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Interview

Efraim Halevy : Israël a embarrassé un allié capital au nom de l’opinion publique

Quand Halevy a ramené 4 agents du Mossad il y a 20 ans, il n’y a "pas eu de fanfare, de célébration", comme ça a été le cas, tard lundi soir, lorsque Ziv a été traité comme quelqu’un qui "avait réussi quelque chose avec courage", a déclaré l'ex-chef du Mossad

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

L'ancien chef du Mossad, Efraim Halevy (Crédit : Flash90)
L'ancien chef du Mossad, Efraim Halevy (Crédit : Flash90)

Dans sa gestion de la crise de l’ambassade d’Amman, le gouvernement a placé l’opinion publique au-dessus des besoins d’Israël en matière de politique étrangère, et a fermé l’ambassade au moment où il en avait le plus besoin, selon Efraim Halevy, l’ancien chef du Mossad, le service de renseignement israélien.

« Cette nécessité insatiable d’apaiser l’opinion publique à chaque instant, au lieu de tenter de maintenir des relations avec notre voisin stratégique est caractéristique de tout cette situation », a déclaré Halevy au Times of Israel dans une conversation téléphonique.

L’ancien chef de l’agence d’espionnage a également été très critique de la gestion de la crise du mont du Temple. Faire de ce problème une question de souveraineté plutôt qu’une question de sécurité, comme l’ont fait certains députés, était « totalement superflu » et a aggravé la situation, selon lui.

Halevy, qui a joué un rôle clé dans les négociations du traité de paix entre Israël et la Jordanie en 1994, a déclaré que le gouvernement a créé une fausse version, ou du moins une version exagérée du siège de l’ambassade qui devait être secourue avant d’apparaître afin que le gouvernement puisse intervenir et sauver le monde.

Halevy, d’origine londonienne, a ajouté qu’il était « inexplicable » que l’ambassade israélienne d’Amman soit restée vide après l’incident.

« Si la présence d’une ambassade israélienne en Jordanie est nécessaire à un moment, c’est maintenant, plus que jamais », dit-il.

Et pourtant, « nous célébrons la fermeture de l’ambassade israélienne en Jordanie telle une réussite ».

Selon le ministère des Affaires étrangères dimanche soir, un agent de sécurité a été poignardé par Mohammed Jawawdeh, 17 ans, venu installer du mobilier à l’ambassade.

Ziv Moyal, c’est le nom du garde israélien impliqué dans l’incident avec Amman

Ziv a ouvert le feu sur Jawawdeh, le tuant, et tuant un second homme, Bashar Hamarneh, qui était sur place. Le ministère a qualifié son geste de légitime défense.

La situation a rapidement pris des airs de crise diplomatique. La Jordanie a demandé à ce que l’agent de sécurité soit arrêté et interrogé par les autorités locale, chose qu’Israël a refusée, au motif qu’il bénéficie de l’immunité diplomatique.

Après une journée de négociations tendues lundi, l’ensemble du personnel de l’ambassade, y compris l’ambassadrice Einat Schlein, sont revenus en Israël. Ziv a été accueilli comme un héros, et a été personnellement reçu par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, une rencontre qui a été largement photographiée et médiatisée.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu rencontre, le 25 juillet 2017, l'ambassadrice israélienne en Jordanie Einat Schlein et le garde de la sécurité 'Ziv,' qui a tué par arme à feu deux Jordaniens alors que l'un d'eux l'avait attaqué au couteau (Crédit : Haim Zach/GPO)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu rencontre, le 25 juillet 2017, l’ambassadrice israélienne en Jordanie Einat Schlein et le garde de la sécurité ‘Ziv,’ qui a tué par arme à feu deux Jordaniens alors que l’un d’eux l’avait attaqué au couteau (Crédit : Haim Zach/GPO)

Interrogé sur la décision de rapatrier l’ensemble du personnel de l’ambassade, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré : « nous ne nous exprimons pas sur les questions d’ordre sécuritaire ».

Halevy a soulevé la question de la réaction des Israéliens, si la situation avait été inversée, si deux Israéliens avaient été tués par le garde de l’ambassade jordanienne à Tel Aviv. Le public aurait, dit-il été « très énervé, furieux, profondément blessé et très critiques » du fait que les sentiments jordaniens prennent le dessus sur les sentiments israéliens.

Jeudi après-midi, le compte Twitter officiel du roi Abdallah II de Jordanie a publié, en langue arabe et anglaise, des tweets avertissant Netanyahu qu’il devait « assumer ses responsabilités et prendre les mesures légales nécessaires pour juger le meurtrier et s’assurer que justice soit rendue, plutôt que de faire étalage d’un spectacle politique ».

Au cours d’une interview télévisée mercredi soir, le ministre des Affaires étrangères du royaume hachémite, Ayman Safadi a déclaré que c’est une « honte » que Netanyahu ait publiquement accueilli et enlacé l’agent de sécurité.
« Il serait approprié qu’Israël agisse diplomatiquement, » a-t-il précisé.

Ayman Safadi, le ministre jordanien des Affaires étrangères, le 25 juillet 2017 (Crédit : AFP/Khalil Mazraawi)
Ayman Safadi, le ministre jordanien des Affaires étrangères, le 25 juillet 2017 (Crédit : AFP/Khalil Mazraawi)

Jeudi, la Jordanie a également annoncé qu’elle interdirait l’accès aux Israéliens en Jordanie tant qu’elle n’avait pas l’assurance que Ziv serait traduit en justice.

Ces dernières semaines, le gouvernement jordanien subit des pressions de la part de son peuple pour les courbettes qu’il ferait face aux pays étrangers.

Avant même la dernière crise au mont du Temple, l’inculpation et la peine de prison a perpétuité d’un soldat jordanien, qui a tiré sur 3 entraineurs américains sur une base aérienne jordanienne l’an dernier, a excédé la population, qui l’a perçu comme une capitulation face à la pression étrangère.

« Il y avait des émeutes contre le gouvernement jordanien organisées par la tribu Howeitat, parce qu’ils estimaient que le procès était un simulacre pour contenter les États-Unis », a expliqué Aaron Magid, un journaliste basé à Amman, qui écrit sur la Jordanie.

Le fait que la Jordanie demande des « garanties » que Ziv sera traduit en justice n’est pas inattendu. Les Jordaniens voient probablement une ressemblance entre l’affaire de dimanche, et l’incident de 2014, quand un juge jordano-palestinien, Raed Zeiter, a été tué par des troupes israéliennes au passage Allenby, explique Magid.

Des Palestiniens portent le corps de Raed Zeiter, 38 ans, lors de ses funérailles dans la ville de Naplouse, en Cisjordanie, le 11 mars 2014 (Crédit : AFP PHOTO / AHMAD GHARABLI)
Des Palestiniens portent le corps de Raed Zeiter, 38 ans, lors de ses funérailles dans la ville de Naplouse, en Cisjordanie, le 11 mars 2014 (Crédit : AFP PHOTO / AHMAD GHARABLI)

Dans cette affaire, les soldats israéliens avaient affirmé que Zeiter les avait attaqué, les forçant à ouvrir le feu. Pourtant, ce déroulement a été contredit par plusieurs témoins oculaires. Israël avait promis une enquête, mais rien n’a été fait.

Dans sa série de tweets, le roi a également mentionné cette affaire, indiquant que « la gestion de cette affaire et du meurtre du juge Zuaiter (sic) et d’autres affaires auront un impact direct sur nos relations. »

Mercredi, le quotidien Yediot Aharonoth a indiqué que Ziv serait interrogé par la police pour suspicion d’homicide, bien que cet interrogatoire ne soit qu’une histoire de protocole.

En tant que signataire de la Convention de Vienne, Israël et dans l’obligation d’interroger les suspects à leur retour du pays qui leur fournissait une immunité diplomatique, sur les accusations portées contre lui.

Le ministère des Affaires étrangères n’a pas encore annoncé le retour du personnel de l’ambassade.

Halevy, qui a dirigé le Mossad de 1998 à 2002, a comparé cette situation à une situation similaire il y a 20 ans, quand l’ambassade israélienne a été assiégée après que 4 agents du Mossad s’y étaient cachés, après une tentative d’assassinat bâclée contre Khaled Meshaal, qui est désormais à la tête du bureau politique du Hamas, mais qui était alors chef de la branche jordanienne.

La colère, après la fusillade de dimanche, provenait principalement de la rue, tandis qu’en 1997, la colère publique n’était pas aussi forte que celle du roi de l’époque Hussein, qui avait envoyé des soldats – menés par son fils, l’actuel monarque Abdallah II – pour encercler l’ambassade israélienne.

Majalli Wahabi, un ancien député de la Knesset qui a joué un rôle clef dans les négociations après la tentative manquée d’assassiner Meshaal en 1997, a noté que les deux camps « savaient, à l’époque, comment s’asseoir à la table de négociations et régler cette question en s’attendant à trouver une solution et un accord ».

Le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshaal, à Doha, au Qatar, en août 2014. (Crédit : capture d'écran Yahoo News)
Le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshaal, à Doha, au Qatar, en août 2014. (Crédit : capture d’écran Yahoo News)

En l’espace de trois jours, Halevy, Wahabi et d’autres officiels israéliens ont négocié un accord avec la Jordanie, dans lequel Israël a libéré un certain nombre de prisonniers palestiniens et jordaniens, y compris le cheikh Ahmed Yassine, un fondateur du Hamas, son chef spirituel et le père spirituel des terroristes du Hamas qui se sont suicidés dans des attaques à la bombe.

Si le prix pour Israël était élevé, « tout le monde était satisfait au final », a déclaré Wahabi au Times of Israël lors d’une conversation téléphonique.

Lors de ces trois jours en 1997, l’ambassade israélienne à Amman était « plus ou moins en état de siège » avec les forces jordaniennes qui menaçaient de prendre d’assaut l’ambassade, a déclaré Halevy. Cette semaine, pourtant, les forces de sécurité jordaniennes ont aidé à protéger les officiels de l’ambassade alors qu’ils se rendaient au Point de passage d’Allenby en direction d’Israël.

Même après que le roi Hussein a fait preuve d’une « compassion royale » et que la crise a été résolue en 1997, « il y avait beaucoup de tension. La rue jordanienne bouillait de colère », a déclaré Halevy.

« Pourtant le personnel de l’ambassade, mené par l’ambassadeur Oded Eran, est resté dans une situation très tendue. Et cette nuit-là, le Premier ministre Netanyahu s’est envolé vers la Jordanie pour une rencontre que j’avais organisée avec les dirigeants jordaniens », a-t-il déclaré.

« La tension était très forte, mais on a jamais demandé à Israël de faire partir son personnel de l’ambassade, et personne en Israël ne l’a suggéré non plus ».

Il n’y avait aucun intérêt à insister sur le fait que tard lundi soir, le personnel de l’ambassade a appelé le Premier ministre juste après avoir franchi le Point de passage d’Allenby, a-t-il déclaré, comme si la situation était similaire à celle de l’attaque de 2011 contre l’ambassade israélienne en Egypte au cours de laquelle une foule a pris d’assaut l’enceinte au Caire, et une intervention américaine avait été nécessaire pour résoudre la crise.

Elaborer le récit

Quand Halevy a ramené les quatre agents du Mossad il y a 20 ans, il n’y a « pas eu de fanfare, de célébration », comme ça a été le cas, tard lundi soir, lorsque Ziv a été traité comme quelqu’un qui « avait réussi quelque chose avec courage », a-t-il déclaré.

Benjamin Netanyahu enlace chaleureusement l'agent de sécurité en poste à Amman, Ziv, le 25 juillet 2017 (Crédit : Haim Zach/GPO)
Benjamin Netanyahu enlace chaleureusement l’agent de sécurité en poste à Amman, Ziv, le 25 juillet 2017 (Crédit : Haim Zach/GPO)

L’ancien chef du Mossad a noté que les détails complets sur ce qui s’est passé entre Ziv et Jawadeh doivent encore être dévoilés. Cependant, l’incident est traité comme une dispute qui aurait mal tourné, plutôt qu’une attaque terroriste.

« Si vous voulez le recevoir, faites-le en privé, mais pourquoi le faire en public ? », a-t-il déclaré. Halevy a souligné que le soldat en permission qui a arrêté l’attaque terroriste de vendredi soir dans l’implantation d’Halamish, au cours de laquelle trois membres d’une famille ont été poignardés à mort, n’a pas reçu le même niveau de félicitations de la part du Premier ministre.

« Personne ne lui a téléphoné, personne n’a salué son action », a déclaré Halevy. (Au sein de l’armée, les actions du soldat ont été largement saluées. Jeudi, le journal Yedioth Ahronoth a annoncé qu’il allait peut-être recevoir une distinction pour ses actions).

Selon Halevy, la présentation de Ziv comme un héros de retour et l’abandon de l’ambassade devait mettre en avant « un récit qui était contraire aux faits », qui était « nécessaire pour des besoins d’images », mais pas pour les réels besoins de gens.

« L’Israélien lambda se réjouit maintenant du sauvetage du personnel de l’ambassade israélienne », a-t-il déclaré.

Un désastre de grande ampleur

Jeudi après-midi, la crise du mont du Temple semblait être sur le point d’être résolue, à la suite de la décision israélienne d’enlever les mesures sécuritaires installées autour du lieu saint après que trois terroristes arabes ont tué deux officiers de police à proximité avec des armes qui avaient été introduites en cachette dans l’enceinte. Mais ces espoirs se sont envolés pour le moment : des affrontements ont éclaté entre les fidèles et la police sur le lieu saint une fois que le boycott demandé par les autorités musulmanes pour l’entrée de fidèles dans le site avait été levé.

Le Waqf jordanien, l’autorité religieuse qui supervise le complexe, a appelé jeudi matin à un retour des prières sur le site, tout comme l’a fait le président de l’AP, Mahmoud Abbas.

Selon Halevy, les presque deux semaines de manifestations, de violence et d’agitation générale quotidiennes sont dues à la décision « totalement inutiles » par des officiels israéliens de haut rang de transformer cette question en un problème de souveraineté, et non pas une question de besoins sécuritaires.

« Si on dit, on s’occupe de la zone et on est reponsable de la sécurité dans la zone et donc, nous devons prendre des mesures pour garantir la sécurité, c’est une chose », a déclaré l’ancien maître en affaires d’espionnage au Times of Israël dans une conversation téléphonique.

Mais une dispute pour savoir qui a la souveraineté sur le mont du Temple est un jeu à somme nulle. « C’est un problème qui ne peut pas être réglé à moins d’avoir un camp qui est satisfait et un autre camp qui n’a plus rien », a-t-il expliqué.

Le mot souveraineté est « utilisé par des ministres israéliens tout le temps. Tous les ministres israéliens importants mentionnent le mot de souveraineté comme ils disent le ‘Shema Yisrael’ le matin », s’est plaint Halevy, en faisant référence à une prière juive quotidienne.

Cette perspective sur le sujet a continué jeudi, après que l’on a enlevé les détecteurs de métaux, les caméras et les structures qui avaient été mises en place.

Avi Dichter pendant une réunion de la Knesset, le 19 novembre 2015. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)
Avi Dichter pendant une réunion de la Knesset, le 19 novembre 2015. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

« Hier, j’ai entendu mon ami Avi Dichter [député du Likud], le président du Comité des Affaires étrangères et de la Défense [à la Knesset], s’exprimant sur Radio Israël et il a mentionné cette souveraineté 10 ou 20 fois », a déclaré Halevy mercredi.

« Cette semaine, nous avons vu des célébrations de victoire de ceux qui ont essayé de mettre en avant une souveraineté différente. Il y a une souveraineté israélienne. C’est un lieu que nous protégerons dans n’importe quelle circonstance et dans n’importe quelle situation », a déclaré Yoram Halevy, le chef de la police de Jérusalem devant le mur Occidental jeudi.

Halevy a averti que la question de la souveraineté est « une recette pour un désastre de grande ampleur pour un très, très long moment à venir ».

Il a ajouté : « Et quand je dis désastre, cela veut dire que cela pourrait entraîner une série d’actions et de répliques qui pourraient nous faire descendre dans les canalisations jusqu’en enfer ».

Raoul Wootliff a contribué à cet article.

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