Des corridas à l’Euro 2024, le soutien de l’Espagne à Gaza inquiète certains Juifs
L'Espagne, l'un des pays européens les plus critiques à l'égard de la guerre menée contre le Hamas, abrite une communauté juive victime d'un environnement de plus en plus hostile
MADRID – Parmi ceux qui ont encouragé l’Espagne lors de sa victoire sur l’Angleterre à l’Euro 2024 dimanche, il y avait des Gazaouis qui s’étaient retranchés pour regarder le match depuis des tentes dans la bande de Gaza, selon le site d’information Al Jazeera.
« Depuis que ce génocide a commencé, la solidarité de l’Espagne envers nous a été incroyable – qu’il s’agisse de reconnaître le statut d’État de la Palestine ou de soutenir l’Afrique du Sud dans son procès contre Israël devant la Cour internationale de justice », a déclaré Omar Ghayyad, 36 ans, professeur de mathématiques à l’Office controversé de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), à Al Jazeera la semaine dernière.
« Nous pouvons voir à quel point les supporters espagnols sont passionnés [par Gaza] lorsqu’ils brandissent le drapeau palestinien pendant les matchs de football », a souligné Ghayyad.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
De même, lors du festival de la San Fermin à Pampelune, dans le nord de l’Espagne, des membres de « Las Penas » (associations culturelles et festives) ont déployé un drapeau palestinien au début de la cinquième corrida, jeudi. Ce festival annuel, qui remonte à l’époque médiévale, comprend également des processions religieuses, des danses folkloriques, des concerts, des beuveries permanentes et, tout du moins cette année, des manifestations politiques.
C’est cette allégeance espagnole perçue comme inébranlable à la cause des Gazaouis qui crée actuellement une situation difficile pour les Juifs d’Espagne, un pays dans lequel l’Inquisition n’a été formellement abolie qu’en 1834.
Lorsque le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a lu le 28 mai la déclaration historique selon laquelle son pays reconnaissait un État palestinien, il a déclaré qu’il ne s’agissait « pas d’une décision contre qui que ce soit ». Mais l’annonce du gouvernement a bien suscité la crainte d’une partie de la communauté juive d’Espagne et des expatriés israéliens qui y vivent.
« Ce n’est que pour les votes, c’est un jeu, [Sanchez] ne s’en préoccupe pas vraiment. Il y a une forte déconnexion entre la politique et la réalité. Je peux vous dire que j’ai reçu beaucoup de soutien de la part des Espagnols. Je ressens beaucoup d’amour ici », a déclaré Ilana O’Malley, une Israélienne qui vit à Malaga depuis plus de 20 ans.
Cependant, une autre Israélienne qui vit à Madrid depuis dix ans a déclaré : « Honnêtement, ce qui s’est passé est honteux […] Je pense que les Espagnols s’en fichent, ils ont d’autres priorités comme le coût de la vie et le chômage. C’est vraiment comme une fumée qui essaie de recouvrir des problèmes brûlants. »
Des tensions diplomatiques ont éclaté ces dernières semaines lorsque la deuxième vice-Première ministre espagnole, Yolande Diaz, a terminé un discours par le slogan anti-Israël « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre » et que la ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, a qualifié l’opération militaire israélienne à Gaza de « véritable génocide ».
Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a répondu par une vidéo sur le réseau social X qui mêle des images de terroristes palestiniens du Hamas attaquant Israël le 7 octobre et de danseuses de flamenco.
« La façon dont les deux gouvernements ont réagi est très mauvaise et ne contribue pas à une solution à deux États. C’est une très mauvaise façon de gérer la situation des deux côtés », a déclaré Yakir Waynberg, un Israélien qui vit à Madrid depuis près de deux ans.
En réponse à la reconnaissance de l’État de Palestine par l’Espagne, Katz a menacé de fermer le consulat espagnol à Jérusalem s’il continuait à offrir des services aux Palestiniens. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Jose Manuel Albares, a répondu que le consulat d’Espagne à Jérusalem était opérationnel bien avant la création de l’État d’Israël.
Certains Israéliens interrogés par le Times of Israel se sont dits particulièrement préoccupés par les tensions croissantes et les risques diplomatiques. Que se passerait-il si l’ambassade d’Israël fermait ses portes en Espagne ? Une rupture des relations diplomatiques pourrait-elle compliquer les démarches administratives des expatriés israéliens à l’avenir ?
« Mon cousin veut s’installer à Madrid. Il devra se rendre à l’ambassade, mais est-ce que ce sera encore possible ? », s’est demandée Sivan Bar-oz Ortega, une Israélienne qui vit en Catalogne depuis cinq ans.
« Ce serait très grave si quelque chose comme cela se produisait, toute la communauté israélienne en souffrirait », a déclaré Waynberg.
Montée de l’antisémitisme
Comme dans d’autres pays européens, les actes antisémites sont montés en flèche depuis que le groupe terroriste palestinien du Hamas a lancé un assaut barbare et sadique sur le sud d’Israël le 7 octobre, assassinant brutalement près de 1 200 personnes, enlevant 251 autres dans la bande de Gaza et déclenchant la guerre actuelle entre Israël et le Hamas.
« Les Juifs ont vraiment peur, surtout les femmes. Je suis allée acheter une bombe lacrymogène, comme beaucoup d’autres. Nous n’avons pas inventé cette peur, nous la vivons », a estimé Sivan Bar-oz Ortega.
Elle décrit les tensions avec la population arabe dans la région de Barcelone : agressions, graffitis, conflits à l’école, et la police qui ne fait rien pour y remédier.
Face à ce climat de peur, Bar-oz Ortega a décidé de s’installer à Madrid. Elle se sent aujourd’hui beaucoup plus en sécurité.
« Ici, je peux respirer, je n’ai pas à cacher mon identité », a-t-elle indiqué, notamment parce que la présidente de la communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, du Parti populaire, s’est positionnée contre le gouvernement espagnol, qu’elle accuse d’utiliser les tensions à des fins électorales.
Un Israélien qui vit à Bilbao depuis plusieurs années a estimé que la couverture médiatique et l’ampleur des tensions entre l’Espagne et Israël alimentent l’antisémitisme. Il a requis l’anonymat car il a déjà fait l’objet de harcèlement en raison de sa nationalité.
« Les médias espagnols parlent de [la reconnaissance de la Palestine] depuis des semaines et des semaines, souvent avec une couverture biaisée. Depuis, j’ai reçu beaucoup de commentaires haineux, que ce soit au travail ou sur les réseaux sociaux – bien plus qu’après le 7 octobre. C’est un jeu dangereux, qui alimente la haine des Juifs », a-t-il déclaré.
Plus de 50 groupes ont déjà envoyé une lettre demandant au gouvernement espagnol de lutter contre l’antisémitisme au cours des derniers mois, affirmant que « des représentants politiques espagnols bien connus, y compris des hauts fonctionnaires, participent aux côtés d’organisations antisémites » et les encouragent.
La fin de la réconciliation ?
En 2015, l’Espagne avait introduit une loi sur la citoyenneté pour les descendants des Juifs séfarades qui ont été expulsés pendant l’Inquisition espagnole, afin de réparer « l’erreur historique » qu’elle avait commise lorsqu’elle avait forcé sa population juive à se convertir au christianisme ou à s’exiler à partir de 1492.
Le gouvernement a accordé la citoyenneté aux personnes d’origine juive séfarade qui pouvaient prouver que l’un de leurs ancêtres juifs avait été expulsé, démontrer leur capacité à parler espagnol et passer un examen de citoyenneté. L’Espagne avait reçu au moins 153 000 demandes de citoyenneté en date de 2021 et a, à ce jour, accordé la citoyenneté à 36 000 demandeurs.
Avant cela, en 2007, le gouvernement espagnol avait lancé le Centre culturel Sefarad-Israël à Madrid pour instruire les habitants sur l’histoire et la culture juives, la Shoah et Israël dans un esprit de réconciliation.
Mais depuis le 7 octobre, tout ça a changé, car l’Espagne est l’un des pays de l’Union européenne (UE) qui critiquent le plus ouvertement la guerre d’Israël contre le Hamas. Un sondage réalisé pour l’Institut Real Elcano, un groupe de réflexion basé à Madrid, a révélé que 78 % des Espagnols étaient favorables à la reconnaissance d’un État palestinien, tandis que des dizaines d’universités espagnoles ont annoncé la suspension de tous leurs liens avec des institutions et des centres de recherche israéliens.
La question palestinienne divise la scène politique nationale. Le 28 mai, alors que l’Espagne déclarait officiellement sa reconnaissance de la Palestine, le chef du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, s’est rendu en Israël en signe de protestation.
« Sanchez est un ignorant qui ne connaît rien de l’Histoire d’Israël », avait alors déclaré Abascal.
Les tensions sont loin d’être terminées. Le 6 juin, l’Espagne a demandé à l’action intentée par Pretoria contre Israël pour « génocide » devant la Cour internationale de justice (CIJ). Cette plainte accuse Israël d’avoir violé les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention des Nations unies sur le génocide – émise après l’extermination de 6 millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale – lors de son intervention à Gaza. L’Espagne a été le premier pays de l’UE soutenir la plainte contre Israël pour « génocide à Gaza ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel