Les archives secrètes du ghetto de Varsovie adaptées au cinéma
Un nouveau film basé sur deux documents à la valeur inestimée qui ont pu être récupérés - sur les trois enterrés pendant la Shoah - présente les créateurs de l'archive « Oneg Shabbat », dont peu ont survécu au régime nazi

Au moment où Serena Kassow a fait son apparition dans un film sur les archives secrètes du ghetto de Varsovie, elle avait entendu parler de « l’histoire inédite la plus importante de l’Holocauste » pendant la majeure partie de sa vie.
Etant la fille de l’historien de la Shoah Samuel Kassow, la jeune fille de 21 ans avait grandi en voyant son père recueillir des histoires de survivants habitant le Connecticut, en particulier ceux originaires de Pologne.
Ces années d’apprentissage ont culminé en mai, lorsque Kassow a rejoint son père sur le tournage de « Who Will Write Our History? » [Qui écrira notre histoire?], un documentaire basé sur son livre éponyme qui porte sur les archives « Oneg Shabbat » du ghetto de Varsovie.
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Un jour après avoir reçu son diplôme d’études de théâtre de l’Emerson College de Boston, Serena s’est envolée pour la Pologne pour ce qu’elle a appelé « un mois incroyablement personnel ». Ayant entendu qu’elle avait étudié le théâtre, les producteurs du film l’ont inclue dans le casting comme figurante. Sur les scènes des ghettos de Varsovie et de Lodz, elle a joué une dactylo préparant des rapports pour l’archive clandestine, dont 25 000 documents sont parvenus aux historiens.
Né dans un camp de personnes déplacées en Allemagne, Samuel Kassow a dirigé la création de deux galeries populaires au célèbre musée POLIN à Varsovie, qui a ouvert en 2014 pour documenter 1 000 ans de vie juive en Pologne. Kassow a conçu l’exposition « rue juive » d’avant-guerre du musée, qui – comme l’ensemble du musée – se trouve au sommet d’une zone à étages de l’ancien ghetto, à proximité des sites du soulèvement et de plusieurs mémoriaux.
« Mon père a conçu l’exposition ‘rue juive’, comme il l’aurait fait pour moi et ma sœur », a expliqué Serena. « Elle est faite pour quelqu’un qui n’a pas étudié la vie juive d’avant-guerre à Varsovie, avec beaucoup d’objets exposés sur les films, les sports, les magazines, le théâtre, et toutes les choses qui nous intéressent encore aujourd’hui ».

« Une nation qui produit ces monstres »
Emanuel Ringelblum, le visionnaire d’Oneg Shabbat était un leader communautaire et universitaire respecté avant la guerre. Spécialiste de l’histoire juive en Pologne, il était la bonne personne pour documenter les Juifs de Varsovie en péril, dont 300 000 ont finalement été gazés à Treblinka.
Plusieurs principes ont guidé Ringelblum et les bénévoles d’Oneg Shabbat, qui ont travaillé avec lui. Aucun aspect de la vie du ghetto n’était insignifiant pour eux, que ce soient les emballages de bonbons, les cartes de rationnement, les blagues ou l’argot quotidien.
Tous les aspects de la vie politique du ghetto devaient être représentés avec des journaux clandestins, des procès-verbaux et d’autres documents. Oneg Shabbat ne devait pas être une version « revisitée » de l’histoire, mais une collection exhaustive de sources de première main.

Les vives critiques de Ringelblum et d’autres sur les dirigeants du ghetto, notamment le Conseil juif nommé par les nazis pour appliquer leurs ordres, ont été d’un intérêt particulier pour les historiens.
« Peut-être qu’une nation qui produit de tel monstres mérite ce qu’elle reçoit », a écrit l’écrivain yiddish Shie Perle dans un document d’Oneg Shabbat, comme l’a rappelé Samuel Kassow au cours d’une conférence à l’Emerson College en avril.
« Ces monstres », selon Kassow, étaient les policiers juifs chargés de vider le ghetto de ses habitants. Lorsque Perle a écrit ces mots, les membres d’Oneg Shabbat connaissaient déjà la vérité sur Treblinka, comme le prouvent les rapports envoyés en Grande-Bretagne au sujet du camp de la mort.
« Il a mis cette [critique] dans l’archive afin que les gens le croient », a dit Kassow, ajoutant que Ringelblum voulait que la résistance et « l’héroïsme tranquille » brillent à travers la collection enterrée. « Ringelblum avait aussi l’intuition », confie Kassow, « qu’après la guerre, les gens poseraient des questions stupides ».
« Nous contrôlons la façon dont on se souviendra de nous »
Produit par Nancy Spielberg, la sortie de « Qui écrira notre histoire ? » l’année prochaine pourrait relancer l’intérêt pour retrouver la troisième cache disparue des documents enterrés par l’équipe d’Oneg Shabbat en 1943.
La première et la deuxième caches ayant été déterrées en 1946 et en 1950, il y a longtemps eu des spéculations sur le dernier trésor de documents enterrés à proximité des boutiques de brosses du ghetto avant le soulèvement. Asphaltée depuis, la zone est là où se trouve désormais l’ambassade de Chine.

Une équipe d’archéologues israéliens n’a pas réussi à découvrir la troisième cache sous les fondations de l’ambassade lors d’une fouille en 2003.
Toutefois, si les documents ont été enterrés dans des bidons de lait ou des boîtes métalliques, comme pour le premier et le deuxième trésors, ils pourraient aujourd’hui éventuellement être localisés avec un radar à pénétration de sol (GPR). Les enquêtes menées à Treblinka et ailleurs ont fait un usage fécond de GPR et d’autres outils non invasifs depuis 2003.
A l’heure actuelle, il n’y a pas de plans pour creuser ou scanner pour trouver le ‘chant du cygne’ manquant à l’histoire d’Oneg Shabbat. Selon certaines sources, la cache contiendrait des documents sur plusieurs groupes de combattants juifs et sur les préparations à la révolte.
Il y a eu récemment un débat sur les rôles joués par les différents groupes armés pendant le soulèvement, et les sources des derniers mois du ghetto auraient pu clarifier les points litigieux – en supposant que la cache soit un jour trouvée, et que tous les documents soient lisibles après 73 ans dans le sol.
Selon Samuel Kassow, les créateurs d’Oneg Shabbat voulaient « que la postérité se souviennent d’eux à partir de sources juives et pas seulement allemandes. Tant que nous contrôlons la façon dont on se souviendra de nous, vous ne nous aurez pas tués », a dit Kassow de la motivation du groupe.

La réalisatrice Roberta Grossman a déclaré au sujet de cette archive que c’était « l’histoire inédite la plus importante de l’Holocauste », mettant la barre haute pour son documentaire, actuellement en phase de montage.
Contrairement aux films axés sur le soulèvement du ghetto, ce film promet de faire la lumière sur trois années complètes de vie, et de mort, derrière les murs du ghetto. Ce point de vue plus large inclut le rôle des femmes dans la création de l’archive, la résistance, et le maintien de la vie dans le ghetto.
Etant l’une des trois membres d’Oneg Shabbat ayant survécu à la guerre, l’historienne Rachel Auerbach figurera dans le film. Ses études poignantes sur les enfants et la famine sont les points forts de l’archive, en plus de son propre journal intime. Cachée dans la partie aryenne de Varsovie après le soulèvement, Auerbach a écrit des essais sur la destruction du ghetto et sur Treblinka qui ont été distribués dans toute la Pologne.

Déplorant « le sol noir de la Varsovie juive, » Auerbach a immortalisé les vendeurs de bagels, les porteurs de couteaux, et les mendiants omniprésents dans son essai « Yizkor, 1943 », écrit après son évasion. Elle a enregistré les noms de ses proches parents envoyés à Treblinka et à Belzec, et comparé son mémoire à un cimetière pour ses proches assassinés. Dans toute la Pologne occupée par les nazis et même au-delà, le génocide devait continuer pour encore trois années.
« Je ressens le besoin de dire Yizkor quatre fois par jour », a écrit Auerbach, qui a créé plus tard le département des témoignages de Yad Vashem en Israël.
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