Les Juifs d’Ukraine, isolés par le conflit, traduisent leurs prières dans leur langue
Pour la communauté juive, la traduction des textes sacrés est un moyen d'affirmer son identité et sa foi. S'y ajoute un livre de prières pour enfants

JTA – Face à l’incertitude, une partie des Juifs ukrainiens se tournent vers ce qu’ils peuvent contrôler, à commencer par la langue qu’ils parlent et les rituels qui font leur identité.
La rabbin Irina Gritsevskaya, cheffe du mouvement massorti en Ukraine, vient ainsi de publier, en janvier dernier, la toute première version ukrainienne d’un livre de prières pour enfants. L’ouvrage intitulé « Le chant du coeur » regorge d’illustrations, de questions à destination des enfants et d’explications des prières, avec en dernière page une prière pour la paix en Ukraine.
Durant des siècles, que ce soit au sein de l’Empire russe ou de l’Union soviétique, les Juifs ukrainiens ont prononcé leurs prières en hébreu ou en russe. Mais depuis l’invasion de la Russie, en 2022, ils sont nombreux à avoir souhaité que les textes sacrés soient traduits dans leur langue, une façon de lutter pour leur identité juive et ukrainienne.
Ce troisième anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, lundi dernier, est aussi le début d’une nouvelle phase dans ce conflit, le plus sanglant qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Le président Donald Trump a balayé d’un revers de main des années de soutien américain à l’Ukraine en agressant verbalement et publiquement le président ukrainien Volodymyr Zelensky et en négociant avec la Russie de façon à mettre un point final à la guerre.
L’Ukraine n’a pas été invitée aux négociations, à Ryad, la semaine dernière, et Trump a tenté de forcer Zelensky à renoncer à 50 % des revenus tirés des ressources en minerai de son pays, sans garantie de sécurité en retour. Lundi, les États-Unis ont donc voté, avec quelques pays, contre une résolution des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. (Israël, qui fait l’impossible pour tenter de conserver de bonnes relations avec la Russie et l’Ukraine, a également voté contre.)
Samedi soir, la Russie a lancé sa plus importante attaque de drones depuis le début de la guerre contre l’Ukraine. Pour nombre de Juifs forcés de se mettre à l’abri face à ces attaques, la prière ne se fait pas seulement à la synagogue – elle est aussi un refuge lorsqu’ils n’ont nulle part où se cacher ou qu’ils ont le sentiment que personne ne viendra les secourir.
« C’est l’une des seules choses qui nous restent, en ce moment, nos prières », confie Gritsevskaya, qui vit en Israël mais se rend fréquemment en Ukraine. « En Ukraine, les gens se sentent très seuls face à la guerre, en ce moment. Et prier c’est ce que l’on fait quand tant d’autres choses manquent à l’appel. »
Inna Vdovychenko apporte une aide humanitaire aux Juifs d’Odessa grâce à l’American Jewish Joint Distribution Committee, ou JDC. La semaine dernière, une importante attaque de drones sur Odessa a privé d’électricité – donc de lumière et de chauffage – 90 000 personnes au moment où les températures étaient inférieures à -6 degrés Celsius. Deux Juifs ont eu leurs portes et fenêtres soufflées, poursuit Vdovychenko.
Elle fait en sorte de répondre aux besoins de première nécessité de la communauté, à commencer par l’évacuation des zones les plus dangereuses et la mise à disposition de vivres, de médicaments et d’autres fournitures essentielles permettant de survivre aux hivers rigoureux et aux étés torrides sans électricité. Mais elle ajoute que les gens ont aussi besoin de « nourrir leur âme » – ce qui passe par l’existence d’un endroit dans lequel se retrouver pour le Shabbat, d’une cuisine pour cuire les hallot ou encore d’un groupe auquel se joindre pour entretenir les tombes du cimetière juif des environs.
Les Juifs sont présents depuis longtemps à Odessa, ville qui accueille des mouvements tels que les Lumières juives et la littérature hébraïque moderne. Àvant la Seconde Guerre mondiale, une personne sur trois à Odessa était juive. Aujourd’hui, après la Shoah et des décennies passées sous le joug soviétique, qui n’a eu de cesse de réprimer l’expression de l’identité juive, la population juive de la ville est estimée à 1 %.
Les Juifs ukrainiens se retrouvent une fois de plus déplacés à l’intérieur de leur pays à cause de la guerre, et ils sont de ce fait nombreux à juger particulièrement important de rester en contact avec la communauté juive, où qu’ils soient, ajoute Vdovychenko.

Le russe est traditionnellement la principale langue parlée à Odessa, comme dans tant d’autres régions d’Ukraine. Mais ces trois dernières années, nombre d’Ukrainiens juifs et non juifs se sont mis à l’ukrainien. Un sondage du groupe sociologique Rating a révélé que si 28 % des Ukrainiens disaient parler exclusivement russe à la maison fin 2021, ils n’étaient plus que 12 % en 2024.
« Nous n’avons jamais beaucoup parlé ukrainien ici, sauf ceux qui venaient étudier ou faisaient la navette ici pour leur travail », explique Vdovychenko. « Aujourd’hui, quand je parle à nos jeunes, je vois qu’ils sont passés à l’ukrainien. Ils estiment que cela fait partie de leur identité. »
L’emprise de la langue russe sur la vie juive en Ukraine est ancienne. Du temps de l’Empire russe, au XIXe siècle, les Juifs de l’actuelle Ukraine parlaient généralement le yiddish et le russe. L’ukrainien était perçu comme une langue paysanne, éloignée des cercles culturels et peu propice à de quelconques avantages économiques. Après la Shoah, le yiddish a décliné et le russe s’est imposé comme la langue de l’Union soviétique.
Aujourd’hui, le livre de prières de Gritsevskaya – le siddour – suit l’exemple de tant d’autres textes juifs eux aussi traduits en ukrainien. Pour Pessah 2023, les Juifs ukrainiens ont pu lire pour la première fois la Haggadah – le texte central de cette fête – en ukrainien.
Des milliers d’exemplaires des Tehilim, le livre hébreu des Psaumes, sont également désormais disponibles en ukrainien. Des bénévoles en ont apporté des exemplaires de la taille de la main aux soldats juifs sur le front, en même temps que des vivres, des générateurs et des équipements de protection.
Par ailleurs, la première traduction en ukrainien de la Torah est en cours : elle devrait être imprimée plus tard cette année.

L’invasion de la Russie, justifiée par le président Vladimir Poutine en affirmant qu’Ukrainiens et Russes sont « un seul et même peuple », a eu l’effet inverse, en renforçant l’identité ukrainienne. Cela a eu le même effet sur l’identité de nombreux Juifs – surtout lorsque Poutine a parlé de « dénazifier » l’Ukraine, rappelle Mark Levin, chef de la Coalition nationale de soutien à la communauté juive eurasienne.
« Les Juifs ukrainiens regardaient autour d’eux, médusés, en disant : ‘Attendez, nous avons un président juif. Nous avons eu un Premier ministre juif. Il y avait un ministre juif de la Défense’ », poursuit Levin. « Lorsque Poutine et d’autres responsables du gouvernement russe remettent en question la judéité de Zelensky, dans un sens, ils remettent en question la judéité de tous les Juifs ukrainiens. »

Le passage à l’ukrainien est plus facile pour les jeunes Juifs ukrainiens. Lorsque Gritsevskaya a introduit le siddour pour enfants dans ses propores cours d’éducation juive, elle dit que ses conseillers en ont pleuré de fierté. Mais pour les enfants, qui n’ont connu ni le régime soviétique ni les pressions exercées en faveur de l’emploi du russe, il est tout naturel de prier en ukrainien.
« Pour les enfants, il est très naturel de prier en ukrainien et de lire les textes dans cette langue », conclut Gritsevskaya. « Ils peuvent lire eux-mêmes et s’identifier, ce qui fait que c’est si important. »
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