La Géorgie connaît un essor du tourisme israélien, certains s’installent à Tbilissi
Frustrés par les prix, la politique et la situation sécuritaire en Israël, des centaines de Sabras cherchent une nouvelle terre promise. Ont-ils remplacé un pays divisé par un autre ?
TBILISI, Géorgie (JTA) – Dans cette ancienne terre du pain au fromage khatchapouri et du célèbre vin qvevri fermenté dans des récipients en terre cuite, Danny Licht propose aujourd’hui une délicatesse ethnique rivale : le falafel.
Il y a trois ans, cet entrepreneur israélo-suisse a quitté Jérusalem pour s’installer ici avec sa femme d’origine russe, Rita. En janvier, ils ont ouvert Ashkara Falafel en plein cœur du quartier touristique de Tbilissi.
« Nous voulions offrir quelque chose de nouveau, de délicieux et de bon marché – pas un restaurant, mais de la vraie nourriture de rue », explique Licht, qui demande 19 lari (environ 7 dollars) pour un repas complet de falafels avec tous les ingrédients nécessaires.
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Rita, qui est titulaire d’un doctorat en génétique moléculaire de l’Institut des sciences Weizmann de Rehovot, a ouvert quant à elle une galerie d’art contemporain située dans le même bâtiment que leur résidence.
« Nous n’avons pas d’attaches familiales ici, mais nous aimons la culture et nous avons une passion pour l’art », explique-t-elle. « Notre rêve était d’ouvrir une galerie, et c’est l’un des endroits où c’était faisable. »
Danny et Rita Licht font partie des quelque 200 Israéliens qui voient en la Géorgie – une ancienne république soviétique située à environ trois heures de vol de Tel Aviv – une sorte de nouvelle terre promise. Frustrés par les prix élevés, la politique toxique et la détérioration de la sécurité en Israël, ils ont décidé de s’installer définitivement dans ce pays montagneux et enclavé du Caucase.
Il est toutefois possible qu’ils aient remplacé un pays divisé par un autre. Depuis deux mois, la Géorgie est le théâtre de manifestations antigouvernementales massives contre une nouvelle loi, inspirée d’une loi russe, qui oblige toute organisation recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger à s’enregistrer comme « agent étranger ».
Selon ses opposants, l’objectif de cette loi est d’étouffer toute dissidence, tout en renforçant le rapprochement du pays avec Moscou et en l’éloignant de l’Union européenne (UE). Les sondages indiquent que 80 % des Géorgiens souhaiteraient voir leur pays adhérer à l’UE et les manifestants promettent de ne pas céder jusqu’à l’abrogation de la loi dite Poutine, car elle s’inspire d’une loi russe utilisée pour réprimer l’opposition.
On ne sait pas encore si la nouvelle loi ou les réactions qu’elle a suscitées auront un effet sur le tourisme israélien, qui connaît depuis longtemps une activité florissante. L’année dernière, selon les statistiques gouvernementales, 217 065 Israéliens ont visité la Géorgie, ce qui en fait la quatrième source de tourisme étranger après la Russie, la Turquie et l’Arménie. Les Israéliens restent plus longtemps et dépensent en moyenne 3 782 lari (environ 1 400 dollars) par visite, soit bien plus que n’importe quel autre groupe. Il n’est pas rare d’entendre de l’hébreu dans les rues, et l’une des principales attractions touristiques de Tbilissi est le musée de l’Histoire juive géorgienne, qui retrace 2 600 ans de vie juive dans le pays.
Au total, les investissements israéliens dans les domaines du tourisme, de la finance, de l’agriculture et de la santé s’élèvent déjà à environ 500 millions de dollars, a déclaré Itsik Moshe, fondateur de la Maison d’Israël et de la Chambre de Commerce Israël-Géorgie.
« La Géorgie est un petit pays, mais c’est l’un des meilleurs amis d’Israël dans le monde », a ajouté Moshe, qui, en 1990, est devenu le premier Israélien à représenter l’Agence juive dans l’ex-Union soviétique. « Nous sommes deux peuples anciens avec des histoires difficiles et un même destin. Selon l’histoire géorgienne, ce sont les Juifs qui ont aidé à les préparer à adopter le christianisme. »
Selon la légende, c’est un juif géorgien du nom d’Elias qui aurait ramené de Jérusalem la robe de Jésus-Christ après sa crucifixion, robe acquise auprès d’un soldat romain au Golgotha.
Avant le déclenchement de la guerre actuelle contre Israël par le groupe terroriste palestinien du Hamas en octobre, quatre ou cinq compagnies aériennes proposaient des vols sans escale entre Tel Aviv et Tbilissi – opérant parfois deux vols par jour avec la même compagnie. Aujourd’hui encore, El Al et Israir proposent des vols quotidiens sur cette route. Des affiches d’Israéliens enlevés par le Hamas et retenus prisonniers à Gaza ornent les panneaux d’affichage et les flancs des bus à Tbilissi.
Mais malgré ces signes de sympathie, tout le monde n’aime pas les Juifs ou Israël.
En novembre 2022, des agents pakistanais affiliés à Al-Qaïda et envoyés par la Force Al-Qods des gardiens de la révolution iraniens (CGRI) ont tenté d’assassiner Moshe en pleine rue, devant le drapeau israélien qui trônait au-dessus de son bureau. Cette tentative a heureusement été décelée par les responsables locaux de la sécurité, qui ont arrêté plusieurs suspects, dont deux personnes à double nationalité géorgienne et iranienne.
Moshe, qui reste sous haute protection, a dit s’attendre à un nombre record de 250 000 Israéliens en Géorgie pour 2024. Son organisation prévoit d’organiser en novembre une conférence commerciale à Tbilissi pour marquer les 35 ans de relations commerciales bilatérales.
De nombreux Israéliens ont acheté des multipropriétés dans la station balnéaire de Batumi, sur la mer Noire, et le pays est considéré comme une destination de choix pour le ski et la randonnée, ainsi que pour les visites gastronomiques et vinicoles. La Géorgie est également connue pour son ancien alphabet de 33 lettres, vieux de près de 1 500 ans, et pour la beauté envoûtante de ses chants, une musique traditionnelle chantée par l’Église orthodoxe géorgienne lors des offices quotidiens et hebdomadaires, dans une polyphonie à trois voix et sans instruments.
« Je n’ai pas rencontré un seul touriste israélien qui ne veuille pas revenir ici », a affirmé Moshe, qui estime la population juive autochtone de Géorgie entre 500 et 1 000 personnes ; la Grande synagogue de Tbilissi dessert la communauté, composée en majorité de personnes âgées. Outre les Juifs israéliens qui se sont installés en Géorgie, 1 500 Arabes israéliens – principalement des chrétiens de Nazareth et d’ailleurs – y étudient la médecine.
Par ailleurs, Israël compte environ 120 000 juifs originaires de Géorgie. Connus en hébreu sous le nom de Gruzinim, ils se sont d’abord installés à Ashdod, Beer Sheva, Ashkelon et Haïfa avant de se disperser dans tout le pays, et certains sont même revenus [en Géorgie].
Ilana Slutsky, originaire d’Orenbourg, dans le sud de la Russie, a grandi à Haïfa et a travaillé pendant de nombreuses années comme architecte. La société qui l’employait a décroché un contrat avec un centre cardiovasculaire en Géorgie, ce qui l’a obligée à se rendre en Géorgie depuis Israël tous les dix jours pendant quatre ans.
Elle a fini par s’installer à Tbilissi et, il y a quelques années, a ouvert sa propre entreprise de décoration d’intérieur, d’immobilier et de conseil en architecture. Son mari géorgien, Tedo, est un artiste, et elle restaure actuellement un immeuble d’habitation datant de 1872.
La seule fois où elle s’est sentie mal à l’aise, se souvient-elle, c’est en voyant une publication Instagram récente de Mutant Radio Tbilisi, qui sollicitait des dons pour les enfants palestiniens déplacés par la guerre à Gaza.
« J’ai de la peine pour toutes les victimes de la guerre, mais nous savons que cet argent ira directement au Hamas », a expliqué Slutsky, qui comprend aussi bien le géorgien que l’anglais, l’hébreu et sa langue maternelle, le russe. « Pour moi, c’est une véritable déception, surtout après ce qui s’est passé au festival de musique Nova. Pour être honnête, j’ai été choquée. »
Malgré l’argent qu’ils y dépensent et la tentative du gouvernement actuel d’imiter leur patrie, les Russes ne sont pas vraiment les bienvenus en Géorgie, qui est couverte de drapeaux ukrainiens en signe de soutien à l’ex-République soviétique voisine. Cette situation résulte de la guerre russo-géorgienne de 2008, qui a débuté lorsque des séparatistes pro-russes des républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont attaqué la Géorgie, en violation d’un accord de cessez-le-feu conclu en 1992. Les combats ont pris fin 16 jours plus tard, la Russie prenant le contrôle d’un cinquième du territoire géorgien.
Des obscénités anti-russes recouvrent un mur de soutènement en face du restaurant de falafels de Danny Licht, et certaines boîtes de nuit font désormais signer à leurs clients des déclarations de soutien à l’Ukraine – qui comme la Géorgie, est également victime de l’agression de Poutine – avant de les laisser entrer dans l’établissement.
« Au début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la Géorgie était 30 à
40 % moins chère qu’aujourd’hui », explique Licht. « Mais depuis, les prix des appartements ont doublé, voire triplé. Le marché est devenu fou parce que beaucoup de Russes ont fui pour venir ici. Ils ne pouvaient plus utiliser leurs cartes de crédit en Russie. Et en septembre dernier, il y a eu une mobilisation [militaire]. Ils ne sont pas venus parce qu’ils étaient contre la guerre, mais parce qu’ils ne voulaient pas être tués. »
Licht a ajouté que « les prix ont atteint un pic il y a environ six mois et qu’ils sont maintenant en train de baisser. Mais 20 % du pays est encore occupé par la Russie, et les Géorgiens sont très méfiants ».
Yaron Shmerkin, 39 ans, vit en Géorgie depuis près de deux ans. Originaire de Louhansk – une ville de l’est de l’Ukraine occupée par la Russie depuis près de dix ans – il est marié à la créatrice de mode géorgienne Anuk Yosebashvili. En 2017, le créateur de bijoux, spécialisé dans l’art juif, a fait un voyage en Jeep avec sa femme et ses beaux-parents à travers la république montagneuse, qui fait trois fois la taille d’Israël mais compte moins de la moitié de sa population.
« Au bout d’une semaine, j’ai dit : ‘Nous allons nous installer ici’ », se souvient-il. « Nous sommes très heureux en Géorgie. »
Il en va de même pour Mikhail Gilichinski, 40 ans, juif orthodoxe originaire de la ville russe de Toula. Il a vécu un peu partout en Israël – au kibboutz Baram, à Jérusalem et à Ramat Gan – avant de venir s’installer en Géorgie il y a cinq ans avec sa femme Miriam, née à Moscou. Tous deux étaient déjà venus en vacances.
Ni Mikhail ni Miriam Gilichinski ne parlent géorgien. Ils utilisent l’anglais pour communiquer avec les habitants car, dit-il, « je ne me sens pas à l’aise pour parler russe avec eux ».
Malgré cela, Mikhail Gilichinski a construit un petit hôtel que sa femme loue via Airbnb. Leurs enfants, âgés de 10 et 7 ans, fréquentent l’école religieuse locale de Habad.
« Je suis créateur de bijoux et je peux travailler de n’importe où », explique-t-il. « Nous aimons Israël, mais financièrement, c’est difficile. Il faut travailler tout le temps, du matin au soir. C’est pour cela que nous avons décidé de nous installer ici. »
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