Ralenties par l’opération Rafah, les ventes de produits frais à Gaza reprennent
L'armée lève l'interdiction sur les produits en provenance d'Israël et de Cisjordanie ; les prix seraient élevés dû aux délais de contrôle et un flux bien en-deçà des niveaux d'avant le 7 octobre

L’armée israélienne a levé l’interdiction de vendre à Gaza des denrées alimentaires en provenance d’Israël et de Cisjordanie au cours des dernières semaines, ont déclaré jeudi à Reuters une douzaine de responsables palestiniens, d’hommes d’affaires et de travailleurs humanitaires internationaux, ajoutant que cette mesure était nécessaire parce que l’incursion israélienne dans Rafah avait ralenti l’acheminement de l’aide dans la bande de Gaza.
Les autorités militaires ont donné le feu vert aux commerçants de Gaza pour reprendre leurs achats auprès des fournisseurs israéliens et palestiniens de produits alimentaires tels que les fruits frais, les légumes et les produits laitiers ce mois-ci, quelques jours après que Tsahal a lancé une opération dans Rafah, la ville la plus méridionale de l’enclave, ont déclaré les personnes concernées.
L’incursion dans Rafah a entraîné la fermeture du seul point de passage entre Gaza et l’Égypte, le Caire refusant jusqu’à présent de laisser passer les marchandises tant que les troupes israéliennes contrôlent la partie gazaouie.
Israël a réacheminé une partie de l’aide par le point de passage de Kerem Shalom et les deux points de passage du nord de la bande de Gaza sont également ouverts, mais cette mesure a entraîné une baisse de l’aide globale, alors que les groupes d’aide internationaux multiplient les mises en garde contre la situation.
« Israël a téléphoné aux distributeurs de Gaza qui achetaient des marchandises en Cisjordanie et en Israël avant la guerre », a déclaré Ayed Abu Ramadan, président de la chambre de commerce de Gaza. « Il leur a dit qu’il était prêt à coordonner l’enlèvement des marchandises. »
Selon des responsables palestiniens et des commerçants, c’est la première fois que des marchandises produites en Israël ou en Cisjordanie sont autorisées à entrer dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, le 7 octobre, lorsque des milliers de terroristes palestiniens du Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, tuant près de 1 200 personnes et prenant 252 otages.

Interrogé par Reuters sur la reprise des livraisons, le Coordinateur des activités gouvernementales dans les Territoires palestiniens (COGAT), la branche de l’armée israélienne responsable des transferts d’aide, a déclaré qu’il étudiait les moyens de renforcer l’aide humanitaire et d’augmenter la quantité de denrées alimentaires à vendre à Gaza.
« Permettre au secteur privé d’apporter de la nourriture dans la bande de Gaza fait partie des efforts visant à augmenter la quantité de nourriture qui arrive », a ajouté le porte-parole Shimon Freedman.
Depuis des mois, les travailleurs humanitaires exhortent Israël à autoriser davantage de livraisons commerciales dans la bande de Gaza afin que des denrées fraîches puissent compléter l’aide internationale, qui contient essentiellement des denrées non périssables telles que de la farine et des conserves.
Cette réouverture n’est cependant pas une solution miracle.
Le flux des livraisons, effectuées via le poste-frontière de Kerem Shalom entre le sud de la bande de Gaza et Israël, a été irrégulier, selon des responsables palestiniens qui ont déclaré qu’entre 20 et 150 camions – chacun transportant jusqu’à 20 tonnes de nourriture – sont entrés chaque jour, en fonction du nombre de camions qu’Israël autorise à entrer.
Le point de passage a été attaqué à plusieurs reprises par le groupe terroriste palestinien du Hamas.
Ce chiffre est bien inférieur aux 600 camions par jour que l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) estime nécessaires pour faire face à la menace de famine, même si l’on y ajoute les quelque 4 200 camions d’aide alimentaire – environ 190 par jour – qui, selon les responsables israéliens, sont entrés dans la bande de Gaza depuis le début de l’opération à de Rafah le 7 mai.
Avant le 7 octobre, une moyenne de 500 camions commerciaux et d’aide humanitaire entraient chaque jour dans la bande de Gaza, transportant toutes les marchandises nécessaires à l’enclave, de la nourriture au matériel agricole en passant par les fournitures médicales, selon les chiffres de l’ONU. Depuis cette date, le nombre moyen de camions est inférieur à 140 par jour, d’après les statistiques de Tsahal recueillies par Reuters.

Les denrées alimentaires qui arrivent sont également chères et ne remplacent guère l’aide internationale déjà payée par les pays et les organisations donateurs, ont déclaré quatre travailleurs humanitaires chargés de coordonner les livraisons à Gaza. Ils ont requis l’anonymat pour pouvoir parler librement de sujets sensibles.
Trois habitants de Gaza interrogés ont déclaré avoir vu des produits étiquetés en hébreu sur les marchés, notamment des pastèques provenant d’une implantation israélienne, mais qu’ils étaient souvent vendus à des prix trop élevés pour des familles déplacées et à court d’argent.
« J’ai acheté deux œufs pour 16 shekels, simplement parce que mon enfant, âgé de trois ans, réclamait des œufs », a déclaré Abed Abu Mustafa, père de cinq enfants de Gaza City. « Normalement, j’aurais pu acheter 30 œufs pour moins cher. »
Israël a lancé son opération à Rafah le 7 mai, défiant les avertissements de son plus proche allié, les États-Unis, qui craignaient que l’incursion ne fasse davantage de victimes civiles, ainsi que ceux des organisations humanitaires, qui estimaient qu’elle risquait de compromettre les efforts déployés pour fournir de la nourriture aux habitants de Gaza.

Israël affirme que cette opération est nécessaire pour s’attaquer à certains des derniers bataillons du Hamas et libérer les otages qui y sont toujours détenus. Israël a également découvert au moins 20 tunnels utilisés par le Hamas pour faire entrer clandestinement des marchandises et des armes dans la bande de Gaza.
Une semaine après le début de l’incursion, a déclaré Abu Ramadan, de la Chambre de commerce, l’armée a commencé à contacter les commerçants de Gaza pour leur dire qu’ils pouvaient reprendre les livraisons de denrées alimentaires en provenance d’Israël et de Cisjordanie.
Selon Wassim Al-Jaabari, responsable du syndicat de l’industrie alimentaire de Cisjordanie, tous les fournisseurs et toutes les marchandises doivent être contrôlés par Tsahal.
Les distributeurs de Gaza rencontrent les camions envoyés par les fournisseurs au point de passage de Kerem Shalom, à la frontière sud de Gaza, où l’armée examine les marchandises avant d’autoriser les distributeurs à les faire entrer dans l’enclave, ont déclaré les deux responsables palestiniens.

Une copie d’une liste du COGAT consultée par Reuters montre que le 22 mai, 127 camions transportant des pastèques, des citrons, des œufs et du lait ainsi que des épices, du riz, des pâtes, du sucre et d’autres produits avaient été commandés par des distributeurs de Gaza. La liste indiquait que la plupart des fournitures provenaient de Cisjordanie, bien que Reuters n’ait pas pu déterminer si cela était représentatif des livraisons plus générales.
Jaabari et Abu Ramadan ont déclaré qu’aucun produit gratuit ou don caritatif n’était autorisé en provenance de Cisjordanie ou d’Israël, mais uniquement des produits destinés à la vente.
Aucun des cinq hommes d’affaires interrogés, impliqués dans ce commerce, n’a voulu divulguer le prix exact d’une cargaison complète, mais ils ont déclaré que leurs prix correspondaient à ce que la vente en Cisjordanie coûte normalement. Les prix du transport, cependant, font grimper les coûts, car les camions doivent souvent rester longtemps sur la route située à proximité de Kerem Shalom en attendant d’être inspectés et sont parfois saccagés par des militants israéliens qui protestent contre l’entrée de marchandises à Gaza, ont-ils expliqué.
Deux distributeurs de Gaza ont refusé de dire à quel prix ils achetaient et revendaient les marchandises. Ils payent les fournisseurs de Cisjordanie par virement bancaire et reçoivent de l’argent liquide des vendeurs sur les marchés locaux.

Les marchandises ont également été distribuées de manière inégale, et peu d’entre elles sont parvenues jusqu’au nord de la bande de Gaza, où les craintes de famine sont les plus vives.
« Il y a beaucoup de farine ici, mais peu d’autres choses », déplore Abu Mustafa. « Et le reste, la plupart des gens ne peuvent pas se l’offrir. »