Israël en guerre - Jour 372

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L’ex-président de la Cour suprême : « La réforme judiciaire étranglera la démocratie »

D'anciens juges et des personnalités juridiques ont avertit que les propositions du nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin, constituent une menace fondamentale pour Israël

L'ancien président de la Cour suprême israélienne, Aharon Barak. (Crédit : Miriam Alster/Flash 90)
L'ancien président de la Cour suprême israélienne, Aharon Barak. (Crédit : Miriam Alster/Flash 90)

Plusieurs des personnalités juridiques les plus respectées d’Israël, guidées par le célèbre ancien président de la Cour suprême Aharon Barak, ont mis en garde vendredi contre la refonte judiciaire annoncée par le ministre de la Justice, Yariv Levin, signalant qu’elle représentait une grave menace pour le caractère démocratique d’Israël et les droits des minorités.

Les changements envisagés, annoncés par Levin lors d’une conférence de presse à la Knesset mercredi dernier, limiteraient radicalement l’autorité de la Haute Cour de justice pour bloquer les lois et les décisions gouvernementales jugées discriminatoires et/ou antidémocratiques, donneraient au gouvernement le contrôle de la sélection des juges et élimineraient les conseillers juridiques du ministère nommés par la Procureure générale.

Les critiques ont averti que cette révision – dont la nouvelle coalition israélienne dite « de droite dure » a fait une priorité – empêchera le système judiciaire de jouer son rôle de seul contre-pouvoir efficace face à une majorité en place, quelle que soit sa couleur politique. Pour ses partisans, au contraire, les jugements de la Haute cour qui rejettent des législations ou des décisions gouvernementales vont à l’encontre de la volonté des électeurs israéliens.

L’ancien président de la Cour suprême Barak, dans des commentaires tirés d’une interview accordée à la chaîne publique israélienne Kan qui a été diffusée samedi soir, a déclaré que Levin, un fervent fidèle du Premier ministre Benjamin Netanyahu, « a rassemblé toutes les mauvaises propositions faites au fil des ans et les a reliées en une sorte de chaîne qui étranglera la démocratie israélienne ».

Barak est la figure juridique la plus renommée d’Israël. Il a rejoint la Cour suprême en 1978 et en a été le président de 1995 à 2006, après avoir été Procureur général – et est déploré par des critiques tels que Levin comme le père de l’activisme judiciaire de la Cour. Il a déclaré à Kan que, dans le contexte d’une révision constitutionnelle, « il n’y a rien de pire » que les propositions de Levin, les comparant à « une révolution avec des chars ».

Dans des extraits d’une autre interview accordée à la Douzième chaîne, également diffusée samedi, Barak a déclaré que le projet était « une guerre contre la démocratie ».

« Je n’en dors plus la nuit. Il ne s’agit pas d’une simple figure de style. Je suis vraiment inquiet pour le caractère démocratique du pays », a déclaré l’ancien Procureur général et vice-président de la Cour suprême, Elyakim Rubinstein, s’exprimant lors d’une conférence de l’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité.

L’ancien juge de la Cour suprême, Elyakim Rubinstein, à son domicile à Jérusalem, le 6 février 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Rubinstein a déclaré que l’autorité actuelle des tribunaux pour examiner les décisions du gouvernement offre une protection aux faibles « contre les décisions arbitraires, et ne doit pas être annulée », tout en avertissant que transformer les conseillers juridiques en nomination personnelle d’un ministre politiserait le service public.

Le système judiciaire « a servi Israël de manière fiable », a déclaré Rubinstein. « Bien sûr, aucun système n’est exempt de défauts. Il y a plusieurs failles. Mais ce qui a été fait depuis des années, c’est un lavage de cerveau contre ce qui a été méticuleusement construit et cela a malheureusement atteint de vastes pans du public. »

« Je ne connais rien dans la littérature des sciences politiques qui permette à un pays [avec une séparation des pouvoirs telle que délimitée par le projet de Levin] d’être considéré comme une démocratie », a déclaré lors de la même conférence Menachem Mazuz, un autre ancien juge de la Cour suprême et ancien Procureur général.

Les partisans d’une réforme judiciaire radicale se sont souvent plaints des pouvoirs considérables dont disposent les tribunaux pour invalider des lois et freiner les politiques souhaitées par un gouvernement élu, pointant du doigt divers aspects des systèmes d’autres pays pour affirmer que le pouvoir du système judiciaire israélien est exceptionnellement vaste.

Mazuz a rejeté ces comparaisons.

« La tentative de pointer du doigt les dispositions prises dans d’autres pays est, à mon avis, infondée. C’est une sorte de sélection de mauvaises idées provenant de divers pays », a-t-il déclaré. »Israël est probablement le seul pays démocratique libre qui ne dispose pas de véritables systèmes de division du pouvoir, avec des freins et contrepoids », a-t-il ajouté.

« Nous n’avons pas de Constitution solide qui définit les pouvoirs du gouvernement et du Parlement, et nous n’avons pas deux chambres du Parlement qui s’équilibrent l’une l’autre – seulement une Knesset qui est effectivement contrôlée par le gouvernement. »

Le juge de la Cour suprême Menachem Mazuz, le 14 juillet 2016. (Crédit : Flash90)

« Nous n’avons pas un gouvernement fédéral qui divise le pouvoir entre les dirigeants centraux et locaux », a poursuivi Mazuz. « Nous n’avons pas d’élections régionales qui donnent un pouvoir indépendant aux représentants publics. Nous n’avons même pas une culture de leadership des choses qui ne sont ‘pas faites’. »

Mazuz a soutenu que « dans une telle réalité – comme c’est effectivement le cas en Israël – le seul organe qui peut freiner une tyrannie de la majorité, c’est le système judiciaire ». « Et ce pouvoir restrictif, ils veulent l’annuler. »

« Toutes les initiatives et réformes [actuelles] visent à annuler, effacer, affaiblir et éradiquer les composantes du seul pouvoir restrictif qui existe actuellement sur le gouvernement », a-t-il déclaré. « Le résultat sera une nation sans véritable séparation des pouvoirs, sans freins ni contre-poids, un pays qui n’a effectivement qu’une seule autorité – le gouvernement – qui contrôle la Knesset et indirectement ce système judiciaire. »

Le chef sortant de l’Association du Barreau israélien, Avi Himi, a déclaré, lors de la conférence, que deux ans après l’attaque du Capitole américain, Israël « assiste à une attaque du Capitole israélien – du tribunal ».

Himi a fait valoir que « le public n’a pas voté pour changer le régime gouvernemental, ni pour écraser les tribunaux ni en faveur de la tyrannie ».

« Il n’y a pas de pays libéral sans contrôle judiciaire et sans limites au pouvoir du régime », a-t-il déclaré.

Himi a promis de défendre le système judiciaire, affirmant que « si la forteresse du tribunal tombe, il n’y a plus de garantie pour la démocratie ».

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, lors d’une conférence de presse à la Knesset, à Jérusalem, le 4 janvier 2023. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Levin, qui a présenté ce qu’il a appelé la « première étape » de la réforme du système judiciaire, a spécifié des changements dans quatre domaines principaux : restreindre la capacité de la Haute Cour à annuler des lois et des décisions gouvernementales, en exigeant un panel des 15 juges de la Cour et une « majorité spéciale » pour le faire, et en incluant une clause dite « dérogatoire » permettant à la Knesset de légiférer à nouveau sur de telles lois ; changer le processus de sélection des juges, pour donner au gouvernement un contrôle effectif de la commission de sélection des juges ; empêcher la Cour de recourir à la règle de « raisonnabilité » pour juger la législation et les décisions gouvernementales ; permettre aux ministres de nommer leurs propres conseillers juridiques, au lieu d’obtenir des conseils de conseillers opérant sous l’égide du ministère de la Justice.

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