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L’issue du boycott de Ben & Jerry’s, une « leçon » pour les autres multinationales ?

Michael Ashner, activiste et investisseur, qui a lutté contre la firme pour sa décision, considère le boycott comme une menace existentielle pour Israël

Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

Des manifestants pro-israéliens protestent à New York contre Ben & Jerry's au sujet de son boycott des implantations, le 12 août 2021. (Crédit : Luke Tress/Flash90)
Des manifestants pro-israéliens protestent à New York contre Ben & Jerry's au sujet de son boycott des implantations, le 12 août 2021. (Crédit : Luke Tress/Flash90)

Les retombées d’une tentative du fabricant de glaces Ben & Jerry’s de boycotter la Cisjordanie auront un impact sur les autres corporations susceptibles de soutenir les initiatives visant à isoler Israël du point de vue économique, a déclaré un investisseur et activiste, cette semaine.

Michael Ashner, activiste de longue date devenu actionnaire de la société-mère de Ben & Jerry’s, Unilever, depuis l’annonce du boycott – il avait aussi pris la tête d’un groupe opposé à l’initiative prise par le géant des glaces – a déclaré que les autres multinationales devaient tirer les leçons des répercussions subies par l’entreprise depuis l’annonce, par Ben & Jerry’s, de son refus de vendre ses produits dans les « territoires palestiniens occupés », l’année dernière.

Ce boycott – qui devait prendre effet à la fin de l’année, quand le contrat entre Ben & Jerry’s et Avi Zinger, son exploitant israélien, devait expirer – a entraîné un retour de flammes massif au niveau financier pour Unilever, un certain nombre d’états américains ayant adopté des lois qui exigent d’eux de ne plus investir dans les firmes qui boycottent l’État juif. La SEC (Securities and Exchange Commission) a aussi ouvert une enquête sur la réponse apportée au boycott par Unilever. Ben & Jerry’s avait pris sa décision de manière indépendante, sans implication d’Unilever – ce que le géant avait pu faire grâce aux dispositions figurant dans son accord d’acquisition avec le mastodonte industriel.

Mercredi, Unilever et Ben & Jerry’s Israel ont annoncé la conclusion d’un accord dans le cadre d’une plainte judiciaire fédérale qui avait été déposée par le vendeur israélien qui produit et qui distribue les glaces Ben & Jerry’s dans le pays. L’accord donne à l’exploitant israélien carte blanche pour continuer à distribuer les produits au sein de l’État juif et en Cisjordanie, annulant fondamentalement le boycott.

« Les autres compagnies multinationales réfléchiront dorénavant à deux fois avant de s’engager dans des activités BDS à l’avenir. C’est la leçon à tirer de ce qui s’est passé », a confié Ashner au Times of Israel, jeudi.

Ashner a été pendant longtemps actionnaire activiste au sein du groupe d’investissement Winthrop Capital Partners, à New York. Il déclare qu’il considère que le boycott est une menace pour l’État juif – un pays qui entretient des liens avec les investisseurs américains.

« Si les entreprises multinationales pouvaient décider de couper les liens avec Israël à cause de BDS, ce serait une menace aussi dangereuse pour l’existence d’Israël que l’est l’Iran. Ce serait une très mauvaise pente, une pente très glissante », dit-il.

« Le premier à l’avoir fait et à ne pas s’en être caché a été Unilever et il fallait que quelqu’un se confronte à l’entreprise, pas seulement parce que Unilever faisait quelque chose de mal, mais aussi pour transmettre le message, à toutes les autres multinationales, que ce n’est pas une bonne idée de faire ça ».

Peu après l’annonce par Ben & Jerry’s de son boycott, Ashner a acheté une part des actions d’Unilever, et il a commencé à exercer des pressions sur le conseil d’administration et à recommander des actions judiciaires aux États-Unis. Il a formé une organisation, « Coalition to Hold Unilever Accountable », avec un certain nombre de cabinets juridiques, de groupes de lobby et d’experts.

Ben & Jerry’s est une filiale d’Unilever qui en a la pleine propriété, et ce malgré l’indépendance de son conseil d’administration sur certains sujets. Unilever est un conglomérat britannique et l’une des plus grandes entreprises de produits de consommation du monde, avec environ 400 marques et une valeur de marché frôlant les 116 milliards de dollars.

Le logo d’Unilever à la bourse de New York, le 15 mars 2018. (Crédit : AP Photo/Richard Drew, File)

L’organisation créée par Ashner souhaitait transmettre le message que les conséquences de ce boycott seraient graves du point de vue financier, du point de vue industriel et pour les actions de la firme en Bourse.

Pour Ashner, « ce n’était pas une affaire de glaces. Et si Nestlé devait décider de se couper d’Israël ? Et si Nike devait le faire, ou toutes les autres entreprises ? Quelles conséquences cela aurait-il sur l’image d’Israël dans le monde ? Quelles conséquences cela aurait-il sur l’économie israélienne ? »

Le groupe a alors commencé à exercer des pressions sur les états américains pour qu’ils appliquent les lois sur le désinvestissement des firmes qui soutiennent BDS. Un certain nombre d’états ont ainsi retiré près d’un milliard de dollars d’Unilever et la valeur de l’entreprise s’est effondrée de plus de 20 milliards de dollars dans les mois qui ont suivi l’annonce de boycott, à une époque où le marché était en hausse. Plus de 30 états américains ont adopté des législations anti-BDS et 12 procureurs-généraux et responsables du Trésor de sept états ont aussi appelé Unilever à revenir sur son idée de boycott.

De plus, Ashner et ses partenaires ont poussé la SEC à ouvrir une enquête sur Unilever, affirmant que la compagnie n’avait pas fait part aux investisseurs posés par un éventuel boycott de manière appropriée.

Quatre représentants de la chambre américaine ont aussi signé un courrier adressé à la SEC – notamment Ritchie Torres, de New York, et Josh Gottheimer, du New Jersey, où le siège américain d’Unilever est installé. Ashner a mis en garde la firme face à la réponse de la SEC dans une correspondance avec les responsables d’Unilever, des courriers auxquels le Times of Israel a pu accéder.

Par ailleurs, Ben & Jerry’s Israel et son propriétaire, Avi Zinger, ont porté plainte contre Unilever devant la cour fédérale du New Jersey, disant que la compagnie contrevenait au droit israélien et au droit américain et qu’elle mettait un terme à leur relation commerciale de façon illégale. Ce conflit s’est terminé la semaine dernière, quand Zinger et Unilever ont trouvé une solution qui a permis de clore le dossier.

« Ce cas dépasse tellement plus la simple question d’Avi Zinger. Il concerne dorénavant les Juifs au sens large du terme », a commenté Alyza Lewin, présidente du Louis D. Brandeis Center for Human Rights Under Law, qui a représenté l’exploitant israélien. « Beaucoup de gens se sont sentis concernés en tant que membres du peuple juif, et cela les a amenés à se mobiliser, à s’investir et à faire tout ce qu’ils pouvaient faire ».

« Beaucoup de gens ont observé ce qui se passait, beaucoup de gens y ont prêté attention, beaucoup de gens étaient mécontents, voire en colère », ajoute-t-elle. « C’était comme une machine gigantesque actionnée par toutes sortes de pièces différentes ».

Ashner estime qu’Unilever changera probablement d’approche commerciale à l’avenir. La firme revendique une idéologie progressiste, et elle s’est engagée en faveur de causes différentes, notamment dans les problématiques liées à l’environnement, à la nutrition et à la qualité de vie. Ben & Jerry’s, de son côté, se présente depuis longtemps comme une compagnie libérale et activiste et quand Unilever a acheté le géant des glaces, en 2020, la société-mère a permis au conseil d’administration de continuer à prendre des décisions indépendantes concernant ses engagements. Unilever a dit et répété n’avoir eu aucun contrôle sur la décision du boycott.

Des ouvriers de l’usine Ben and Jerry’s près de Kiryat Malachi, le 21 juillet 2021. (Crédit : Flash90)

« Je pense qu’ils vont devoir modifier leur modèle commercial », dit Ashner en évoquant Unilever. « Les actionnaires veulent des entreprises profitables, qui ne sont pas controversées. Ils ne sont pas là pour investir dans des polémiques telles que celle-là. »

Il explique que l’intégration au sein du conseil d’administration d’Unilever de Nelson Peltz est sûrement un pas dans cette direction, que la firme subit des pressions sur d’autres sujets et qu’elle est entrée en contact avec les états américains qui ont désinvesti d’elle, un grand nombre étant peut-être en capacité de revenir sur cette décision.

Il déclare que l’accord qui a été annoncé mercredi est à mettre au crédit d’Unilever tout en notant que le « vrai héros » a été Zinger, qui est devenu, sans le vouloir, le visage du combat contre BDS.

« Je pense qu’Unilever croyait que les choses allaient se faire facilement et que la firme pourrait s’entendre et régler les choses discrètement avec Avi – mais rien ne s’est passé comme ça », continue Ashner. « Lui est resté ferme et il n’a jamais cédé et je pense que, d’une certaine manière, il a été héroïque dans ce qu’il a fait. »

Selon l’accord qui a été conclu avec Unilever, Avi Zinger pourra continuer à vendre les mêmes glaces Ben & Jerry’s en Israël et en Cisjordanie et à perpétuité. Il dispose dorénavant des droits exclusifs de la marque en arabe et en hébreu mais il cessera d’utiliser le logo anglais.

Ben & Jerry’s a indiqué être en désaccord avec cette décision et précisé que la firme ne profitera plus des ventes de glaces en Israël ou en Cisjordanie.

Avi Zinger, fabricant et distributeur israélien des glaces Ben & Jerry’s. (Capture d’écran : YouTube)

De son côté, le mouvement BDS a expliqué jeudi qu’Unilever avait « cédé au harcèlement » et que l’accord « impliquait encore davantage l’entreprise dans le système d’oppression israélien contre les Palestiniens, une oppression qui dure depuis des décennies. »

Ashner et sa famille ont été impliqués, dans le passé, dans des activités de philanthropie en Israël et ils ont notamment fondé l’école thérapeutique Beit Ruth d’Afula, qui accueille des femmes et des petites filles en situation de vulnérabilité.

Le boycott avait été décidé après la guerre du mois de mai dernier entre Israël et les groupes terroristes de Gaza – Ben & Jerry’s avait alors annoncé que la firme ne vendrait plus de glaces dans les implantations israéliennes, semblant aussi se référer à Jérusalem-Est. Cette annonce de boycott avait suivi une forte campagne de pressions des activistes progressistes et anti-israéliens. La décision avait entraîné l’indignation en Israël et parmi certains groupes juifs, qui avaient dénoncé une décision antisémite dans la mesure où aucun boycott n’a été mis en place ailleurs dans le monde.

Zinger et son entreprise avaient refusé de se soumettre à cette décision. La licence permettant à Zinger de vendre les glaces Ben & Jerry’s devait expirer à la fin 2022, ce qui signifie que le boycott n’a pas encore été mis en vigueur.

Les critiques de cette tentative de boycott notent que Ben & Jerry’s permet la vente de ses produits dans des pays aux antécédents épouvantables en matière de droits de l’Homme et notamment en Russie, en Arabie saoudite, en Syrie, en Iran et en Chine. La firme n’a jamais pris d’initiative concernant d’autres territoires disputés, qu’il s’agisse du Tibet, de la Crimée, du Sahara occidental ou du Cachemire.

Les partisans du mouvement de boycott d’Israël disent qu’en poussant les entreprises, les artistes et les universités à rompre les liens avec Israël, ils utilisent la non-violence pour s’opposer aux politiques injustes mises en œuvre à l’encontre des Palestiniens. Israël, de son côté, dit que le mouvement dissimule ses motivations véritables qui sont d’ôter toute légitimité à l’État juif et de le détruire.

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