qatar.
Comme de coutume, la réaction sur les bancs de la majorité a été exactement inverse : ministres, députés et autres personnalités publiques se sont réjouies de cette décision, estimant que Bar était responsable de la catastrophe du 7 octobre. Ils ont même salué un « retour de la démocratie ».
Le débat porte pour l’essentiel sur la légalité du limogeage de Bar par le Premier ministre et son gouvernement, alors même que se déroule une enquête sur les assistants de Netanyahu qui, selon certains, auraient partie liée avec les autorités du Qatar.
Les voix défavorables à ce renvoi ont par ailleurs relevé que si Bar était effectivement évincé, la quasi-totalité des chefs des services de sécurité en place le 7 octobre auraient alors quitté leurs fonctions – à l’exception notable de Netanyahu, qui, de son côté, est toujours au pouvoir et plus que jamais opposé à la création d’une commission d’enquête d’État qui serait chargée d’examiner les responsabilités des hauts-responsables politiques dans les défaillances qui ont permis au pogrom de se dérouler.
Netanyahu a en effet démis Yoav Gallant de ses fonctions de ministre de la Défense au mois de novembre dernier et l’ex-chef d’État-major de Tsahal, Herzi Halevi, a pris sa retraite au début du mois – sans oublier les nombreux commandants et autres autorités militaires de haut rang qui ont démissionné à l’issue du 7 octobre.
Et le fait d’être le dernier encore en place dans le sillage de la pire calamité militaire de toute l’Histoire de l’État devrait soulever des interrogations légitimes au sujet d’un Premier ministre israélien à la longévité inégalée, estiment ses détracteurs.
Conformément à la loi…
La loi qui s’applique à l’Agence de sécurité israélienne – c’est le nom officiel du Shin Bet – est extrêmement laconique concernant les processus de nomination et de destitution de son chef. Le dirigeant du Shin Bet est en effet choisi en Conseil des ministres sur recommandation du Premier ministre, la loi ajoutant que « le gouvernement a le droit de mettre fin au mandat du directeur du Shin Bet avant la fin de son mandat ».

En théorie, donc, Netanyahu est parfaitement libre de proposer au Conseil des ministres que Bar soit démis de ses fonctions, comme il prévoit de le faire ce jeudi soir avant de passer au vote qui devra officialiser la décision.
Mais comme pour toute décision d’ordre administratif en Israël et comme dans d’autres systèmes relevant de la common law, cette décision est normalement soumise à un réexamen des autorités judiciaires par la voie des tribunaux. Et un tel examen serait inévitable à ce stade, en raison des promesses qui ont été faites par le chef de l’opposition Yair Lapid et par plusieurs groupes de veille gouvernementale, qui se sont engagés à saisir la Cour suprême en cas de limogeage effectif de Bar.
Le pouvoir discrétionnaire de l’Exécutif et ses limites
Avant d’aborder les objections juridiques de fond au limogeage de Bar, le professeur Barak Medina, de la faculté de droit de l’Université hébraïque, revient sur les questions soulevées par la procureure générale concernant les problèmes de procédure liées à l’annonce qui a été faite par Netanyahu dans la soirée de dimanche.
« Le fait qu’un organisme ait l’autorité nécessaire pour faire quelque chose – au cas particulier, de limoger un fonctionnaire – ne signifie pas qu’il s’agisse d’un pouvoir absolu », explique Medina. « Il y a des limites au pouvoir discrétionnaire. » Une telle décision ne peut pas être prise arbitrairement : elle doit être fondée sur un faisceau de faits satisfaisants, ajoute-t-il.
C’est en effet ce que la procureure générale, Gali Baharav-Miara, a dit au gouvernement peu après l’annonce de Netanyahu, en lui écrivant qu’il ne pouvait pas entamer de procédure de destitution « tant que la base factuelle et juridique au coeur de votre décision et votre capacité à vous saisir de cette question à ce moment-ci n’auront pas été vérifiés ».
La procureure générale a précisé que par ce renvoi de Bar, Netanyahu pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts en raison de l’enquête dite du « Qatar-gate ».

Fin février, Baharav-Miara a fait ouvrir une enquête criminelle sur les relations d’affaires tissées entre des assistants de Netanyahu et le gouvernement qatari – avec parmi eux Eli Feldstein, porte-parole du Premier ministre par ailleurs accusé d’avoir divulgué des documents militaires classifiés et qui est aussi soupçonné d’avoir travaillé pour le Qatar via une société internationale engagée par Doha, abreuvant les journalistes israéliens d’articles pro-Qatar du temps de la guerre contre le Hamas.
Cette enquête est menée par la police et le Shin Bet.
Bien que le gouvernement dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans son processus décisionnel en matière de sécurité et de nominations, il est plus limité lorsqu’il s’agit d’autorités chargées de l’application de la loi.
Or, le Shin Bet est un service doté d’une importante branche d’application de la loi qui se manifeste dans son obligation d’enquêter sur les dossiers d’espionnage, de divulgation de secrets d’État ou encore de subversion politique, ce qui accroît encore la portée du contrôle judiciaire sur la décision de limoger son chef du service, ajoute Medina.
Le fait qu’une enquête du Shin Bet soit en cours sur de proches conseillers du Premier ministre rend le risque de conflit d’intérêts plus tangible encore.

Selon Medina, il est donc probable que la Cour suprême, si et quand elle en fera la demande, insiste pour que Netanyahu explique à la procureure générale la raison pour laquelle, comme il l’a dit dans son annonce, il a perdu confiance dans le chef du Shin Bet, ainsi que sur le timing choisi pour prendre cette décision.
La Cour pourrait alors émettre un référé suspensif de la procédure de limogeage de Bar jusqu’à ce que la procureure générale entende Netanyahu et son gouvernement sur les raisons de leur décision.
Si la procureure générale devait être satisfaite des explications du gouvernement, la Cour n’interviendrait sans doute pas davantage. En revanche, si Baharav-Miara écartait les arguments du gouvernement, la Cour suprême devrait alors en débattre et se prononcer sur le bien-fondé juridique du renvoi de Bar.
A quel moment le 7 octobre entre-t-il en ligne de compte ?
En théorie, si les explications du Premier ministre et du gouvernement sont fondées et qu’elles offrent un motif valable pour limoger Bar, alors la Cour suprême ne reviendra pas sur la décision.
Dimanche soir, Netanyahu a tenu des propos sibyllins, disant qu’il n’avait plus « confiance » en Bar et qu’il était dans un rapport de « méfiance envers le chef du Shin Bet », une façon, peut-être, de dire son manque de confiance dans les capacités de ce dernier à assumer ses fonctions.
Le principal argument avancé par Netanyahu en faveur du renvoi de Bar devrait être l’incapacité du Shin Bet à prévenir l’attaque du Hamas et les atrocités qui avaient été commises le 7 octobre 2023. En effet, l’enquête interne du Shin Bet sur le 7 octobre a conclu à son échec à honorer sa mission de protection du pays, Bar lui-même affirmant que l’agence aurait pu empêcher l’attaque si elle avait agi différemment.
Mais le fait d’instrumentaliser aujourd’hui la catastrophe du 7 octobre pour limoger Bar laisse ouverte la question du choix du moment, 18 mois après l’événement – surtout compte-tenu de l’ouverture de l’enquête sur les liens avec le Qatar qui a été annoncée il y a quelques semaines à peine.
Cette enquête pourrait bien faire réfléchir la Cour suprême, laquelle pourrait s’inquiéter d’un possible conflit d’intérêts de Netanyahu, tenté de limoger un haut responsable des forces de l’ordre au moment où ces dernières enquêtent sur ses proches.
Mais même si la Cour suprême a des doutes sur la sincérité de l’argument de fond de Netanyahu, elle pourrait malgré tout refuser de bloquer le limogeage de Bar. Elle pourrait, par exemple, ordonner au Shin Bet de terminer son enquête sur les liens avec le Qatar avant que le limogeage de Bar ne prenne effet, afin d’éviter un affrontement direct avec le Premier ministre tout en apportant une solution aux risques de conflit d’intérêts.
Ça ne vous regarde pas
Bien sûr, la coalition, tout comme les analystes conservateurs, refusent que le gouvernement ait à justifier devant la procureure générale ou les tribunaux l’utilisation de son pouvoir administratif, alors que ce pouvoir lui est clairement octroyé par la loi.
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, a rappelé le libellé clair de la loi concernant le Shin Bet en ajoutant, dimanche soir, que « au cas où quelqu’un l’aurait oublié, Israël est une démocratie, et la loi est la même pour tout le monde, même pour la procureure générale ». Les décisions prises dans ce pays doivent l’être par des personnes élues et non pas par l’establishment judiciaire, a-t-il souligné.

Iska Bina, à la tête du Mouvement pour la gouvernance et la démocratie, a également insisté sur l’autorité qu’ont les élus dans le cadre des nominations effectuées au sein des agences, écrivant sur X : « Le standard de base, dans une démocratie, c’est celui du principe de domination des élus sur les forces armées ».
Pour sa part, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, a accusé Bar d’être « l’une des figures au cœur de la catastrophe du 7 octobre ».
Le débat sur la légalité du licenciement de Bar ne vient toutefois pas à bout des inquiétudes de fond en ce qui concerne la décision elle-même.
Le cœur du problème
Yossi Shain, ancien député de la faction Yisrael Beytenu et professeur de sciences politiques à l’université de Tel Aviv, estime que la décision de démettre Bar de ses fonctions s’inscrit dans le processus « d’érosion institutionnelle, dorénavant proche de l’effondrement » que connaît actuellement Israël – avec une coalition politique au pouvoir qui se montre de plus en plus hostile à l’égard « des institutions de l’État qui entreprennent des actions rationnelles et légales, au service de notre pays ».
Yossi Shain souligne que le gouvernement actuel a attaqué de manière répétée l’institution judiciaire – notamment en ne reconnaissant pas la nomination du nouveau président de la Cour suprême et en cherchant à évincer la procureure-générale – et qu’il a mis en cause les institutions académiques, ainsi que certains éléments des institutions militaires et de la sécurité.

L’ancien député explique que les échecs qui ont été ceux du Shin Bet et des autres services de sécurité, le 7 octobre, ont permis à Netanyahu de démontrer qu’ils avaient été dysfonctionnels – mais il ajoute que le limogeage de Bar entre néanmoins dans le cadre de la tactique qui a été adoptée par le Premier ministre, qui cherche à « démanteler les institutions de l’État » afin de garantir sa position politique de premier plan.
Medina souligne, pour sa part, l’incongruité d’un renvoi, par Netanyahu, du chef du Shin Bet en raison de ses échecs dans la catastrophe du 7 octobre alors même que le Premier ministre refuse d’assumer une responsabilité quelle qu’elle soit dans le pogrom, et qu’il rejette toute possibilité de mettre en place une commission d’État, qui examinerait avec minutie le rôle qu’il a pu tenir dans le désastre.
« Il est impossible d’attribuer une quelconque responsabilité aux titulaires d’un poste tout en refusant, en même temps, de procéder à une enquête approfondie. »
« Il est impossible d’attribuer une quelconque responsabilité aux titulaires d’un poste tout en refusant, en même temps, de procéder à une enquête approfondie », s’exclame Medina, faisant référence à l’opposition farouche de Netanyahu à la création d’une commission d’enquête nationale qui serait chargée d’examiner les événements survenus le 7 octobre.
Toutefois, pour les alliés de Netanyahu, les efforts déployés par l’establishment juridique pour tenter de protéger Bar soulignent à quel point il est nécessaire de le démettre de ses fonctions.

Moshe Cohen-Eliya, maître de conférences en droit constitutionnel au College of Law and Business, prend note de récentes informations transmises par la chaîne i24 qui laissaient entendre que la police et la procureure-générale étaient en désaccord au sujet de l’enquête sur les liens entre les collaborateurs de Netanyahu et le Qatar.
La chaîne a ainsi signalé que le responsable des enquêtes, au sein de la police, s’était demandé de quel crime les assistants de Netanyahu pourraient être accusés puisqu’ils n’étaient pas officiellement employés par le bureau du Premier ministre et que le Qatar, en vertu de la loi israélienne, n’est pas considéré comme un État ennemi.
Dans un post qui a été publié sur Facebook, Cohen-Eliya a accusé « l’État profond israélien » – dans lequel il incluait « la juristocratie, les médias de gauche et le Shin Bet » – d’avoir divulgué à la presse les accusations portant sur les liens unissant les collaborateurs du Premier ministre et le Qatar dans le seul objectif de pousser à l’ouverture d’une enquête et d’empêcher le licenciement de Bar, en prétendant que Netanyahu était dans une situation de conflit d’intérêts.
« Ce système bloque les nominations et il préserve les loyalistes de l’État profond, une pratique qui remonte à plusieurs décennies », affirme Cohen-Eliya.
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