En refoulant Tlaib et Omar, Israël renonce de façon inexcusable à la diplomatie
Fermer nos portes à ces détractrices malveillantes leur donne raison et nous prive de l'opportunité de défendre notre cause… comme Netanyahu plus que quiconque devrait le savoir
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Il ne fait aucun doute que la visite prévue de Jérusalem et de la Cisjordanie par les deux élues du Congrès américain Rashida Tlaib et Ilhan Omar aurait posé des difficultés diplomatiques exceptionnelles et, potentiellement, sécuritaires à Israël.
Les deux élues sont des partisanes de premier plan du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), dont le but, – sur le papier -, est de faire pression sur Israël pour qu’il change de politique à l’égard des Palestiniens, mais qui est en fait voué à le diaboliser dans le but ultime de le priver de sa légitimité à exister. Rashida Tlaib a même osé aller jusqu’à invoquer l’Allemagne nazie pour défendre ses appels au boycott d’Israël. Elle soutient la prétendue solution à un État qui signerait la fin d’Israël en tant qu’État juif.
Le seul objectif de leur visite, a protesté le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour justifier la décision sans précédent d’interdire la venue de parlementaires américains en fonction, « était de défendre les boycotts et nier la légitimité d’Israël ». S’appuyant sur une copie de leur itinéraire prévu qu’il aurait reçue, il a souligné jeudi qu’elles avaient même « appelé leur destination ‘Palestine’ et pas ‘Israël’ et, contrairement à tous les membres républicains et démocrates du Congrès avant elles, n’ont pas souhaité rencontrer d’officiels israéliens, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition ».
Israël craignait, et pour cause, que chaque étape de leur déplacement — chaque rencontre avec des leaders religieux, du personnel médical, des employés de l’ONU sur place et des jeunes Palestiniens ; chaque séance photo près des implantations, dans des camps de réfugiés, près de la barrière de sécurité et où que ce soit dans les territoires de Cisjordanie contestés — ne leur servent à présenter au plus de monde possible les vitupérations de leurs interlocuteurs à l’égard d’Israël et pour y ajouter les leurs, auxquelles leur rôle de parlementaires élus des États-Unis donne une plus grande crédibilité.
Les forces de sécurité israéliennes s’étaient également préparées aux potentielles répercussions inavouées de leur visite prévue de la mosquée d’Al-Aqsa sur le mont du Temple — le lieu le plus saint du judaïsme et le troisième pour les musulmans. Ici, l’un des endroits les plus explosifs de la planète, une confrontation involontaire même mineure peut péricliter en conflit majeur. Israël avait peur, au lendemain de leur visite, que n’éclatent des heurts bien loin d’être accidentels.
Il aurait été bien plus simple que les deux premières musulmanes élues au Congrès choisissent plutôt de se joindre aux dizaines de parlementaires américains républicains et démocrates en visite en même temps dans le pays la semaine dernière, à l’invitation du lobby de l’AIPAC pro-Israël, qui avait prévu des déplacements en Cisjordanie et des rencontres avec des officiels palestiniens. (Pour être transparent, j’ai fait une présentation des affaires courantes à certains élus.)
Mais de toute évidence, le duo avait son programme à lui, qui différait grandement de celui de l’AIPAC, et a ainsi organisé son propre séjour hautement sélectif et problématique.
Ce à quoi Israël, et à juste titre, avait initialement soupiré silencieusement et déclaré publiquement : nous devons respecter ces parlementaires américaines élues. Nous devons honorer et souligner nos valeurs démocratiques. Nous devons les laisser venir. (Comme l’ambassadeur israélien à Washington Ron Dermer l’avait dit le mois dernier : « Par respect pour le Congrès américain et pour la grande alliance entre Israël et l’Amérique, nous n’allons interdire à aucun membre du Congrès d’entrer en Israël. »)
Ce qu’Israël aurait dû faire, c’est se préparer à se défendre contre les tentatives de diabolisation attendues par des moyens diplomatiques et des initiatives efficaces. Peut-être, de façon directe, en organisant des événements de haut rang lors desquels des défenseurs d’Israël auraient présenté l’idée du sionisme — soulignant les libertés et le pluralisme religieux régnant dans le pays, détaillant les efforts de paix annihilés par le leadership palestinien, rappelant le terrorisme bien trop évident visant les citoyens israéliens, déconstruisant le discours victimaire des Palestiniens. Le Premier ministre en personne, un avocat d’Israël d’envergure internationale, aurait pu prendre les rênes de ces initiatives.
Le pays aurait pu inviter le duo à visiter le mémorial de Yad Vashem, à rencontrer des parents endeuillés ou à venir dans la ville de Sdérot assaillie par les roquettes. Si elles avaient refusé, leur hostilité n’aurait fait aucun doute. Si elles avaient accepté, tant mieux.
On aurait pu constituer des délégations de citoyens des circonscriptions de Tlaib et Omar, comprenant des gens ayant travaillé avec des Israéliens dans différents domaines et jouissant d’une connaissance directe d’Israël, lumière des nations à laquelle semble aveugle les deux députées. Les autorités israéliennes consacrent des budgets considérables à ces défis justement, et il existe des organisations et initiatives privées et publiques bien établies se consacrant à cette cause, qui doivent indubitablement déborder de bonnes idées.
Il s’agissait d’une bataille qu’il valait la peine de mener, dans une guerre continue qu’Israël remporte depuis plus de soixante-dix ans en raison de la légitimité fondamentale de notre cause
Tout cela aurait, néanmoins, probablement été peine perdue. Nos invités indésirables auraient sûrement attiré des armées de caméras, et les événements alternatifs organisés par Israël auraient bénéficié d’une bien moindre couverture médiatique. Mais il s’agissait d’une bataille qu’il valait la peine de mener, dans une guerre continue qu’Israël remporte depuis plus de soixante-dix ans en raison de la légitimité fondamentale de notre cause.
Israël n’a pas gagné tous ses débats contre ses détracteurs. Les Israéliens eux-mêmes, cela va sans dire, ne sont pas d’accord avec d’innombrables aspects de la politique, de l’orientation et de l’essence de ce pays. Ce sont des choses qui arrivent dans une démocratie. Nous devrions en être fiers, et le sommes souvent.
Venez, exhortons-nous depuis des décennies. Voyez par vous-mêmes.
Un des mantras de l’Israël moderne lorsqu’il répond à ses divers détracteurs est de venir voir le pays de ses propres yeux. Il n’y a rien de tel. Venez, exhortons-nous depuis des décennies. Voyez par vous-mêmes. Saisissez la complexité des choses. Reconnaissez les défis existants. Même les critiques les plus affirmés, ceux aux avis les plus arrêtés et les plus têtus, affirmons-nous à raison, seront profondément touchés par une telle visite. Et même s’ils ne sont pas convaincus ou même influencés, ceux autour et ceux qui les regardent le sont souvent.
Au lieu de cela, sous la pression présumée du président américain qui a ses propres intentions, ses propres intérêts politiques partisans — parfois profondément bénéfiques à Israël, d’autres fois non — le gouvernement israélien a changé son fusil d’épaule jeudi et annoncé que les deux trublions n’auraient finalement pas le droit de venir voir par elles-mêmes. Même si elles auraient tourné le dos à tout ce qu’on aurait voulu leur montrer, nous nous sommes privés d’une occasion de, ne serait-ce même qu’essayer. Nous leur avons accordé la victoire de la propagande, l’opportunité de nous dénoncer et de ridiculiser notre statut affirmé de démocratie, sans guère nous défendre.
Et qu’allons-nous dire désormais à nos autres détracteurs potentiels démocratiquement élus de pays alliés, ceux à qui nous reprochons de ne pas venir voir par eux-mêmes ? Vous ne pouvez pas venir sauf si vous promettez d’être gentils et de voir ce que nous voulons bien vous
montrer ? Est-ce ainsi, par exemple, que nous allons reformuler l’invitation faite par l’ancien dirigeant travailliste et actuel président de l’Agence juive Isaac Herzog à l’acerbe opposant à Israël et antisémite Jeremy Corbyn, qui espère bien un jour prochain devenir Premier ministre du Royaume-Uni, et à qui nous reprochons de ne pas être venu nous rendre visite ?
Il y a toutes les raisons de penser, en effet, que Tlaib et Omar allaient venir pleines de mauvaises intentions, vouées à nous nuire. Elles auraient bien sûr tenté d’abuser de nos libertés démocratiques afin de nous affaiblir et de nous dénigrer. Mais elles sont aujourd’hui encore plus déterminées à plaider contre nous, dans un climat qui leur est de plus en plus favorable, et nous avons abandonné l’occasion de défendre notre cause.
Ce qui est peut-être encore plus perturbant ici, c’est que cette décision suinte la perte de volonté de la part de nos dirigeants, la perte de confiance. Elle indique qu’Israël, ou ceux qui en tiennent les rênes actuellement, pensent qu’ils n’ont pas les armes pour répliquer et ne peuvent pas formuler d’arguments efficaces pour contrer le narratif pernicieux que le duo aurait tenté de présenter sur le terrain ici, et qu’il présentera désormais aux États-Unis à la place, sans contre-argumentaire.
Il s’agit d’un échec qu’Israël ne peut tout simplement pas se permettre et oser. Comme devrait le savoir, plus que quiconque, le fervent défenseur d’Israël, Benjamin Netanyahu.
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