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Le Krav maga, l’art martial israélien à la mode à Paris

Au cours de la dernière décennie, des milliers de Juifs français - et certains non-Juifs - ont appris à se défendre dans un contexte marqué par des intimidations et des violences croissantes dans les rues françaises

Les élèves pratiquent du Krav Maga à Saint Mandé, le 23 mars 2017 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Les élèves pratiquent du Krav Maga à Saint Mandé, le 23 mars 2017 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

PARIS (JTA) — Dans une rue sombre d’un quartier pauvre de cette ville, cinq hommes à l’esprit dévoré par la violence ont rapidement approché Netanel Azoulay, 17 ans, et son frère aîné Yaakov alors qu’ils étaient dans leur véhicule.

« Sale Juif, je vais te tuer ! » a crié l’un des hommes.

Le conflit entre les occupants des deux voitures a rapidement dégénéré en agression physique et l’un des agresseurs a brandi une scie. Azoulay – qui, comme son frère, portait la kippa – a presque perdu son doigt et a eu l’épaule disloquée avant que des passants ne viennent mettre un terme à la rixe.

Cet incident survenu le 21 février à Bondy fait partie de l’une des douzaines d’agressions antisémites – parmi des centaines d’épisodes moins violents – qui sont enregistrées par an dans la région parisienne. Cette altercation, toutefois, a été particulièrement choquante en raison de la violence, et elle a illustré combien le harcèlement peut mener rapidement à des effusions de sang.

Mais les blessures d’Azoulay auraient pu être bien pires. Azoulay est ceinture marron de Krav Contact, une variante de Krav Maga, un art martial d’auto-défense développé en Israël. Et cela fait des années qu’il s’entraîne en vue d’un tel moment.

« Je pense que le Krav nous a sauvé la vie », explique Azoulay, qui a commencé à s’entraîner enfant comme son frère afin d’apprendre à se défendre dans les rues difficiles de Bondy.

Le père d’Azoulay est instructeur de Krav Contact et la famille a adopté très tôt cette méthode lorsqu’elle était encore largement inconnue en France. Toutefois, au cours de la décennie passée, des milliers de Juifs français – et des non-juifs également – se sont tournés vers le Krav Maga dans le contexte d’actes d’intimidation et de violence qui se multiplient dans les rues des plus grandes villes françaises.

« Il y a une explosion de la popularité du Krav Maga,” explique Avi Attlan, l’un des pionniers de cette technique en France.

Il y a dix ans, elle était enseignée dans quelques écoles juives de la banlieue de Paris, raconte-t-il. Aujourd’hui, le Krav Maga fait partie du programme d’au moins 20 écoles juives, dont un grand nombre appartenant au réseau d’éducation Habad-Loubavitch. Des camps d’été juifs ont également commencé récemment à proposer des cours.

Netanel Azoulay, à gauche, et son père Armand à Paris, le 14 mars 2017 (Crédit :Cnaan Liphshiz/JTA)
Netanel Azoulay, à gauche, et son père Armand à Paris, le 14 mars 2017 (Crédit :Cnaan Liphshiz/JTA)

Attlan et les maîtres de Krav Maga qui travaillent pour lui comptent approximativement 200 élèves dans cinq endroits différents de Paris. Il y a une décennie, il avait seulement une quarantaine d’ élèves, dit Attlan.

En 2013, la France a organisé son tout premier championnat de Krav Maga. C’est devenu dorénavant un événement annuel.

« Pour moi, le Krav Maga est un sport. C’est une manière de vivre », commente Attlan, un homme né en Algérie âgé d’une soixantaine d’années.

Il explique que cette discipline « est devenue un instrument de survie » pour les Juifs français avec la hausse des violences antisémites suite à la Seconde Intifada en 2000 — les incidents en France, cette année-là, étaient passés de plusieurs dizaines à des centaines.

C’est un sentiment d’insécurité qui a inspiré l’idée à Laurent Kachauda, il a commencé une formation au Krav Maga avec Attlan il y a quinze ans à Saint-Mandé, là où un terroriste islamiste a tué quatre Juifs dans un magasin casher en janvier 2015 – Yoav Hattab, Yohan Cohen, Francois-Michel Saada, Philippe Braham.

Les quatre victimes de l'Hyper Cacher de gauche à droite : Yoav Hattab, Yohan Cohen, Francois-Michel Saada, Philippe Braham. (Crédit : Autorisation)
Les quatre victimes de l’Hyper Cacher de gauche à droite : Yoav Hattab, Yohan Cohen, Francois-Michel Saada, Philippe Braham. (Crédit : Autorisation)

« Quelqu’un avait gravé une croix gammée sur mon casier au lycée », se souvient Kachauda, comptable d’une trentaine d’années. « J’ai réalisé que quelqu’un m’observait et pourrait peut-être un jour m’agresser. Alors j’ai cherché des professeurs de Krav Maga. »

Kachauda fait partie des 12 élèves reçus par Attlan la semaine dernière dans un gymnase de Saint Mandé, situé à seulement quelques mètres du lieu de l’attentat du supermarché. Les élèves – majoritairement des Juifs âgés de 17 à 50 ans – pratiquent les mouvements à deux et à trois.

Suite à l’attaque meurtrière, les leaders de la communauté juive importante de Saint-Mandé se sont adressés aux fidèles des synagogues en leur recommandant de prendre des cours d’auto-défense. Les communautés juives de tout le pays ont également suivi cette campagne de sensibilisation.

Dans certaines communautés, les rabbins ont recommandé aux membres de leurs communautés un entraînement de Krav Maga. Les membres du SPCJ, l’unité chargée de la sécurité de la communauté juive française qui est également formée au Krav Maga, a organisé aussi des ateliers pour donner un avant-goût de la technique.

L’un des élèves d’Attlan — Jordan Ktorza, 17 ans — n’a pas eu besoin de se faire convaincre pour venir aux cours.

« Je voulais déjà apprendre à me défendre quand on nous a parlé du Krav Maga à la synagogue,” explique-t-il.

Au cours de la leçon, Attlan fait travailler Ktorza avec Sylvie, une habitante non-juive de Saint Mandé. Sylvie, la trentaine, qui refuse de donner son nom de famille, a décidé de s’intéresser au Krav Maga parce que « les rues ne sont pas sûres pour qui que ce soit et pour une femme en particulier », commente-t-elle durant une pause de rafraîchissement, des propos repris par JTA.

Elle rejoint le groupe tandis qu’Attlan donne des instructions rapides d’une voix étouffée. Il encourage ses élèves à « frapper plus vite » ou à « fermer les zones exposées » et leur demande de s’abstenir de discuter ou de ricaner.

« Nous ne parlons pas – nous frappons, nous bloquons », résume-t-il.

Pour Ktorza et de nombreux autres élèves qui apprennent le Krav Maga, le lien israélien avec la technique – qui fait partie de l’entraînement de base des soldats israéliens – entraîne un attachement émotionnel.

« Cela veut dire beaucoup de choses pour moi que cette technique ait été développée par mon peuple pour mon peuple », dit l’adolescent.

Avi Attlan, à genoux, enseigne le Krav Maga à des étudiants de Saint Mandé, le 23 mars 2017 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Avi Attlan, à genoux, enseigne le Krav Maga à des étudiants de Saint Mandé, le 23 mars 2017 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Mais le Krav Maga offre des avantages qui attirent également les non-Juifs en France, où des centaines de personnes ont été tuées lors d’attentats terroristes ne visant pas spécifiquement les Juifs depuis 2012.

« Le Krav Maga, contrairement au karaté, au jiu-jitsu et à d’autres arts martiaux, n’a pas de règles », explique un professeur musulman de Krav Maga qui travaille dans la banlieue parisienne défavorisée de Saint-Denis, dans le nord de la capitale. Il a demandé à conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité.

« C’est adapté à la réalité urbaine parce que c’est totalement utilitaire », ajoute-t-il. « Cela a été créé pour neutraliser un agresseur. « Pas de révérence, pas de subtilités. Seulement tout ce qui peut neutraliser une attaque. Un coup dans l’aine – bien. Des pouces dans les yeux – sûr. Des coups sur la nuque – pourquoi pas. »

L’instructeur arabe, qui a une cinquantaine d’années, indique avoir quitté Saint-Denis pour une banlieue plus sûre il y a 20 ans suite à une rixe qui l’a opposé à des toxicomanes. Il se souvient les avoir agressés à proximité d’un terrain de jeu où son petit garçon alors âgé de 18 mois seulement avait trouvé une seringue utilisée dans un tas de sable.

Mais l’instructeur, qui a huit frères et soeurs à Saint-Denis, continue à enseigner le Krav Maga aux jeunes pour leur apprendre à se défendre s’ils se retrouvent en danger un jour ou l’autre.

« Cela empêche l’intimidation et cela aide à instiller la discipline et la confiance », dit-il.

Les arts martiaux, dont le Krav Maga fait partie, « m’ont permis de quitter cet endroit où 80 % de mes amis de lycée sont morts », raconte-t-il. « J’espère initier les autres à cet art martial ».

L’instructeur musulman enseigne aux élèves les origines israéliennes de la méthode et utilise la terminologie en hébreu, « même si un grand nombre d’entre eux ont une image négative d’Israël », dit-il.

« La religion doit rester hors du cercle, il y a la mosquée pour ça », dit-il. « La politique aussi doit rester hors du cercle, il y a des clubs de débat et des mouvements de jeunes pour ça ».

Un cinquième de ses 80 élèves sont des femmes, explique-t-il. Il ne forme pas les enfants ou « les gens qui pourraient abuser de l’arme que je leur place entre les mains ».

De retour à Bondy, Azoulay pense reprendre son entraînement de Krav Contact une fois que sa main sera complètement guérie. Survivre à l’agression lui a montré qu’il « a ce qu’il faut pour assurer [s]a sécurité », dit-il.

Mais l’impact psychologique de l’agression est encore là, ajoute-t-il.

« Cela ne m’a pas fait peur, mais je me suis senti mal », dit Azoulay. « Après l’attaque, j’ai pris la décision de quitter le pays. Peut-être pour Israël, peut-être pour les Etats-Unis ».

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