Israël en guerre - Jour 530

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Analyse'En visitant la Hongrie, Netanyahu place la realpolitik devant les liens avec les juifs locaux, affirment des critiques'

Où se situent les lignes rouges morales du gouvernement israélien ?

En voyage à Budapest la semaine prochaine, le Premier ministre d’Israël donnera l’impression de soutenir un gouvernement accusé de promouvoir l’antisémitisme

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu visite le mur Occidental dans la Vieille ville de Jérusalem le 28 février 2015 (Crédit : Marc Israel Sellem/POOL)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu visite le mur Occidental dans la Vieille ville de Jérusalem le 28 février 2015 (Crédit : Marc Israel Sellem/POOL)

Benjamin Netanyahu devrait être le premier Premier ministre israélien à visiter la Hongrie depuis la chute du Rideau de fer il y a 26 ans.

Mais le voyage de trois jours prévus la semaine prochaine, salué par les deux camps comme une opportunité de faire avancer les relations bilatérales, est entachée par une division amère sur la polémique qui s’est développée cette semaine, se concentrant sur la réponse du gouvernement israélien à une campagne du gouvernement hongrois considérée comme « antisémite ».

Des Juifs hongrois, et des politiciens israéliens de l’opposition, ont critiqué la réprimande trop gentille de Netanyahu d’une campagne d’affichage visant le milliardaire juif né en Hongrie George Soros, tout en maintenant que critiquer le philanthrope libéral était légitime, et son rejet apparent de l’éloge par le Premier ministre hongrois du dirigeant fasciste du pays et allié d’Hitler pendant la Deuxième Guerre mondiale, Miklos Horthy.

Les affiches de Soros montrent une grande photo de l’homme d’affaires juif riant, accompagnée du texte : « Ne laissons pas Soros avoir le dernier rire », une référence aux affirmations du gouvernement que Soros voudrait forcer la Hongrie à accueillir des migrants.

Une affiche de la campagne du gouvernement hongrois contre le milliardaire juif américain George Soros, à Szekesfehervar, le 6 juillet 2017. (Crédit : Attila Kisbenedek/AFP)
Une affiche de la campagne du gouvernement hongrois contre le milliardaire juif américain George Soros, à Szekesfehervar, le 6 juillet 2017. (Crédit : Attila Kisbenedek/AFP)

Les dirigeants d’une communauté forte de 100 000 Juifs en Hongrie ont déclaré que la campagne provoque l’antisémitisme.

A l’approche de la visite, des critiques ont accusé Netanyahu d’avoir mis les objectifs politiques et économiques d’Israël devant les préoccupations de la communauté juive hongroise.

Le commerce bilatéral entre la Hongrie et Israël dépasse les 500 millions de dollars, et Budapest a récemment ouvert une ligne de crédit de 50 millions d’euros à l’Eximbank de Hongrie afin de faciliter la coopération entre les entreprises hongroises et israéliennes.

Péter Szijjártó (Crédit : Wikipédia)
Péter Szijjártó (Crédit : Wikipédia)

Budapest a également exprimé son intérêt pour acheter du gaz naturel israélien.

« La Hongrie et Israël sont des alliés politiques, académiques et économiques très importants, a déclaré Péter Szijjártó, le ministre des Affaires étrangères hongrois, lors d’une visite à Jérusalem le mois dernier.

Et le bureau de Netanyahu a indiqué que Budapest et Jérusalem s’efforçaient de faire avancer la coopération économique bilatérale principalement dans les technologies de transport, de l’énergie, de l’eau et de la recherche académique.

A l’approche de l’arrivée de Netanyahu la semaine prochaine pour discuter de ces sujets entre autres, les autorités hongroises ont déclaré que les affiches sur Soros seront retirées, indiquant que la campagne avait atteint ses objectifs et qu’elle n’était plus nécessaire.

Mais le mal est déjà fait.

Soros a publié un communiqué en réponse à la campagne déclarant qu’il était « inquiet par l’usage actuel d’images antisémites par le régime hongrois dans le cadre d’une campagne délibérée de désinformation ».

Le président de la fédération des communautés juives de Hongrie, Andras Heisler, lors de la conférence sur la vie juive et l'antisémitisme à l'institut Tom Lantos, en octobre 2013 (Crédit : capture d'écran Youtube/Tom Lantos Institute)
Le président de la fédération des communautés juives de Hongrie, Andras Heisler, lors de la conférence sur la vie juive et l’antisémitisme à l’institut Tom Lantos, en octobre 2013 (Crédit : capture d’écran Youtube/Tom Lantos Institute)

Andras Heisler, qui préside la Fédération des Communautés Juives Hongroises, connue sous le nom de Mazsihisz, a écrit dans une lettre ouverte la semaine dernière que « la campagne d’affichage, si elle n’est pas ouvertement antisémite, peut toutefois inciter à se laisser aller à des sentiments antisémites ou d’autre ordre. Ce message empoisonné fait du mal à la Hongrie ».

Jouer avec le feu

De manière consciente ou non, les affiches évoquent clairement un antisémitisme latent, a déclaré le rabbin Zoltán Radnóti, un haut responsable de Mazsihisz. Plusieurs affiches ont été recouvertes d’une Etoile de David ou de slogans comme « Sale Juif », a déclaré cette semaine au Times of Israël le rabbin né à Budapest.

« Cette campagne d’affichage est inacceptable et dangereuse », a-t-il déclaré.

Soros, qui ne se cache pas d’être non-sioniste et a durement critiqué les différents gouvernements israéliens, est perçu en Hongrie « avant tout comme un juif », a expliqué Radnóti. Et cela a été souligné récemment à de nombreuses reprises, implicitement ou explicitement, en jouant avec des images qui se rapprochent de la caricature d’entre-deux-guerres du mauvais juif qui tire les ficelles et rit. Dans le contexte de cette campagne, on ne peut pas faire la différence entre critiquer Soros et jouer avec de l’antisémitisme évident ».

Ira Forman, alors envoyé spécial du département d'État des États-Unis pour la surveillance et la lutte contre l'antisémitisme, au parlement hongrois à Budapest, en octobre 2013. (Crédit : Tom Lantos Institut via JTA)
Ira Forman, alors envoyé spécial du département d’État des États-Unis pour la surveillance et la lutte contre l’antisémitisme, au parlement hongrois à Budapest, en octobre 2013. (Crédit : Tom Lantos Institut via JTA)

Ira Forman, un ancien envoyé spécial américain pour surveiller et lutter contre l’antisémitisme (SEAS), est d’accord.

« Il ne faut pas forcément qualifier quelque chose d’ouvertement antisémite pour faire remarquer que c’est mauvais et dangereux », a-t-il déclaré au Times of Israel.

« Etant donné l’histoire de la Hongrie et les niveaux du sentiment antisémite dans le pays, le gouvenement de [Victor] Orban joue à nouveau avec le feu ».

Même l’ancien Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan a attaqué Budapest pour ses affiches contre Soros.

« Au-delà de la nécessité de mettre un terme à cette campagne, il est essentiel d’avoir un débat ouvert sur la xénophobie, l’antisémitisme et surtout sur le rôle indispensable d’organisations indépendantes de la société civile dans un état démocratique », a-t-il écrit dans un communiqué.

Le changement de ton de Jérusalem

Former UN Secretary-General Kofi Annan disagrees with US President Bill Clinton over what went wrong during Israeli-Palestinian peace talks. (Photo credit: Rob Judges)
Kofi Annan en 2012. (Crédit : Rob Judges)

L’ambassadeur israélien en Hongrie, Yossi Amrani, a tout d’abord fait part de son accord, disant la semaine dernière que la campagne de panneaux d’affichage évoquait non seulement « de tristes souvenirs mais qu’elle sème également la haine et la peur ».

Mais le ministère des Affaires étrangères de Jérusalem a diffusé dimanche une « clarification », soit disant sur ordre de Netanyahu, qui établissait que tandis qu’Israël déplore l’antisémitisme et soutient les communautés juives confrontées à cette haine, la critique de Soros était toutefois légitime.

« D’aucune manière, cette déclaration n’a visé à ôter sa légitimité à George Soros, qui sape continuellement les gouvernements d’Israël démocratiquement élus en finançant des organisations qui calomnient l’état Juif et cherchent à nier son droit à se défendre », établissait le ministère des Affaires étrangères.

Pour les Juifs de Hongrie, cette clarification – que certains ont qualifié de « rétractation » – a été « un choc supplémentaire », a dit Radnóti.

« Nous nous attendions à ce que le Premier ministre d’Israël se dresse contre toutes les formes d’antisémitisme, implicite ou explicite – ou même contre les attaques susceptibles d’entraîner des vagues d’antisémitisme ».

Pour Cas Mudde, chercheur en sciences politiques néerlandais et spécialiste de l’extrémisme politique et du populisme, il est manifeste que Netanyahu, qui est également ministre des Affaires étrangères, a placé les intérêts de son gouvernement au-delà de ceux de la communauté juive hongroise.

« C’est également un autre exemple de la manière dont Netanyahu offre une couverture aux politiciens de l’aile droite radicale qui usent, pour le moins, des messages subliminaux de l’antisémitisme », a-t-il constaté.

« Sous Netanyahu, la realpolitik d’Israël trompe les préoccupations des communautés juives locales »

Adi Kantor

Sous Netanyahu, la realpolitik d’Israël trompe les préoccupations des communautés juives locales, a déploré Adi Kantor, qui participe aux recherches menées par l’Institut national d’Etudes sécuritaires de Tel Aviv.

« C’est un exemple clair de deux poids, deux mesures,” a-t-elle dit jeudi au Times of Israel.

D’un côté, le Premier ministre a récemment annulé la visite du ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel en raison de sa rencontre avec un groupe de défense des droits de l’Homme israélien de gauche. Puis il va rendre visite avec plaisir au Premier ministre hongrois de droite, Victor Orban, qui soutient une campagne d’affichage problématique et qui a également salué « l’homme d’état exceptionnel » qu’était Miklos Horthy, un allié de Hitler, ajoute-t-elle.

« La réaction d’Israël aurait dû être beaucoup plus sévère. Où sont les lignes rouges du gouvernement au niveau moral ? Est-ce que nous souhaitons vraiment parler à quelqu’un qui a fait l’éloge d’un homme sous la supervision duquel un demi-million de Juifs a été envoyé à la mort ? », a demandé Kantor.

Miklos Horthy (Crédit : domaine public/Wikimedia commons)
Miklos Horthy (Crédit : domaine public/Wikimedia commons)

Eloge d’un antisémite

L’éloge de Horthy fait par Orban lors d’un discours du 21 juin a été largement dénoncé par les groupes juifs. L’ADL (Anti-Defamation League) a qualifié Horthy d' »antisémite notoire ».

L’AJC a noté qu’il avait endossé « la responsabilité de la discrimination systématique et des persécutions à l’encontre des Juifs hongrois qui ont mené à l’Holocauste ».

Horthy est resté chef de l’état durant l’occupation nazie au cours de laquelle 440 000 Juifs hongrois ont été déportés, selon l’ADL.

Amrani, ambassadeur de Jérusalem à Budapest, a exprimé initialement son mécontentement face aux éloges de Horthy, cherchant des clarifications. Mais le ministère israélien des Affaires étrangères a accepté un peu plus tard les explications fournies par le ministre des Affaires étrangères Szijjártó. L’histoire doit être respectée, a ainsi déclaré le chef de la diplomatie hongroise, « et les faits historiques indiquent que les activités de Miklós Horthy en tant que gouverneur ont compris des périodes positives comme extrêmement négatives ».

La déclaration de Szijjártó vient ajouter l’insulte à l’injure, a fulminé le législateur Yair Lapid, fils d’un survivant hongrois de la Shoah.

« Le Premier ministre d’Israël, fils d’un historien et d’un homme doté d’un grand sens de l’histoire, ne peut ignorer cette tentative de blanchir le passé de la Hongrie », s’est-il également emporté dans une lettre ouverte publiée au début du mois dans le Times of Israel. « S’il a une certaine fierté, le Premier ministre doit demander à Viktor Orban qu’il retire ses propos. Si ce dernier ne s’exécute pas, alors il doit annuler sa visite en Hongrie en signe de protestation ».

Yaïr Lapid, le 27 juillet 2015 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Yaïr Lapid, le 27 juillet 2015 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Netanyahu devrait toutefois faire son voyage en Hongrie. Après un court arrêt à Paris, samedi soir, le Premier ministre se rendra à Budapest lundi pour y rencontrer Orban et les dirigeants polonais, slovaque et de la république tchèque.

Une fois encore, les éloges d’Orban concernant Horthy devaient susciter l’indignation dans toutes les lignes partisanes en Israël, a évalué Mudde, le chercheur néerlandais, qui se trouvait au sein de l’état juif cette semaine.

« Une période s’est terminée il y a quelques années, lorsque le Likud et Netanyahu ont évalué à tort que l’Europe était anti-Israël et qu’Israël ne devait travailler qu’avec les pays pro-israéliens », a déclaré Mudde, un professeur associé au sein de l’université de Géorgie.

« Ce qui a mené à une normalisation officielle ou informelle des relations avec l’extrême-droite en Europe et une tolérance toujours plus grande pour les messages subliminaux antisémites et le révisionnisme historique de la part des forces ‘pro-israéliennes ».

Cette politique fera rapidement l’effet d’un boomerang, a-t-il prédit, « car elle affaiblit la critique par Israël de l’antisémitisme et du révisionnisme historique des forces dites anti-israéliennes ».

Et pourtant, la critique n’est pas universelle. Le rabbin Slomó Köves du mouvement habad-loubavitch, par exemple, a défendu la campagne d’affichage anti-Soros en disant qu’elle était « inélégante incontestablement » mais pas nécessairement antisémite. Dans la Hongrie d’aujourd’hui, le milliardaire n’est pas considéré comme un « symbole des Juifs mais du spéculateur financier international », a dit Köves, qui doit rencontrer Netanyahu la semaine prochaine à Budapest.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban après sa victoire aux élections législatives, à Budapest, le 6 avril 2014. (Crédit : Attila Kisbenedek/AFP)
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban après sa victoire aux élections législatives, à Budapest, le 6 avril 2014. (Crédit : Attila Kisbenedek/AFP)

Dans ce contexte, Jérusalem a eu raison de répondre de façon réservée à la controverse. « Israël doit faire très attention sur la manière dont le pays s’implique dans un conflit politique local », a déclaré Köves au Times of Israel.

Ce rabbin né à Budapest considère que les commentaires faits par Orban au sujet de Horthy sont inexacts. Cet épisode a été particulièrement douloureux pour lui, sa famille ayant été « presque totalement exterminée » par les actions du leader fasciste, a-t-il noté.

« Mais cette question se connecte en réalité à une question plus générale à laquelle chaque pays doit trouver une réponse », a-t-il ajouté. « Comment devons-nous nous relier aux personnalités historiques symboliques qui affichent un registre mitigé d’accomplissements, avec des résultats indubitables et des actions immorales ? », s’est-il interrogé, évoquant Hindenbourg en Allemagne ou Clémenceau en France.

Et l’antisémitisme en Hongrie ?

Au début du mois, le grand rabbin ashkénaze d’Israël David Lau a « exprimé son plaisir de voir que la vie juive en Hongrie est florissante » et a remercié Orbán pour son aide dans ce processus, selon un communiqué de presse émis par le bureau du Premier ministre.

Le rabbin ashkénaze d'Israël David Lau assistant à une conférence en mémoire du défunt rabbin Yemenite Yihya Yitzhak Halevi à Petah Tikva le 15 juin 2016 (Crédit : Yaakov Cohen / Flash90)
Le rabbin ashkénaze d’Israël David Lau assistant à une conférence en mémoire du défunt rabbin Yemenite Yihya Yitzhak Halevi à Petah Tikva le 15 juin 2016 (Crédit : Yaakov Cohen / Flash90)

Durant leur rencontre à Budapest, Orbán a assuré à Lau que « la communauté juive hongroise est sous la protection inconditionnelle du gouvernement ».

Köves, qui a assisté à la réunion, partage ce point de vue. L’année dernière, seulement 48 incidents antisémites ont eu lieu dans son pays, aucun violent, a-t-il déclaré. Au Royaume-Uni, dans la même période, ce sont 1 500 incidents qui ont été répertoriés, a-t-il ajouté.

Le gouvernement d’Orban « soutient hautement les vies culturelle et religieuse de la communauté juive », a-t-il ajouté.

« Il n’y a même pas de débat concernant l’interdiction de la shechita [abattage] casher ou de la brit mila [circoncision] en Hongrie contrairement aux autres pays européens. Je crois fermement que dans l’Europe d’aujourd’hui, nous devons profondément apprécier ces faits ».

Un sondage réalisé par l’ADL en 2015 établissait toutefois que 40 % des Hongrois nourrissaient des attitudes antisémites. Six sur dix personnes sondées se déclaraient ainsi en accord avec la déclaration suivante : « Les Juifs parlent encore trop de ce qui leur est arrivé durant l’Holocauste ».

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