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Le cocktail baptisé « Tuer des Juifs » secoue une ville du nord-ouest de l’Espagne

Dire "Mata Judios" pour commander une "limonada", une tradition vieille de plusieurs siècles, pendant la Semana Santa à León : "C'est une expression, ce n'est pas raciste"

Certains bars de León, en Espagne, annoncent qu'ils servent des cocktails "Mata Judios" ("Tuer des Juifs"), bien que la plupart des menus indiquent "Limonade". (Crédit : Shira Li Bartov/JTA)
Certains bars de León, en Espagne, annoncent qu'ils servent des cocktails "Mata Judios" ("Tuer des Juifs"), bien que la plupart des menus indiquent "Limonade". (Crédit : Shira Li Bartov/JTA)

LEÓN, Espagne – JTA – C’est la semaine qui précède la fête de Pâques à León, une ville ancienne du nord-ouest de l’Espagne et les locaux arpentent les rues pour boire des verres d’un mélange à base de vin – une festivité annuelle qui est parfois ponctuée d’un cri joyeux : « Matar Judíos » ou « Tuer des Juifs ».

La « Semana Santa » – ou Semaine sainte – est la période pieuse la plus importante en Espagne. A León, les célébrations sont particulièrement spectaculaires, avec dix jours de musique, de sermons et une trentaine de processions qui rassemblent environ 16 000 pénitents. C’est aussi une saison déterminante pour les touristes – en 2002, la Semaine sainte a été déclarée « Fiesta de Interés Turístico Internacional » (« Festival d’intérêt touristique international »).

L’une des caractéristiques de ces réjouissances endiablées est un cocktail léonais à base de vin rouge, de citron, de cannelle et de sucre, parfois agrémenté d’oranges et de figues. Ici, ce cocktail est connu sous le nom de « limonada », et pratiquement tous les bars du Barrio Húmedo, le quartier médiéval de la ville où la vie nocturne bat son plein, sont couverts d’affiches promouvant leur propre variante. La tradition locale veut que l’on boive 33 limonadas pendant la Semana Santa, symbolisant l’âge de Jésus lorsqu’il a été crucifié.

C’est aussi une tradition vieille de plusieurs siècles, pour les personnes à la recherche de limonadas, de dire qu’ils vont sortir pour « tuer des Juifs ».

« C’est une expression ici », a déclaré Margarita Torres Sevilla, professeure d’histoire médiévale à l’Université de León, à la Jewish Telegraphic Agency. « Par exemple, vous allez me dire : ‘Tu viens boire quelque chose avec moi ? […]’ ‘D’accord, allons tuer des Juifs.’ Une autre phrase typique de la Semana Santa est : ‘Combien de Juifs as-tu tués ? Trois, quatre, cinq [limonadas] ? Oh, tu en as tué beaucoup’. »

À León, une ville d’environ 124 000 habitants qui n’a pas de communauté juive visible, des locaux ont déclaré à la JTA que l’expression n’était pas considérée comme vulgaire ou antisémite. Certains bars la célèbrent comme une fierté de l’héritage de la ville, utilisant la phrase comme un hashtag lorsqu’ils annoncent leurs spécialités saisonnières sur les réseaux sociaux.

Illustration : Un « Costalero » de la confrérie « La Vera Cruz » se préparant à porter sur son dos la plate-forme portable qui soutient une statue de la Vierge de La Vera Cruz, lors d’une procession de la Semaine sainte, à Séville, en Espagne, le 3 avril 2023. (Crédit : Laura Leon/AP Photo)

« Avec l’arrivée de la Semana Santa vient aussi la saison de la limonada léonaise, une tradition devenue également populaire sous le nom de ‘tuer des Juifs’, » peut-on lire dans une publication Facebook en espagnol du Bar Genarín du 10 mars. « Nous vous proposons deux versions, la classique et la blanche. »

« C’est étrange pour les touristes, mais ils le prennent en riant », a explique Sonia Da Costa, une serveuse qui distribue des assiettes et des verres aux clients de la Cafetería Chamberí, un bar à tapas local. « Ici, c’est normal. »

Le quartier juif historique de León – qui ne compte plus de population juive depuis des centaines d’années – se compose de deux rues encastrées dans le Barrio Húmedo qui, en cette semaine sainte, est arpenté par tous les amateurs de limonadas.

Peu de traces indiquent où vivait la communauté ; ses trois synagogues médiévales ont été perdues – la dernière étant commémorée par une petite plaque récemment installée dans la rue Misericordia. La troisième synagogue juive de León a été construite ici [1370-1481]. Dans une rue secondaire de la place centrale de León, une porte en pierre porte deux marques verticales qui, selon Torres Sevilla, ont été laissées par une mezouza.

Illustration : Des pénitents cagoulés traversant la ville de Zamora lors d’une procession de Pâques dans la province de Castille-Leon, près de la frontière portugaise, le 27 mars 1997. (Crédit : Denis Doyle/AP Photo)

Les Juifs se sont installés dans la région à partir du Xe siècle. León a donné naissance à Moses de León, un célèbre mystique juif qui aurait rédigé le Zohar, texte fondateur de la Kabbale.

La ville est devenue un centre de la pensée religieuse juive, où les Juifs ont vécu dans une relative égalité avec les chrétiens de León, interrompue par des flambées de violence sporadiques, jusqu’en 1293, lorsque le roi Sancho IV leur a interdit de posséder des terres agricoles. Vingt ans plus tard, les Juifs ont été contraints de porter un badge jaune et, à partir de 1365, ils ont dû s’acquitter d’un impôt spécial, semblable à celui que supportent les musulmans.

Selon Torres Sevilla, l’expression « tuer des Juifs » pendant la Semaine sainte remonte à un épisode du XVe siècle. León était économiquement dévasté par la guerre et la peste noire, laissant de nombreux nobles chrétiens endettés.

L’un de ces chevaliers, Suero de Quiñones, devait de l’argent à un marchand juif. Pour éviter d’honorer sa dette, Quiñones avait exploité la ferveur religieuse de la Semaine sainte en la retournant contre les Juifs de León, en 1449. Il était aller attaquer, avec d’autres chevaliers, le quartier juif, tuant son créancier et d’autres personnes le jour du Vendredi saint.

Illustration : Des pénitents de la confrérie La Cena attendant dans l’église avant de participer à une procession, à Séville, en Espagne, le 13 avril 2014. (Crédit : Laura Leon/AP Photo)

« Quiñones a dit que pendant la Semaine sainte, notre Seigneur a été accusé par les Juifs et que les Juifs l’ont tué », a déclaré Torres Sevilla. « Alors que faisons-nous des Juifs ? Nous les tuons. Mais la vraie raison n’était pas un motif chrétien – la vraie raison était qu’il avait une dette importante envers un marchand important de la communauté juive. »

Pour célébrer leur prétendue vengeance pour la mort de Jésus, Quiñones et ses alliés sont allés boire du vin dans le Barrio Húmedo. C’est ainsi qu’a commencé le rituel consistant à descendre des limonadas au son du refrain « tuer des Juifs », a expliqué Torres Sevilla.

D’autres récits affirment que l’expression est née du pouvoir d’apprivoisement de la limonada, autorisé par les dirigeants médiévaux en pleine semaine sainte d’abstinence et de jeûne pour empêcher les chrétiens de commettre des pogroms contre les Juifs – en les gardant occupés dans les tavernes.

La tradition léonaise du « Matar judíos » ne semble pas avoir de lien avec la ville espagnole située à environ 150 kilomètres à l’est, qui a été appelée Castrillo Matajudíos – ou Fort Tue-les-Juifs – de 1627, pendant une période de persécution antisémite, jusqu’à il y a quelques années.

L’ambassadeur d’Israël en Espagne Daniel Kutner (5e à gauche), le maire de Castrillo Mota de Judio Lorenzo Rodriguez (7e à gauche), la conseillère espagnole de la culture et du tourisme de la Junta de Castilla y Leon Maria Josefa Garcia Cirac (8e à gauche) et des officiels tenant deux panneaux indiquant le nouveau nom du village espagnol « Castrillo Matajudíos » à Castrillo Mota de Judios, à proximité de Burgos, le 23 octobre 2015. (Crédit : Cesar Manso/AFP)

La communauté juive de la région n’a pas survécu longtemps à l’attaque de Quiñones. Les Juifs ont été expulsés de León en 1481, et 11 ans plus tard, en vertu du décret de l’Alhambra du roi Ferdinand II et de la reine Isabelle I, de toute l’Espagne. Certains historiens ont également établi un lien entre la limonada et l’idée de « tuer des Juifs » et une citation attribuée à Ferdinand lors de la signature du décret d’expulsion en 1492 : « Limonada que trasiego, judío que pulverizo » (« Limonada que je transvase, Juif que je pulvérise »).

Aujourd’hui, les habitants affirment qu’il s’agit d’une coutume sociale qui n’a aucun lien avec le meurtre, la religion ou les vrais Juifs.

« Les gens sont habitués ici, c’est une expression qui n’est pas du tout raciste », a explique José Manuel, qui travaille au Vychio Cafe Bar. « C’est une expression qui date d’une époque de racisme, mais aujourd’hui, non, c’est une expression de coutume. »

Torres Sevilla a déclaré qu’un passé juif sommeille à León, même parmi les habitants qui ne connaissent peut-être pas leur propre histoire. Si des dizaines de milliers de Juifs ont fui l’Espagne à la suite du décret de l’Alhambra, des milliers d’autres sont restés et se sont convertis. Torres Sevilla pense faire partie des Espagnols descendant des « conversos », qui ont conservé certaines traditions distinctes bien qu’ils soient devenus chrétiens. Le nom « Sevilla » est un nom de famille historiquement juif. Sa famille va à l’église le samedi – et non le dimanche – et commence à prier le vendredi, jour du Shabbat. Elle a grandi avec un rituel, que l’on retrouve également dans d’autres familles « converso », qui consiste à nettoyer la maison et à préparer des vêtements propres avant le samedi.

Pr. Margarita Torres Sevilla dans une interview publiée le 17 septembre 2021. (Crédit : Capture d’écran : Youtube/Canal Saber ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur le droit d’auteur)

De nombreux Juifs léonais sont restés et se sont convertis après 1492, a-t-elle expliqué, mais leurs descendants n’en ont peut-être aucune idée – et pourraient même faire partie de ceux qui appellent à « tuer des Juifs » avec leurs cocktails pendant la Semaine sainte.

Tout le monde sait qu’il faut « tuer des Juifs », mais personne ne connaît l’histoire juive de León », a déclaré Torres Sevilla.

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