Macron s’engage contre « le séparatisme islamiste » et les « influences étrangères »
"On ne peut pas avoir les lois de la Turquie en France", a prévenu le président, affirmant qu'il ne s'agit pas d'un plan contre l'islam
Décidé à lutter contre le « séparatisme islamiste », Emmanuel Macron a annoncé mardi une série de mesures contre les « influences étrangères » sur l’islam en France, allant des imams étrangers au financement des mosquées.
Le chef de l’Etat a toutefois tenu à souligner qu’il ne visait pas les musulmans mais ceux qui s’affranchissent des règles de la République, affirmant qu’il ne s’agit pas de faire « un plan contre l’islam. Ce serait une faute profonde ».
Pour exposer sa doctrine sur ce sujet sensible, à un mois des municipales, M. Macron a passé la journée à Bourtzwiller, un quartier populaire de Mulhouse, l’un des 15 territoires faisant l’objet d’une lutte coordonnée contre le repli islamique.
Afin d’éviter des prêches non conformes aux lois de la République, la France cessera d’accueillir des « imams détachés » envoyés par d’autres pays, comme la Turquie et l’Algérie, en augmentant parallèlement le nombre d’imams formés en France. Ceux déjà en France termineront « leur période de présence », a précisé M. Macron.
Pour satisfaire aux besoins en imams des mosquées, la France accueille ces « imams détachés » provenant d’autres pays et financés par eux, dans le cadre d’accords bilatéraux. On en compte ainsi environ 300 permanents, dont 150 proviennent de la Turquie, 120 de l’Algérie et une trentaine du Maroc, les principaux pays d’origine des 4 à 5 millions de musulmans en France. Ces religieux forment une petite partie du nombre d’imams en France – souvent bénévoles voire itinérants – officiant dans les 2 500 lieux de culte musulmans. Ce nombre n’est pas précisément connu mais est estimé à environ 1 800 imams.
Ce mercredi, le ministre de l’Intérieur français Christophe Castaner a indiqué que la fin des « imams détachés » était prévue pour 2024. « J’ai indiqué aux pays étrangers qui sont les pays d’origine – le Maroc, la Turquie et l’Algérie – que l’échéance c’est 2024 », a-t-il insisté.
Sera également mis fin à l’accueil des quelques 300 « psalmodieurs » reçus chaque année durant le ramadan – le nombre sera baissé « dès le prochain ramadan » au mois d’avril, a déclaré Castaner.
Le président Macron a aussi annoncé un contrôle renforcé des financements étrangers des lieux de culte, pour pouvoir bloquer des projets suspects. « Nous devons savoir d’où vient l’argent, qui le touche et pour quoi faire », a-t-il lancé.
Il s’est d’ailleurs interrogé sur les finalités de l’immense mosquée An-Nour à Mulhouse et de son complexe comprenant piscine, écoles et commerces, financés en grande partie par une ONG du Qatar. Un chantier actuellement bloqué pour enquête.
Autre annonce, la disparition prochaine des ELCO (enseignements en langues et cultures étrangères) qui offrent à 80 000 élèves des cours dispensés par des enseignants envoyés par d’autres pays, parfois non francophones et sans contrôle de l’Education nationale.
« Le problème que nous avons aujourd’hui avec ce dispositif, c’est que nous avons de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français (…), que nous avons de plus en plus d’enseignants sur lesquels l’Education nationale n’a aucun regard », a expliqué le président.
Ces Elco concernent neuf pays (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie et Turquie).
« Je ne suis pas à l’aise à l’idée d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Education nationale ne puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent », a-t-il ajouté. « On ne peut pas enseigner des choses qui ne sont manifestement pas compatibles ou avec les lois de la République ou avec l’Histoire telle que nous la voyons », selon lui.
« À partir de la rentrée de septembre 2020, les enseignements en langues et culture d’origine étrangère seront partout supprimés sur le sol de la République », a-t-il annoncé.
Des négociations sont engagées « par les ministres de l’Éducation nationale et des Affaires étrangères » avec les pays concernés pour mettre fin à ce dispositif, qui sera remplacé, pour les pays avec lesquels le gouvernement trouve un accord, par des Enseignements internationaux en langue étrangère (EILE). Ces discussions avaient été lancées en 2016.
« Nous avons réussi (à trouver un accord, ndlr) avec tous ces pays, sauf la Turquie à ce stade. Je ne désespère pas », a précisé le chef de l’Etat ». Il a tenu à « saluer le travail exemplaire » avec le roi du Maroc ou le président algérien sur « une capacité à bâtir des solutions en matière éducative et religieuse ».
« Je pense que la Turquie a aujourd’hui le choix de suivre ce chemin avec nous », a-t-il ajouté. « Mais je ne laisserai aucun pays étranger nourrir, sur le sol de la République, un séparatisme, qu’il soit religieux, politique ou identitaire », a-t-il averti. « Je ne cherche à froisser personne mais je ne serai complaisant avec personne », a-t-il ajouté.
Dans les EILE, les enseignants y seront « des enseignants dont nous serons sûrs qu’ils maîtrisent le français, qu’ils feront l’objet d’un contrôle par le ministère de l’Éducation nationale, et pour lesquels les programmes enseignés feront aussi l’objet d’un contrôle », a-t-il dit.
La Turquie visée
Il s’en est ainsi pris particulièrement à la Turquie, alors que les cours de turc dispensés dans le cadre des ELCO « sont parfois politisés », explique un conseiller. « On ne peut pas avoir les lois de la Turquie » en France, a-t-il ajouté.
« La Turquie est un grand pays », a dit le président, tout en soulignant la difficulté des discussions avec les autorités turques sur l’enseignement de la langue turque et l’envoi d’imams en France.
Notant la présence de nombreux habitants d’origine turque à Mulhouse, le président a affirmé qu’ils étaient « pleinement Français » et qu’ils devaient avoir « les mêmes droits que tous les Français mais aussi qu’ils soient soumis aux mêmes lois que tous les Français ».
Mais le chef de l’Etat a martelé qu’il ne voulait en aucun cas stigmatiser les musulmans, critiquant ceux qui veulent les « repousser vers les extrêmes ». Mais aussi « la naïveté qui consisterait à dire ‘il n’y a pas de problème, circulez’ ».
« Notre ennemi est le séparatisme », a-t-il répété. En même temps, il a averti que toute religion devait respecter les valeurs de la République, en particulier l’égalité homme-femme.
« Dans la République, on ne peut pas accepter qu’on refuse de serrer la main à une femme parce qu’elle est femme ; dans la République, on ne peut pas accepter que quelqu’un refuse d’être soigné ou éduqué par quelqu’un ; dans la République, on ne peut pas accepter la déscolarisation ; dans la République, on ne peut pas exiger des certificats de virginité pour se marier ; dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République, c’est aussi simple que ça », a-t-il énuméré.
« Le séparatisme islamiste est incompatible avec la liberté et l’égalité, incompatible avec l’indivisibilité de la République et la nécessaire unité de la nation », a affirmé le chef de l’Etat dans un discours devant des responsables locaux et des habitants du quartier de Bourtzwiller.
La notion de « séparatisme » n’est pas nouvelle dans les discours du président. Le 28 octobre, en appelant à renforcer l’action de l’Etat sur ce terrain, il avait déclaré : « Dans certains endroits de notre République il y a un séparatisme qui s’est installé, c’est-à-dire la volonté de ne plus vivre ensemble, de ne plus être dans la République, et au nom d’une religion, l’islam, en la dévoyant. »
Dans un entretien accordé à plusieurs médias dans l’avion qui le ramenait d’Israël en janvier, il avait précisé : « Il faut essayer de dire sans diviser. Il faut accepter, en disant, de parfois bousculer. Mais il faut accepter qu’il y a, dans notre République aujourd’hui, ce que j’appellerais un séparatisme. »
Selon un membre de son entourage, ce « terme de ‘séparatisme’ permet de mieux mesurer ce délitement des valeurs républicaines ».
Reconquête républicaine
« L’islam politique n’a pas sa place » en France, a également affirmé un peu plus tôt ce mardi le chef de l’Etat, lors d’un bain de foule avec des jeunes du quartier, qu’il a invités à assister à son discours de fin de journée.
Il a déjeuné dans le commissariat du quartier, où vingt policiers de plus on été affectés, comme dans une cinquantaine de « quartiers de reconquête républicaine ».
Ces patrouilles de police de proximité ont « apporté un vrai changement, pour apaiser le quartier, pour que les langues se délient et que les gens n’aient plus peur », s’est félicitée la brigadier-chef, Fathia Bouizy.
La « visite de terrain » du président de la République est la première étape d’une séquence qui s’étendra au delà des municipales des 15 et 22 mars, durant laquelle il détaillera sa stratégie contre la radicalisation et l’islam politique. Il devrait prochainement évoquer la radicalisation dans les clubs de sports ou associations, pour y installer des « chartes de laïcité ».
Son programme a aussitôt été critiqué par le sénateur LR Bruno Retailleau qui a twitté : « Y a-t-il un seul islamiste qui ce soir est inquiet des annonces d’Emmanuel Macron ? » De son coté, Jean-Luc Mélenchon lui a reproché de « passer sous silence les églises évangélistes qui sont directement liées aux puissances étrangères que sont les États-Unis et le Brésil. »
Depuis le début du quinquennat, les oppositions de droite mais aussi une partie de son propre camp pressent Emmanuel Macron d’affirmer sa politique sur ce sujet. Le débat s’est encore durci ces derniers mois, alimenté par de vives polémiques sur la présence de listes communautaristes aux municipales ou sur le port du voile par une mère accompagnant une sortie scolaire.