Latifa Ibn Ziaten : « Je pense qu’on a réussi »
Retour sur le séjour en Israël et dans les territoires palestiniens de 17 jeunes élèves français guidés par Latifa Ibn Ziaten, une héroïne de notre époque
Latifa Ibn Ziaten, mère du premier soldat abattu par Mohamed Merah en mars 2012, a emmené en Israël et dans les Territoires palestiniens dix-sept jeunes du Val-d’Oise.
Ce voyage a été encadré par l’Association Imad pour la Jeunesse et la Paix qu’elle a mise sur pieds quarante jours seulement après la perte brutale de son fils. C’est lors d’un événement en son honneur, organisé dans la maison de l’ambassadeur de France en Israël, que Latifa est remontée aux origines de son association et de son combat.
« Quand Imad m’a été pris, j’ai éprouvé le besoin de retourner sur le lieu où il était tombé. J’ai crié très fort, le cri d’une mère. J’ai alors ressenti le besoin d’aller voir où habitait Mohamed Merah, de savoir qui il était. Je me suis retrouvée dans sa cité. Un des jeunes m’a dit ‘Mohamed Merah est un martyr, un héros de l’islam, il a mis la France à genoux’. C’était comme s’ils l’avaient tué une seconde fois… »
C’est alors que Latifa comprend que son devoir est de tendre la main à cette jeunesse qu’elle estime perdue et désœuvrée. Depuis, elle arpente les villes de France à la rencontre d’élèves et de jeunes détenus en milieu carcéral.
Son objectif ? « Empêcher un nouveau Merah. »
La personnalité fédératrice de Latifa
Les élèves ne tarissent pas d’éloges sur celle par qui tout a commencé. Elle entretient un rapport doux et maternel avec les jeunes gens de sa délégation et est pour chacun d’entre eux le déclencheur d’une prise de conscience voire d’une vocation.
« Elle est venue dans notre établissement pour raconter son histoire et ça m’a profondément touché. J’avais envie de prouver que les trois religions pouvaient se respecter et je voulais faire honneur à Latifa », raconte la jeune Rose Afata, manifestement émue par son séjour.
Il est vrai qu’il est difficile de ne pas tomber sous le charme de cette femme d’exception. Un regard, quelques mots prononcés avec sincérité et émotion et la magie opère. Latifa parle avec son cœur. C’est une femme simple, issue d’un milieu modeste. Elle arrive en France, depuis le Maroc, à l’âge de 17 ans, « ma famille était pauvre mais riche de ses valeurs et de son éducation », confie-t-elle de sa voix angélique à la foule réunie devant elle, stupéfaite d’admiration.
Hassan Coulibaly, 15 ans, a également été ébranlé par le message de Latifa : « elle est venue partager sa douleur avec nous, j’ai vu sa souffrance et sa force. On ne peut que la suivre dans son combat. »
Il est frappant de constater que Mme Ibn Ziaten adopte une posture quasi-christique – la rédemption par la souffrance, le dépassement de soi qui puise sa force dans l’amour du prochain. Elle a une grande capacité à dépasser les bas instincts de colère et de haine et à sublimer sa douleur en compassion vis-à-vis du bourreau.
« J’ai cinq enfants. L’un d’entre eux est tombé sur quelqu’un qui était mal aimé, mal élevé, mal éduqué, mal orienté et qui a pris la vie de mon fils. Un délinquant livré à lui-même qui n’a pas eu la chance d’avoir une famille comme celle de mon fils », dit-elle empreinte d’une pitié véritable.
Latifa ne fait pas de grands discours, n’utilise pas de mots savants. Elle s’exprime comme elle ressent, comme elle respire, de façon simple et authentique et c’est la justesse de son intention qui touche tous ceux dont elle croise la route.
Des idées reçues balayées par la réalité de terrain
Les 17 jeunes ambassadeurs du vivre-ensemble ont parcouru le pays tels de véritables missionnaires, l’esprit grand ouvert.
Sharyse, Hassan, Eva, Walid, Rose, Hadj-kacen et les autres ont arpenté les rues de Jérusalem, d’Akko, d’Abu Gosh, se sont rendus dans le village bédouin de Kàabiya, ont visité les lieux saints des trois grandes religions monothéistes.
Ils se sont recueillis au mémorial de Yad Vashem et sur la tombe d’Yitzhak Rabin. Ils ont échangé avec de jeunes écoliers israéliens et palestiniens, des habitants de Ramallah, de jeunes palestiniens des villages de Belaine et d’Abu Saleh.
Ils ont fait tomber tous leurs préjugés sur une région du monde qui alimente de nombreux fantasmes, notamment au sein d’une partie de la jeunesse française.
« A la télé je ne voyais que Gaza. La Palestine et Israël, pour moi c’était Gaza. J’imaginais que tout Israël c’était du sable, des maisons en ruines. D’abord, c’est faux, c’est un pays magnifique, explique Sharyse, 15 ans, élève du collège Jean Lurçat à Sarcelles, et puis il faut arrêter d’imaginer que c’est la guerre à tous les coins de rue ! On était à Jérusalem par exemple, un Juif passe, croise un musulman, ben il ne se passe rien, ils ne s’étranglent pas, ne s’insultent pas ! »
Rose, élève au lycée professionnel Arthur Rimbaud de Garges-lès-Gonesse, abonde dans ce sens : « Quand j’ai dit à mon entourage que je partais pour Israël, j’ai eu des pressions, on m’a dit de ne pas y aller, que j’allais être choquée, qu’il y avait beaucoup de violences. J’avais envie de voir de mes propres yeux. Pour être honnête, j’ai pendant longtemps pensé que les israéliens tuaient les palestiniens de façon aveugle, c’est ce que montre les médias faut le dire, toute cette violence. On ne voit jamais de choses positives venues de ce pays. Sur place, je me suis rendue compte que ce n’est pas un pays où les peuples cherchent la guerre, ils cherchent la paix mais ne la trouvent pas. Les gens sont très ouverts. »
« Depuis la France, on parle de guerre de religions, de tensions, de conflits. Moi, je garde une image en tête, le moment où je suis sortie de l’Eglise du Saint Sépulcre, j’ai entendu le muezzin appeler à la prière et j’ai vu des juifs prier dans une synagogue tout près. Il y a de l’harmonie et de la cohabitation. Et si on peut le faire ici, pourquoi on ne pourrait pas le faire en France ? » se demande Walid.
C’est quoi Shabbat ?
« Je croyais qu’à Shabbat ils priaient toute la nuit. En fait, ils prient 30 secondes puis on ne fait que manger! »
Un des moments forts du séjour a été sans nul doute – et à l’unanimité – le repas de Shabbat avec la famille Rounizri, d’origine marocaine. « Le chef de famille est maintenant comme mon fils, déclare Latifa, avec lui, les jeunes ont appris, ont changé, ont grandi. A la table on ne savait plus qui était qui, nous étions tous une grande famille. »
« La femme était enceinte et a cuisiné pour 30 personnes », souligne Latifa Ibn Ziaten.
« C’est pas mal cette idée de ne pas utiliser le téléphone, de ne pas regarder la télévision, ça crée du lien ! T’es comme forcé de parler à ton voisin », raconte Sharyse, pas tout à fait familière avec la tradition du Shabbat.
Son camarade Hassan Coulibaly ne l’est pas plus : « Je ne savais pas ce que c’était Shabbat. Je croyais qu’on priait toute la nuit, mais pas du tout, ça a duré 30 secondes et après on a fait que manger ! On a aussi parlé, on a appris à se connaître. On dirait qu’on était au bled, on s’est senti dans notre famille, là-bas. »
Le fils de Latifa, Hatim Ziaten a également été touché par l‘accueil particulièrement chaleureux de ce jeune père de famille. « Il m’a dit : ‘Latifa c’est comme une mère pour moi, pour tous ces enfants qu’elle aide, et même une mère pour la France. Maintenant tu sais que ta mère c’est ma mère ça veut dire que tu es mon frère’. En deux phrases, il avait résumé la raison d’être de notre association et de notre combat. »
Daniel Bérachatégui, proviseur du Collège Jean Lurçat, dont sont issus une partie des élèves, avoue avoir été bluffé par la fraternité et l’entente qui s’est tissée entre les jeunes mais aussi entre eux et les différents publics qu’ils ont rencontré : « le niveau de curiosité et d’intérêt ne diminuait pas, malgré la fatigue, malgré l’intensité du programme. »
Qu’emportent-ils dans leurs valises ?
Des mains de fatma, des pots de Tahini, des T-shirts et colliers du marché de Jérusalem pour leurs proches, mais surtout, une expérience de vie qu’ils ne sont pas prêts d’oublier et qui a forgé en eux le désir de devenir des acteurs du changement des mentalités en France.
Après avoir fait tomber leurs propres murs, vient le temps de faire tâche d’huile, de porter le message aux oreilles de leur entourage proche, ou plus éloigné, avec cette envie de toucher le plus grand nombre.
« Je vais dire à tout le monde qu’il faut qu’on apprenne à vivre ensemble, tous. Il faut commencer où on habite, dans notre collège, dans notre ville pour aller plus loin, et étendre notre travail à toute la France », avance avec espoir et conviction le jeune Hassan qui veut s’engager activement dans l’association de Latifa.
« Tout le monde doit aller en Israël et en Palestine pour voir que ce n’est pas comme à la télé ! » affirme Eva, 9 ans, benjamine de la délégation, les yeux ronds et la voix fluette, manifestement déçue par la manipulation de certains médias.
« Je vais leur dire à tous que ce n’est pas une guerre de religions, c’est une guerre de territoires », conclut Walid.
Hadj-Kacen ajoute : « Si les gens commencent à réfléchir comme Latifa Ibn Ziaten, l’importation de ce conflit en France sera réduite à zéro. »
Latifa explique entendre systématiquement des jeunes parler de la Palestine, des « Juifs qui y tuent des Arabes» comme d’une justification pour prendre pour cible les juifs en France ou ailleurs dans le monde, comme une justification à un antisémitisme virulent et mortifère.
Par le biais de ce voyage, elle a voulu déconstruire ce schéma de pensée fondé sur l’ignorance et la propagande de certaines sphères.
Et elle est allée plus loin encore, en emmenant ces jeunes au musée Yad Vashem : « Je voulais leur montrer jusqu’où pouvait mener la haine. Ils ont été bouleversés. Je leur ai dit de faire passer le message, de dire ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu. Je crois qu’ils le feront. Je crois qu’on a réussi. »
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