Marceline Loridan-Ivens : Simone Veil « était comme une sœur. Je l’aimais »
"Le matricule gravé sur mon avant-bras est 78750, le sien était 78651", confie la cinéaste, rescapée des camps, qui s'inquiète pour l'enseignement de la Shoah
La disparition vendredi de Simone Veil, grande figure de la vie politique française, marque « la fin d’une époque », celle des témoins de l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis, estime la cinéaste Marceline Loridan-Ivens, 89 ans, compagne de détention de l’ancienne ministre au camp d’Auschwitz-Birkenau.
Comment avez-vous rencontré Simone Veil ?
Marceline Loridan-Ivens : Nous étions dans le même convoi en route pour Birkenau. J’avais 15 ans, elle en avait 16. On s’est retrouvées dans le même bloc. Le matricule gravé sur mon avant-bras est 78750, le sien était 78651.
Dans le baraquement nous étions face à face l’une de l’autre. Elle était au deuxième étage, moi au troisième. J’étais seule, elle était avec sa mère et sa sœur et nous ne comprenions pas où nous nous trouvions. Nous étions des enfants. On nous obligeait à nous mettre nues et c’était insupportable.
Un jour pour échapper aux corvées humiliantes, on s’est planquées sous les paillasses, recouvertes d’une couverture. Personne ne nous a trouvées et on a échappé aux corvées. Nous étions complices.
Je me souviens aussi m’être approchée avec elle d’une baraque où l’on entendait parler français. C’était des communistes françaises. Elles nous ont chassées en nous traitant de « sales juives ».

Comment deux jeunes filles peuvent survivre dans cet enfer ?
Nous savions que tôt ou tard nous serions assassinées.
Mais il y avait toujours la trace de l’insouciance de la jeunesse. On chantait. On fredonnait surtout une chanson d’Édith Piaf, interdite aujourd’hui, « Le grand voyage du pauvre nègre ». Il fallait tenir.
Nous avons tenu puis nous avons été séparées. J’ai été envoyée dans le camp de Theresienstadt. Une kapo [prisonnière juive chargée de surveiller les autres détenues, ndlr] a dit à Simone qu’elle était trop belle pour mourir.
Simone a été transférée avec sa mère et sa sœur à Bergen-Belsen. Je l’ai perdue de vue pendant longtemps. Nous nous sommes retrouvées, par hasard, dans la rue à Paris, en 1956. Je vois une jeune femme avec une poussette et c’était Simone. On s’est reconnues tout de suite.
Je ne l’ai pas revue tout de suite après, mais nous nous sommes rencontrées à nouveau deux ou trois ans plus tard toujours à Paris. Depuis lors, on se voyait régulièrement. Je n’ai jamais cessé de la voir. Nous parlions beaucoup des camps, pas de politique. C’était comme une sœur. Je l’aimais.

Avec la disparition de Simone Veil disparaît une voix essentielle du combat pour sauvegarder la mémoire de la Shoah. Comment le ressentez-vous ?
C’est la fin d’une époque. Quand nous sommes revenues des camps nous ne voulions pas nous taire mais les gens ne voulaient pas entendre ce que nous avions à dire.
Comme Simone je me suis beaucoup occupée de transmettre cette mémoire. Mais aujourd’hui, j’observe cela avec beaucoup de désespoir.
Je constate que beaucoup de gens sont maintenant hostiles à ce qu’on rappelle ce qui s’est passé. L’enseignement de la Shoah à l’école est devenu difficile. Ça me fait peur. Je trouve que la vérité n’a jamais été dite.
Je suis en colère contre la pensée correcte. Moi, je n’ai pas de pensée correcte et Simone Veil non plus n’avait pas de pensée correcte. Quand je parle je n’ai pas peur de dire que le grand mufti de Jérusalem [président du Conseil suprême musulman dans les années 1930, ndlr] était hitlérien. Il faut dire les choses. Je n’ai pas peur de les dire.
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