France : la paternité d’une sculpture d’Hitler discutée devant le tribunal
Le sculpteur Daniel Druet attaque l'artiste Maurizio Cattelan pour savoir qui est l'auteur d'œuvres célèbres, notamment un führer taille enfant, en train de prier à genoux
Le tribunal judiciaire de Paris examine vendredi une affaire qui agite le milieu de l’art contemporain: le sculpteur Daniel Druet attaque l’artiste Maurizio Cattelan pour savoir qui, entre les deux, est l’auteur d’œuvres à la valeur marchande élevée.
L’Italien de 61 ans, vedette de l’art contemporain, sera représenté pour se défendre d’accusations de violation du droit d’auteur.
Daniel Druet, Français de 80 ans, a travaillé pour lui de 1999 à 2006. Formé aux Beaux-Arts, ce plasticien habile réalisait des sculptures saisissantes de réalisme pour le musée Grévin à Paris.
Après une collaboration fructueuse, les deux hommes se sont brouillés, dans des circonstances qu’ils décrivent différemment. Pour Cattelan, Druet commençait à facturer son travail trop cher. Pour Druet, Cattelan occultait sciemment ce travail et avait un caractère trop exubérant.
« C’est une procédure qui aurait facilement pu être évitée. Il aurait suffi que les droits de Daniel Druet soient respectés », estime l’avocat du plaignant, Jean-Baptiste Bourgeois, interrogé par l’AFP.
Pierre-Olivier Sur, avocat du galeriste de Cattelan, la galerie Perrotin, répond qu’au contraire, tout a été fait dans les règles. Cattelan passait commande. Druet facturait, « était bien payé », en honoraires, et enfin crédité à la hauteur de sa contribution.
Du concept à la sculpture, le débat devrait tourner autour de de ce qui définit les œuvres d’art de Maurizio Cattelan.
Exemple emblématique: « Him » (2001), qui représente un Adolf Hitler de la taille d’un enfant, en train de prier à genoux.
Selon la défense, Cattelan a transmis des « instructions précises », et imaginé une scénographie qui fait que le visiteur est ému, de loin, par cet enfant vu de dos, avant de découvrir qu’il s’agit du dictateur nazi.
« Ce ne sont pas des instructions, mais des idées, des directives générales. Là où il n’y avait qu’une idée, un concept, Daniel Druet s’est abondamment documenté », répond Me Bourgeois. L’œuvre, selon lui, c’est seulement la sculpture.
Le sculpteur français en réclame la paternité exclusive, parmi sept autres, et un dédommagement de 4 millions d’euros.
« Fin de l’art contemporain »?
L’artiste italien et son galeriste plaideront pour rejeter en bloc cette demande. L’œuvre, pour eux, c’est un tout.
Me Sur cite la jurisprudence selon laquelle le droit d’auteur revient au « maître » de « la création ».
« Le maître, ici, c’est évidemment Maurizio Cattelan. Il l’est resté de bout en bout, y compris avec l’exécution des sculptures en cire, ordonnant, contrôlant, habillant et payant toutes les étapes de leurs exécutions par Daniel Druet », détaille l’avocat.
« Nous attendons de cette affaire qu’elle dise le droit pour les années qui viennent concernant l’art conceptuel », ajoute-t-il.
Révélée dans le magazine du Monde, l’affaire suscite un intérêt considérable dans le milieu des galeries et des artistes plastiques.
Interrogé par ce magazine, le galeriste Emmanuel Perrotin a pris des accents dramatiques: « S’il [Daniel Druet] gagne, tous les artistes seront attaqués, et ce sera la fin de l’art contemporain en France ».
« Complètement faux. S’il gagne, on cessera de piétiner les droits des artistes en France, c’est tout », rétorque Me Bourgeois.
La cote de Maurizio Cattelan, une figure controversée, est aujourd’hui très élevée. Lors d’Art Basel à Miami Beach en 2019, il avait vendu 120 000 dollars une banane scotchée à un mur (« Comedian »).
Les œuvres concernées par la procédure demandaient beaucoup plus de travail, comme par exemple « La Nona Ora », un pape Jean Paul II écrasé par une météorite, ou « Now », un John Fitzgerald Kennedy dans son cercueil.
La décision doit être mise en délibéré après l’audience devant la 3e chambre du tribunal civil.