Le tramway de Tel Aviv, source de multiples défis et controverses
La marche à blanc souligne les difficultés techniques : certains dénoncent l’interdiction du trafic à Shabbat, d'autres craignent que la forte demande n'entraîne une surpopulation
JTA – Les huées ont résonné et le scanner de pass a mal fonctionné lorsque la ministre des Transports Miri Regev (Likud) a dirigé un essai du métro tant attendu de Tel Aviv pour la presse mercredi.
Ce projet historique, qui a coûté plus de 18 milliards de shekels, promet de renouveler l’expérience d’innombrables Israéliens qui se rendent à Tel Aviv ou qui s’y déplacent. La ligne rouge, qui passe par Bat Yam, au sud de Tel Aviv, puis par Tel Aviv et Petah Tikva, a été officiellement ouverte au public ce vendredi, huit ans après le début des travaux et deux ans après la date prévue initialement pour son ouverture.
Mais le pays a profondément changé au cours de ce laps de temps. Aujourd’hui, les ministres du gouvernement ne peuvent plus faire d’apparitions publiques sans s’attirer les protestations d’Israéliens, mécontents des efforts déployés par la coalition mise en place il y a huit mois pour limiter considérablement le pouvoir du système judiciaire.
Des manifestants se sont ainsi rassemblés à la station Ehrlich, sur l’artère principale de Jaffa, le boulevard de Jérusalem, avant l’arrivée de Regev, en scandant : « La ministre pose pour des séances de photos alors que le pays s’effondre. » D’autres ont suivi le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de son apparition à la cérémonie d’ouverture officielle à Petah Tikva jeudi.
Pour de nombreux habitants, l’un des principaux problèmes liés à l’inauguration du métro est qu’il ne fonctionnera pas à Shabbat. Le prédécesseur de Regev, Merav Michaeli, avait promis que la ligne fonctionnerait le vendredi soir et toute la journée du samedi, alors que les transports publics ne fonctionnent pas durant Shabbat dans le pays. Une exception est faite à Haïfa, qui compte une importante population arabe.
La promesse de Michaeli avait alors suscité l’indignation dans la ville haredi de Bnei Brak, qui compte plusieurs arrêts sur la ligne. Au début du mois, Regev a donc annoncé qu’elle revenait sur la décision de Michaeli.
« Nous maintiendrons le statu quo, selon lequel le train ne circulera pas durant Shabbat. Pour les personnes non religieuses, Shabbat est aussi un jour de repos. Et nous sommes dans un État juif », a déclaré la ministre du Likud aux journalistes mercredi.
Le maire de Tel Aviv, Ron Huldaï, n’a pas assisté à la cérémonie d’inauguration en raison de son soutien aux transports publics à Shabbat. Certains critiques disent avoir l’intention de boycotter la ligne jusqu’à ce qu’elle fonctionne durant Shabbat.
Ziv Forshtat, l’une des personnes ayant protesté contre Regev lors de la marche à blanc, a déclaré qu’il pensait que le service limité était lié aux manifestations anti-gouvernement de masse qui ont lieu chaque semaine à la sortie de Shabbat rue Kaplan, qui est adjacente à l’une des stations du métro.
« Ils ne veulent pas faciliter la venue des gens à Kaplan pour les manifestations », a-t-il estimé auprès de la Jewish Telegraphic Agency.
Forshtat pense qu’il est important que les Israéliens, qui protestent contre la refonte judiciaire du gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays, ajoutent à leur agenda la question des transports à Shabbat.
« C’est une situation qui a été tolérée jusqu’à présent », note Forshtat. « Mais maintenant que nous voyons ce gouvernement se serrer la ceinture dans d’autres domaines, il est temps de mettre un terme à cette question également. »
La nouvelle ligne de transport facilitera pour de nombreux Israéliens ce qui peut s’avérer être un trajet compliqué et fatigant vers et à travers Tel Aviv. Se rendre dans le centre-ville depuis l’un des terminus de la ligne dite rouge peut prendre jusqu’à une heure en bus ; conduire en voiture, ce que tous les Israéliens ne peuvent pas faire, s’accompagne d’un prix élevé pour le stationnement – si tant est que l’on puisse trouver une place… Désormais, il ne faudra plus que quelques minutes pour parcourir la même distance. Les zones desservies par la nouvelle ligne devraient devenir plus attrayantes pour les personnes qui cherchent à échapper aux loyers très élevés de la ville blanche.
« Quels que soient les problèmes, les ‘qui auraient pu être un problème’, cette ligne de métro est une amélioration considérable par rapport au statu quo. Sur mon trajet, cette ligne de train – avec toutes ses imperfections – me fait gagner une à deux heures par jour », a déclaré Owen Alterman, qui travaille comme correspondant principal pour la chaîne de télévision i24. À cause d’une mauvaise vue, Alterman ne peut pas conduire et utilise les transports publics pour se rendre aux studios de la chaîne et en revenir.
Des travaux sont en cours sur deux lignes supplémentaires qui tripleront la zone desservie par le métro ; ces lignes devraient normalement être achevées en 2026 et 2028. L’ensemble du projet comprendra au final 139 stations dans 14 villes.
Contrairement à Jérusalem, où un nouveau système de métro a fonctionné gratuitement pendant quatre mois après l’ouverture de la première ligne en 2011, le métro de Tel Aviv sera payant dès samedi soir. Les trajets à l’intérieur de Tel Aviv coûteront 5,50 shekels, soit environ 1,20 euro, et les trajets plus longs coûteront un peu moins de 3 euros.
Les trains devraient circuler toutes les six à huit minutes et mettre environ 80 minutes pour parcourir l’ensemble des 24 kilomètres de la ligne rouge.
Certains habitants avaient espéré que Tel Aviv suivrait l’exemple de Jérusalem et offrirait des trajets gratuits en guise de compensation pour les perturbations causées par les travaux de construction.
« Après avoir fermé les principales artères de circulation de Jaffa pendant quatre ans, mis d’innombrables magasins en faillite et rendu la circulation impossible dans la région, le moins qu’ils puissent offrir est plus qu’une journée gratuite », a déclaré Bracha Arnold, une résidente de Jaffa, à la JTA.
Regev n’a pas donné de détails sur la décision du ministère des Transports. « Nous avons décidé qu’il s’agirait d’une seule journée », a-t-elle affirmé. « À partir de samedi, nous commencerons à valider nos pass ».
Reste à savoir comment cela se passera. Après que Regev a utilisé une carte de transport empruntée, connue sous le nom de Rav Kav, pour payer son trajet, les barrières de contrôle ont mal fonctionné et sont restées fermées.
« Espérons que le problème sera résolu d’ici samedi soir », a-t-elle dit.
D’autres problèmes se profilent à l’horizon. Le train a une capacité de 440 passagers, mais Tevel, la société qui exploite la ligne, prévoit que la demande sera plus importante. En septembre, lorsque les opérations se normaliseront, la société prévoit une demande de 600 à 700 passagers par train.
Cet écart inquiète à la fois Amiram Ohion, PDG de Tevel et Haïm Glick, PDG de l’agence gouvernementale des transports en commun – NTA.
« Nous avons des prévisions concernant le nombre de passagers sur cette ligne, mais elles sont basées sur le [trafic] des bus, ce qui représente un monde de transports publics totalement différent », a expliqué Ohion, ajoutant que les propriétaires de véhicules qui, traditionnellement, évitent les bus, pourraient finalement opter pour le métro.
Selon Ohion, le projet était très complexe, notamment parce qu’il s’agit de l’un des rares systèmes de métro au monde à fonctionner à la fois en surface et sous-terrain. Dix des 34 stations de la ligne rouge sont en effet souterraines, et le train circule plus rapidement entre elles. Les stations de Bnei Brak ont été construites en dessous de la terre : un autre argument pour les laïcs qui souhaitent une circulation pendant Shabbat.
Glick a précisé que plus de 300 agents seraient déployés pour aider les voyageurs à s’orienter.
« Nous espérons également que le public commencera à se comporter comme les Européens », a-t-il déclaré, soulignant que les capitales européennes, dont les transports ferroviaires sont très fréquentés, n’en sont pas moins « ordonnées ». « Nous voulons que les personnes sur le quai attendent que les passagers descendent du train avant d’essayer d’y monter. »