Liban : Hariri choisi Premier ministre, promet un gouvernement d’experts
Sa nomination intervient dans un contexte de profonde crise au Liban, encore traumatisé par l'explosion du 4 août qui a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés

Saad Hariri, pilier de la politique libanaise, a une nouvelle fois été désigné jeudi Premier ministre, promettant un gouvernement d’experts pour enrayer l’effondrement économique, dans un pays qui attend désespérément des réformes toujours boudées par les dirigeants.
Ironie du sort, M. Hariri avait démissionné il y a un an quasiment jour pour jour sous la pression d’un soulèvement populaire inédit, déclenché contre les manquements d’une classe politique quasi inchangée depuis des décennies, accusée de corruption et d’incompétence.
Peu après sa désignation par le président Michel Aoun, à l’issu de consultations parlementaires, l’homme d’affaires de 50 ans a promis de former « rapidement » un gouvernement.
« Le temps presse (…) Le pays est confronté à son unique et dernière chance », a lancé M. Hariri dans une brève allocution télévisée, s’engageant auprès des Libanais « à oeuvrer pour stopper l’effondrement » qui menace l’économie. L’homme politique héritier d’une immense fortune a déjà dirigé trois gouvernements.
Il a promis jeudi « un gouvernement d’experts », qui ne seraient pas issus de partis politiques, et « dont la mission sera la mise en œuvre de réformes économiques, financières et administratives » en accord avec « l’initiative française ».
Venu à deux reprises au Liban après l’explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, le président français, Emmanuel Macron, avait lancé une initiative pour une sortie de crise, réclamant un gouvernement « d’indépendants ».

« Nouvelle bataille »
La communauté internationale attend du nouveau gouvernement qu’il entreprenne de vastes réformes avant de débloquer des aides financières vitales.
Mais au Liban multiconfessionnel, où le président doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le chef du Parlement musulman chiite, les dirigeants sont abonnés aux marchandages interminables qui font traîner pendant des mois la formation de tout gouvernement.
« Dès que les consultations seront terminées, le coup de sifflet d’une nouvelle bataille sera donné, la bataille de la formation (du gouvernement) », a prédit le quotidien Al-Akhbar, proche du mouvement terroriste chiite du Hezbollah, qui pronostique encore plus de « tensions politiques ».
M. Hariri a obtenu l’appui de la plupart des députés sunnites et de la formation du chef druze, Walid Joumblatt.
Le bloc du Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise, n’a pas émis de préférence mais son principal allié, le mouvement Amal, a soutenu la désignation de M. Hariri, laissant croire à un accord tacite du Hezbollah chiite.
Sa nomination intervient dans un contexte de profonde crise au Liban, encore traumatisé par l’explosion du 4 août qui a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés.
De l’aveu même des autorités, l’explosion a eu lieu dans un entrepôt où était stockée depuis plus de six ans et « sans mesures de précaution » une énorme quantité de nitrate d’ammonium.
« Risque de dislocation »
Le gouvernement actuel de Hassan Diab a démissionné dans la foulée de cette tragédie.

« Plus on tarde, plus le bateau coule. Si le Liban ne mène pas les réformes qu’il convient de mener, alors c’est le pays lui-même qui risque la dislocation », a averti mercredi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian.
Mais les défis auxquels le nouveau gouvernement sera confronté sont colossaux.
Il y a un an, le pays a été le théâtre d’un soulèvement populaire inédit, réclamant pêle-mêle le renouvellement de la classe politique, des services publics dignes de ce nom dans un pays abonnés aux coupures d’électricité quotidiennes, et une amélioration de la situation économique, qui n’a fait qu’empirer en un an.
Le Liban connaît ainsi une dépréciation historique de la monnaie nationale. A cela s’ajoutent des dizaines de milliers de licenciements et des coupes salariales, dans un pays où la moitié de la population vit dans la pauvreté.
Et si le pays avait entamé en mai des négociations avec le FMI en vue d’un plan de sauvetage d’environ 10 milliards de dollars, ce processus est totalement au point mort.
Incontournable héritier d’un clan politique
Agé de 50 ans, cet héritier d’une fortune colossale a passé une partie de sa vie à l’étranger, notamment en Arabie saoudite où son père avait fait fortune.

Son entrée sur la scène politique s’est faite malgré lui : son clan lui a demandé de reprendre le flambeau de son père, Premier ministre assassiné le 14 février 2005 dans un attentat qui plongea le Liban dans la tourmente.
A ses débuts, ses détracteurs raillaient son arabe hésitant. Devenu avec le temps un acteur incontournable de l’échiquier politique, ce mordu de « selfies » a pris de l’assurance, adoptant souvent avec les journalistes un ton badin.
Détenteur de la nationalité saoudienne, M. Hariri est licencié en économie de l’université américaine de Georgetown. Il a trois enfants avec son épouse syrienne Lara Bachir Azm.
Dettes
Cheveux gominés plaqués en arrière et barbe clairsemée, M. Hariri troque parfois ses costumes aux couleurs sombres pour une tenue de sport, comme quand il participe au marathon de Beyrouth.
Il aime cuisiner et organise souvent des dîners pour son entourage, selon ses proches.
A la tête du géant de la construction Saudi Oger – aujourd’hui criblé de dettes -, il est accusé d’avoir licencié ou cessé de payer des milliers d’employés: la baisse des cours du pétrole, principale recette de l’Arabie saoudite, a drastiquement réduit les grands projets de construction dans le royaume.
Il a annoncé fin 2019 la suspension de la chaîne Future TV, plus d’un quart de siècle après sa création par sa famille.
Selon Forbes, sa fortune est estimée à 1,5 milliard de dollars. Un sujet sur lequel il reste évasif.
« Il est sûr qu’avant, j’avais plus que maintenant », a-t-il indiqué lors de son récent entretien télévisé. « J’avais des milliards, et maintenant je n’en ai même plus un seul ».
En novembre 2017, il s’était retrouvé au cœur d’un feuilleton rocambolesque avec une démission choc de son poste de chef du gouvernement annoncée depuis l’Arabie saoudite, son allié traditionnel.
Il avait dénoncé la « mainmise » du Hezbollah et de l’Iran sur le Liban. Mais la classe politique à Beyrouth avait accusé Ryad de le retenir en otage et il avait dû compter sur une intervention de la France pour sortir de ce guêpier.
En démissionnant, il avait affirmé : « Je sens que ma vie est visée », comparant la situation au Liban à celle qui prévalait avant l’attentat contre son père.
Cet assassinat avait poussé des milliers de Libanais à manifester pour réclamer un retrait de l’armée syrienne, présente au Liban depuis 29 ans.
Après le départ des troupes syriennes, le courant hostile au régime de Bachar al-Assad, emmené par M. Hariri, avait raflé les législatives de 2005 et de 2009.
L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.