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Analyse

Les Palestiniens découvrent que la CPI n’est pas forcément leur pré carré

Alors que l'enquête préliminaire de la cour internationale sur la "situation en Palestine" entre dans sa 5e année, Ramallah réalise que l'AP pourrait aussi être examinée

Jacob Magid

Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Des manifestants palestiniens s'opposent aux soldats israéliens après une manifestation le long de la frontière entre Israël et Gaza, le 6 septembre 2019. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Des manifestants palestiniens s'opposent aux soldats israéliens après une manifestation le long de la frontière entre Israël et Gaza, le 6 septembre 2019. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

La décision prise au mois de janvier 2015 par la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une enquête préliminaire sur « la situation en Palestine » avait été largement saluée par les responsables palestiniens, qui avaient espéré qu’il s’agirait d’une avancée qui permettrait, à terme, d’inculper Israël pour crimes de guerre.

Les Palestiniens avaient la conviction que la procureure de l’instance judiciaire internationale, Fatou Bensouda — chargée des investigations consacrées aux constructions israéliennes au-delà de la Ligne verte, à la guerre de Gaza de 2014 et à ce qui a été appelé « la marche du retour », mouvement de protestation à la frontière avec Gaza qui a commencé au mois de mars 2018 et qui se termine en émeutes tous les vendredis – trouverait des preuves qui entraîneraient une enquête pénale pleine et entière à La Haye.

Et pourtant, la frustration des dirigeants de Cisjordanie et de Gaza, n’a jamais cessé de croître. Et l’enquête préliminaire de Bensouda entre aujourd’hui péniblement dans sa cinquième année.

Une frustration qui a atteint son apogée dans la journée de jeudi, lorsque la procureure a publié une mise à jour sur son enquête qui a soigneusement évité de présenter un calendrier concernant la conclusion de ses investigations et ce malgré une déclaration faite, il y a un an, dans laquelle elle précisait que son bureau avait fait des progrès « significatifs » et que le travail d’investigation serait bientôt terminé.

La procureure Fatou Bensouda, au centre, et le procureur-adjoint James Stewart, à droite, lors de la première audience du chef de la fédération de football de la république centrafricaine Patrice-Edouard Ngaissona à la Cour Pénale Internationale de La Haye, aux Pays-bas, le 25 janvier 2019 (Crédit : Koen Van Well/Pool photo via AP)

Tandis que dans son dernier rapport, Bensouda faisait clairement part de son « inquiétude » face aux promesses répétées du Premier ministre Benjamin Netanyahu d’annexer la vallée du Jourdain, l’insatisfaction des Palestiniens est apparue après une mention appuyée, dans le document, de leurs propres manquements – laquelle cite en particulier les actes de torture présumés commis sur les détenus civils de l’Autorité palestinienne et l’indemnisation financière des terroristes impliqués dans des attentats perpétrés à l’encontre de citoyens israéliens.

Ramallah clame que ces paiements mensuels versés aux terroristes sont un devoir national auprès des familles affectées par des décennies de violences, alors qu’Israël affirme qu’elles représentent une incitation à attaquer ses ressortissants.

« [Ces paiements] ainsi que d’autres crimes présumés qui pourraient survenir à l’avenir nécessiteront d’être davantage examinés », a écrit Bensouda jeudi, établissant clairement que son enquête ne se penchait pas seulement sur les actions israéliennes et que les efforts livrés par Ramallah pour voir Jérusalem accusé de crimes de guerre pourraient avoir un effet boomerang.

En plus de critiquer la CPI pour son incapacité à terminer l’enquête préliminaire, le ministère des Affaires étrangères de l’AP a accusé dans un communiqué le bureau de Bensouda de « dénaturer ou d’omettre complètement des informations pertinentes ».

Une grande partie de la mise à jour de six pages consacrée à l’enquête préliminaire se concentre sur les accusations d’usage excessif de la force par les soldats israéliens à Gaza – avec notamment les tirs à balles réelles sur des manifestants non armés. Mais le document reconnaît ensuite que tous les manifestants n’ont pas fait preuve de pacifisme et que des groupes terroristes ont été accusés de se cacher parmi les civils.

« Le rapport s’appuie sur des récits trompeurs et politisés sous couverture de fausse équivalence plutôt que sur une description objective et précise des faits concernés », a affirmé le ministère des Affaires étrangères de l’AP.

S’exprimant dimanche auprès du Times of Israel, le membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine, Wasel Abu Yousef, a affirmé que la CPI s’était « écartée » des principales questions en jeu en raison des pressions exercées par les États-Unis.

« C’est une initiative visant à créer ce qu’on pourrait qualifier un ‘équilibre’ pour le compte de l’Amérique », a-t-il asséné.

Washington a révoqué le visa de Bensouda au début de l’année alors que son bureau envisageait la possibilité d’enquêter sur les actions des soldats américains en Afghanistan, et le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a averti, au mois de mars, que tout membre de la CPI impliqué dans l’enquête menée sur Israël serait interdit d’entrée aux États-Unis.

Des manifestants palestiniens s’opposent aux soldats israéliens après une manifestation le long de la frontière entre Israël et Gaza, le 6 septembre 2019. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Abu Yousef a insisté sur le fait qu’il n’y avait aucun problème à ce que la CPI s’intéresse à la conduite des Palestiniens comme elle le faisait avec les Israéliens et il a reconnu que c’était un risque pris par l’AP lorsque cette dernière avait réclamé l’ouverture d’une enquête sur le conflit avec l’État juif.

Ghassan Khatib, professeur de sciences politiques à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, a pour sa part estimé que Ramallah voyait encore des bienfaits dans l’enquête malgré les conséquences qui n’avaient pas forcément été envisagées.

« Dans la mesure où les responsables palestiniens et où la population s’appuient lourdement sur la légalité internationale, ils doivent se montrer cohérents à ce sujet et, s’il y a des violations, ils doivent y mettre un terme ou en accepter la responsabilité », a-t-il dit, ajoutant que les remarques de Bensouda à l’encontre de l’AP étaient « mineures si on les compare aux violations manifestes du droit international par les Israéliens ».

« Toutefois, cela fait déjà cinq ans que ça dure et nous souhaitons que les problèmes principaux qui se posent soient pris en charge de manière sérieuse », a-t-il ajouté, évoquant les deux questions au centre des investigations – le conflit entre Israël et Gaza et les implantations israéliennes.

Le rapport établi jeudi par Bensouda n’est pas la première nouvelle peu réjouissante pour ceux qui souhaiteraient voir Israël mis sur le banc des accusés à La Haye. Trois jours auparavant, la procureure de la CPI a fait savoir qu’elle refusait, pour la troisième fois, d’ouvrir une enquête sur l’incident de la flottille de Gaza, survenu en 2010, clamant que tout crime qui aurait été commis au cours de l’opération ne présentait pas une gravité suffisante pour justifier des investigations.

Le 31 mai 2010, les commandos israéliens avaient tué 10 citoyens turcs embarqués à bord du Mavi Marmara, un des bateaux qui s’étaient donnés pour objectif de rompre le blocus maritime de Gaza, après une attaque violente des soldats par les militants au moment où les militaires étaient montés sur le navire.

C’est la troisième fois que la magistrate de La Haye refuse cette demande soumise par les Comores, petite nation à majorité musulmane de l’océan Indien, qui tente de lancer des poursuites contre les soldats de Tsahal qui avaient été impliqués dans ce raid.

Israël a fait beaucoup pour éviter toute relation avec la Cour pénale internationale, ses responsables accusant l’instance internationale de se montrer partiale en défaveur de l’Etat juif, disant que ses magistrats ne sont pas compétents en ce qui concerne le conflit avec les Palestiniens.

L’AP, pour sa part, a souvent cherché de l’aide auprès de la cour, espérant y trouver une oreille compatissante. Mais Ramallah a également découvert que la sympathie de la CPI s’élargissait aussi à Israël et que le bureau de Bensouda ne souhaite pas seulement s’appuyer sur le récit palestinien.

Adam Rasgon a contribué à cet article.

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