En lice pour le Meretz, Yair Golan veut fédérer la gauche autour d’un seul drapeau
Les causes progressistes étant trop dispersées, le législateur s'appuie sur la séparation d'avec les Palestiniens pour espérer réunir ses électeurs, tout en réhabilitant la gauche
Yair Golan a annoncé cette semaine qu’il allait défier Nitzan Horowitz – l’homme qui l’a fait entrer au Meretz il y a à peine deux ans – à la présidence du parti de gauche.
Ancien chef d’état-major adjoint de Tsahal qui a combattu pendant des années en Cisjordanie, Golan appelle toujours la région par le nom biblique de « Judée et Samarie ». Mais il est aussi un virulent critique du mouvement des implantations et appelle régulièrement à la « fin de l’occupation ».
Il ne croit pas en Dieu, mais veut préserver Israël en tant qu’État juif et démocratique, et qualifie le Meretz de gauche « sioniste ».
Si Golan bat Horowitz, il deviendra le quatrième leader de Meretz en cinq ans. Il reste cependant un outsider. Les anciens du parti n’ont pas tous été heureux de la décision de le recruter et de lui donner une place de choix sur la liste du parti à la Knesset en 2020.
Horowitz doit également faire face aux questions de certains qui ne sont pas satisfaits de sa gestion du parti – il a pris la tête de la faction politique en 2019 – en particulier depuis l’émergence de sondages notoirement inexacts mais politiquement influents montrant que le Meretz flirte dangereusement avec le seuil électoral.
Horowitz a géré le Meretz pendant une année tumultueuse, amenant le parti à rejoindre sa première coalition gouvernementale en deux décennies, mais dans une coalition très hétéroclite qui a forcé tous ses membres à faire de profonds compromis idéologiques.
« Il était clair pour le Meretz que s’il entrait dans la coalition, il devrait payer un prix », a déclaré jeudi l’ancienne cheffe du Meretz, Zehava Galon au Times of Israel.
Horowitz semble également avoir commis une erreur en faisant entrer Ghaida Rinawie-Zoabi, une législatrice qui n’avait pas fait ses preuves et dont la rébellion contre la coalition a contribué à précipiter sa dissolution.
En tant que vice-ministre de l’Économie et de l’Industrie, en plus d’être un législateur, Golan a également connu des hauts et des bas dans le gouvernement sortant.
Il a déclaré qu’il était fier d’avoir participé à la mise en place d’un budget de 2,16 milliards de shekels pour le développement économique arabe ainsi qu’à la mise en place d’un dispositif de sécurité sur le lieu de travail semblable à l’Occupational Safety and Health Administration américaine, mais le gouvernement a été dissout avant que ses victoires ne puissent être savourées.
Golan vise la présidence de l’un des plus importants partis progressistes du pays, à un moment où la gauche israélienne semble être à son nadir historique, le mot « gauchiste » ayant même une connotation négative dans le langage politique.
L’ex-général diplômé de Harvard, qui a un penchant pour les remarques controversées, explique au Times of Israel qu’il se présente à la direction du parti pour changer cette culture.
« Depuis des décennies, nous avons affaire à cette folle machine d’incitation à la haine pour qui, la ‘gauche’ est un traître. Même l’expression ‘gauchiste’ est avilissante, il n’existe pas de parallèle pour la droite », a-t-il déclaré en hébreu.
« C’est quelque chose qui a pour but de nous embarrasser et de nous piétiner et nous devons le combattre. »
« Pour cette raison, je pense que je devrais diriger le Meretz, car je suis un combattant, et je pense que la gauche doit se battre pour son honneur et ne pas abandonner. »
Golan s’est entretenu avec le Times of Israel jeudi et a donné son point de vue sur la gauche israélienne, le conflit israélo-palestinien et les enjeux du cinquième cycle électoral en Israël depuis 2019, qui aura lieu le 1er novembre.
L’interview a été menée en hébreu et éditée à des fins de concision et de clarté.
The Times of Israël : Comment définissez-vous le Meretz ? Qu’est-ce qui est au cœur du parti ?
Yair Golan : Le Meretz est un parti sioniste de gauche.
Qu’est-ce que cela signifie ? Selon moi, un parti de gauche est un parti qui place l’homme au centre et qui est orienté vers l’avenir. Pas de Dieu au centre, pas de nation, pas de peuple, pas de patrie, ni tout autre mot guindé, mais simplement l’être humain, au centre.
La première et la plus importante question est celle des Palestiniens. La gauche préconise une séparation d’avec les Palestiniens. Il y a ceux qui disent que la première question devrait être celle de la fin de l’occupation, il y a ceux qui parlent de paix. Je dis qu’avant tout, nous devons nous séparer des Palestiniens. Rien de bon ne peut sortir de ce conflit insupportable entre deux populations ennemies. Nous devons prendre notre destin en main, ne pas attendre qui que ce soit et avancer vers la séparation d’avec les Palestiniens.
Ce qui se passe sur le terrain, c’est que l’on se dirige vers l’annexion. L’annexion de millions de Palestiniens à l’intérieur de l’État d’Israël est la fin du rêve sioniste… Il n’y aura pas d’État juif sans une majorité démographique juive.
Une autre question porte sur la religion et l’État. Nous pensons que nous devons être plus proches des États-Unis d’Amérique que de l’Iran.
Nous devons nous en séparer. La croyance d’une personne est son problème … Le grand-rabbinat n’a pas besoin d’entrer dans nos chambres à coucher. Comment je me marie ? Comment je divorce ? Pourquoi c’est comme ça ?
La question suivante porte sur l’égalité. Vous ne pouvez pas ignorer le fait évident que 20 % de la population d’Israël est arabe. C’est une énorme minorité… On dit que la gauche aime les Arabes. Nous nous aimons nous-mêmes, nous aimons l’État d’Israël. Nous comprenons que pour participer à ce vaste effort de construction d’un État, d’une économie, d’une société, il est impossible de dire aux Arabes qu’ils sont des citoyens de seconde zone. Pourquoi voudraient-ils coopérer ?
Donc, d’une part, je dis que nous devons nous séparer des Palestiniens en Judée-Samarie et à Gaza, sans équivoque. Et avec les Arabes [à l’intérieur des frontières d’Israël de 1948], nous devons créer un partenariat.
Qu’est-il arrivé au Meretz cette année ? La députée Ghaida Rinawie Zoabi s’est rebellée, le ministre Issawi Frej a annoncé qu’il quittait la politique, le parti est-il en train de se désagréger ?
Il n’y a pas d’éclatement du parti. Il y a, ce qui n’est en fin de compte qu’une erreur, celle qui a été faite avec Ghaida. Je ne suis pas ici pour régler des comptes avec qui que ce soit sur ce sujet. Je pense que oui, une erreur a été commise en amenant quelqu’un qui était un peu une inconnue, qui n’était pas vraiment au clair sur son identité et sur son rôle. C’est dommage et c’était une erreur [mais] je ne pense pas que cela a été un coup dramatique pour le Meretz.
Issawi Frej a fait un AVC cette année. Il est épuisé, il en a fini avec la politique, il a travaillé suffisamment d’années et c’est légitime.
Au lieu d’y voir une crise, je pense que c’est une rare opportunité de se renouveler.
Si vous gagniez, vous serez le quatrième leader du Meretz en moins de cinq ans. Est-ce vraiment ce dont le Meretz a besoin en ce moment, de changer de leader plutôt que de se stabiliser ?
Je pense que nous avons besoin de quelque chose de nouveau pour trois raisons. Premièrement, parce que nous ne parvenons pas à nous développer suffisamment. Le renouvellement est aussi une question de leadership, et je crois en ma capacité à me tourner vers des milieux différents, à me connecter à des milieux qui, par le passé, n’ont pas voté pour le Meretz… à me connecter à ces gens et à les ramener à la maison.
La deuxième question est la concentration. Je pense que le Meretz s’est vraiment éparpillé sur un grand nombre de questions différentes, ce qui est naturel et je ne le dis pas comme une critique. Mais aux yeux de l’électeur israélien, ça peut soulever la question suivante : « que voulez-vous exactement ? ».
Vous ne pouvez brandir le drapeau de la protection de l’environnement et des droits des LGBT avec la même force. Ils sont tous deux très importants… mais brandir de nombreux drapeaux, comme ceux du droit des animaux, ou du droit des minorités, a pour résultat, qu’en fin de compte, il y a tout un tas de drapeaux mais aucun qui ne fédère vraiment tout le monde.
Je pense que cette stratégie n’est pas la bonne, nous devons aller vers les citoyens israéliens une cause qui ressemble à une véritable question nationale, tel un gigantesque drapeau. Je pense que ce drapeau est représenté par la séparation d’avec les Palestiniens.
Les partis centristes ont cessé d’aborder ce sujet. Ils n’en parlent tout simplement plus.
Il y a certaines critiques selon lesquelles vous ne seriez pas vraiment une personne du Meretz. Mardi, Issawi Frej a dit que vous n’êtes pas « au diapason du Meretz ». Êtes-vous d’accord ?
Je pense qu’au contraire, c’est un avantage. Parfois, il faut quelqu’un qui sort un peu de l’ordinaire, qui n’est pas forcement le plus représentatif d’un Meretz classique, et qui puisse dire : « écoutez, si nous voulons grandir et être un parti avec un nombre de sièges à deux chiffres, sans avoir à nous battre pour 4, 5, 6 [sièges], alors nous avons besoin d’un changement ».
Êtes-vous en faveur d’une union avec le parti travailliste ? La leader travailliste, Merav Michaeli a dit qu’une union n’est pas à l’ordre du jour.
Je suis favorables aux syndicats… mais on ne peut pas s’unir avec soi-même. C’est un jeu qui se joue à deux. Si le parti travailliste ne veut pas, il ne veut pas, et nous ferons cavalier seul.
Je pense que, d’un point de vue conceptuel, l’unification est une chose positive. Si nous voulons que le camp sioniste [de centre-gauche] obtienne plus de dix sièges, comme c’est légitime, nous devons parler le langage de l’unification au sein de la gauche israélienne.
Que pensez vous de rejoindre une coalition aux cotés de partis ultra-orthodoxes. Vous avez déclaré plus tôt dans la journée que la communauté haredit n’était « pas l’avenir » d’Israël. Y a-t-il des partis qui constituent une ligne rouge, qui vous empêcheraient de rejoindre une coalition ?
Je n’ai aucun problème à siéger [dans une coalition] avec des haredim. Je ne les disqualifie pas particulièrement, je l’ai dit à maintes reprises dans le passé. Je n’écarte que deux types de personnes. Je pense qu’il n’y a aucune raison de siéger avec des personnes corrompues, et je ne me vois donc pas siéger avec le chef de l’opposition, Benjamin Netanyahu.
Je ne dis pas que je ne siègerai pas avec le Likud dans une constellation future où Bibi ne serait pas le leader du Likud. Mais avec Netanyahu, je ne peux pas, à cause des accusations de corruption qui pèsent aussi bien sur sa vie publique que personnelle. C’est mon opinion, je sais que ça n’a pas encore été prouvé par un tribunal.
Et je ne peux pas siéger aux côtés de quelqu’un qui nie le caractère de l’État d’Israël. Je ne peux pas siéger avec l’extrême droite ou avec des acteurs arabes qui nient l’essence même de l’État d’Israël. Pas avec le parti qui s’appelle aujourd’hui le Sionisme religieux, qui ressemble vraiment à un parti raciste, messianique, et qui est très dangereux pour l’avenir d’Israël.
Dans la Liste arabe unie [dirigée par les Arabes], il y a beaucoup de voix différentes, c’est pourquoi on l’appelle « unie ». Je n’ai aucun problème à siéger avec la Liste arabe unie. Mais je pense que cela nécessite de neutraliser des composantes qui, dans le passé, étaient très problématiques, du moins aux yeux de chaque parti sioniste.
Cette élection, tout comme les quatre précédentes, sera-t-elle un référendum sur Netanyahu ?
Oui. Sans nul doute. Cette question, qui n’est pas digne de résumer la politique israélienne, est à priori très attendue et définira pourtant la politique israélienne lors de ces élections.
Cette personne qui est politiquement très forte, et qui, à mon avis, est aussi très corrompue moralement, continuera à jeter une grande ombre sur Israël.
Vous dites qu’Israël doit « mettre fin à l’occupation ». Qu’avez-vous vécu pendant vos 38 années de service militaire pour vous convaincre que c’est la bonne décision, et comment Israël peut-il y parvenir ?
Vous savez, pendant de nombreuses années, j’ai combattu dans toute la Judée et la Samarie, je connais chaque ville arabe de l’intérieur. Pour moi, il était tout à fait clair qu’il était impossible de continuer, que rien de bon ne pouvait en résulter.
Même avec tous les risques que cela comporte, et je n’écarte pas ces risques, ce sera toujours préférable pour l’État d’Israël. Nous devons nous séparer.
L’histoire sera un jour juge et nous verrons à quel point il était vraiment nécessaire de se séparer des Palestiniens.
Comment le faire ? La méthode importante peu. Nous devons d’abord décider de le faire, de nous séparer. Ensuite, nous pourrons le faire de manière multilatérale, bilatérale, unilatérale, ça n’a pas grande importance… nous trouverons notre voie et nous verrons comment la suivre.
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