Peintre d’art moderne après la Shoah: histoire d’une survivante haute en couleur
Eva Deutsch Costabel a survécu à un épisode brutal et peu connu de la Shoah pour le monde de la peinture à Manhattan. Toutes ses œuvres illustrent les luttes qu'elle a traversées
NEW YORK – A 93 ans, l’artiste Eva Deutsch Costabel a toujours une amie de sa ville natale, Zagreb. Les militaires italiens les ont emprisonnées dans le même camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles ont survécu, se sont séparées et se sont retrouvées il y a sept ans à New York, où elles vivent toutes les deux aujourd’hui.
Son amie, qui s’appelle aussi Eva, avait 7 ans lorsqu’elle est arrivée au camp et se souvient de Costabel, une adolescente de 17 ans, célèbre parmi les enfants confinés dans le camp, sur l’île de Rab, dans la mer Adriatique. Les enfants se rassemblaient pour regarder Costabel au travail, dit son amie.
« On ne pouvait rien acheter, alors je suis devenue très populaire parce que je dessinais toutes les cartes de vœux pour tout le monde », explique Costabel. « Tout le monde me connaissait dans le camp, car quand ils avaient besoin d’une carte pour les vacances, ils venaient me voir. »
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« Les gens du camp, les Juifs, disaient toujours : ‘Je n’oublierai jamais tes cartes de vœux' », se souvient Costabel.
Aujourd’hui, l’appartement de Costabel à Manhattan regorge de peintures abstraites aux couleurs vives, d’autoportraits illustrant sa lutte contre le trouble de stress post-traumatique, de livres pour enfants qu’elle a écrits et illustrés et de textiles qu’elle a créés durant sa carrière de designer à New York.
Ses talents artistiques l’ont aidée à survivre dans des villages de montagne contrôlés par des partisans yougoslaves et en tant que jeune immigrante seule aux États-Unis.
Elle a étudié dans le monde de l’art classique de Rome et avec des expressionnistes abstraits à Manhattan. Aujourd’hui, la nonagénaire peint toujours et espère trouver un endroit pour son travail avant de mourir.
Costabel a grandi à Zagreb, qui faisait alors partie du Royaume de Yougoslavie, aujourd’hui capitale de la Croatie. Son père travaillait dans l’industrie chimique et sa mère tenait une boutique de mode. Sa mère l’a préparée à dessiner des vêtements pour enfants, dit-elle, et c’est ainsi qu’elle a commencé à dessiner.
Les nazis envahirent la Yougoslavie et occupèrent Zagreb en avril 1941. Une grande partie de la population a accueilli les Allemands comme des libérateurs. Les nazis ont créé un État fantoche, l’État indépendant de Croatie, dirigé par les Oustachis, un groupe nationaliste croate fasciste, raciste et violent.
La Yougoslavie était ethniquement diverse, largement divisée entre les groupes ethniques croate et serbe, mais aussi albanais, macédoniens, slovènes, musulmans et juifs. Les Serbes et les Croates entretenaient une animosité de longue date les uns envers les autres, et lorsque les Oustachis croates sont arrivés au pouvoir, ils ont commencé à persécuter les Serbes, les Juifs et les Roms, dans l’espoir de créer un État croate ethniquement pur. Les nazis et leurs collaborateurs contrôlaient les routes et les centres urbains de la région, mais des groupes de résistance se sont formés dans des régions montagneuses plus reculées.
Des saboteurs ont fait sauter un train nazi dans la région où se trouvait Costabel et son père fût accusé de complicité à cause de ses liens avec l’industrie chimique.
« Je ne l’ai jamais revu. J’avais 16 ans. Il a été assassiné dans la chambre à gaz de Treblinka. Les Oustachis, ils n’ont jamais été punis pour cela », précise Costabel.
Les Oustachis, notoirement violents, ont massacré des Juifs, des Serbes et d’autres minorités pendant la guerre.
Le United States Holocaust Memorial Museum estime que les Oustachis ont tué entre 77 000 et 99 000 personnes, dont jusqu’à 20 000 Juifs, à Jasenovac, un camp de la mort géré par le groupe lui-même. Le camp était brutal, même selon les normes de l’époque, les gardiens tuant les prisonniers en leur tranchant la gorge, en leur fracassant le crâne à coups de masse et en les pendant aux arbres, jetant souvent les corps dans une rivière voisine. Les autorités croates ont contribué à envoyer des milliers d’autres Juifs dans les camps de la mort nazis en Europe de l’Est.
Yad Vashem estime que 66 000 Juifs yougoslaves sont morts pendant la guerre, sur une population d’avant-guerre de 80 000 personnes.
Des Oustachis ont forcé Costabel, 16 ans, sa mère et sa sœur à quitter leur appartement sous la menace d’une arme.
Les parents de Costabel sont nés à Vienne et ont conservé leur nationalité autrichienne et leur nom de famille germanique (elle a pris le nom Costabel de son ancien mari). Leurs passeports autrichiens ont permis à la famille d’entrer dans le territoire occupé par l’armée italienne sur la mer Adriatique. Les Italiens étaient des alliés des nazis, mais plus indulgents envers les Juifs.
« Si tu étais juif, tu étais mort. Peu importe, tu étais mort. Le Croate Oustachis ou les Nazis nous auraient tués », dit Costabel. « Le seul endroit où nous pouvions nous rendre était la côte adriatique yougoslave, car elle était occupée par l’armée italienne pendant la guerre. Quelques-uns de nos amis qui sont allés là-bas ont dit : ‘Les Italiens ne tuent pas les Juifs’. C’est pour ça que je suis en vie ».
Les Italiens ont cependant emprisonné Costabel et sa famille dans un camp de concentration sur l’île de Rab, au large des côtes de l’actuelle Croatie.
Pendant le reste de la guerre, Costabel et les Juifs survivants de Yougoslavie se sont retrouvés pris entre les Italiens, les Nazis, les Croates, les partisans et les Alliés dans la lutte de pouvoir pour le contrôle des Balkans.
Les camps de détention italiens : Répression ou protection ?
Selon l’historien James Walston, l’armée italienne a établi des camps pendant la guerre aussi bien pour la répression que pour la protection. Les camps répressifs avaient pour but de réprimer la résistance partisane à leur régime en retirant de la population les civils potentiellement dangereux et leurs partisans. Les détenus pouvaient également être utilisés comme otages et exécutés en représailles à des attaques partisanes.
En plus des camps de répression, les Italiens ont mis en place des camps « protecteurs » pour les Juifs en Italie et dans les zones occupées par leurs soldats. Dans les régions de Croatie occupées par les Italiens, les camps comprenaient Rab, également connu sous son nom italien, Arbe, qui permettait aux Juifs d’échapper aux mains des Nazis et des Croates. Les militaires savaient ce qui arrivait aux Juifs d’Europe de l’Est et voulaient garder les Juifs yougoslaves en vie pour des raisons politiques et humanitaires, écrit Walston.
L’historien Davide Rodogno, auteur d’un livre sur l’occupation italienne en Méditerranée pendant la guerre, a déclaré au Times of Israel que les motivations des militaires étaient purement politiques, en réalité. Les Italiens en Yougoslavie, qui croyaient fermement à l’idéologie fasciste, luttaient pour le pouvoir avec leurs alliés allemands et croates dans la région.
Les Juifs représentaient un petit groupe pacifique et les Italiens ne voulaient pas gaspiller leurs ressources à les poursuivre. Les Oustachis, que les Italiens considéraient comme des « maniaques et des idiots », a dit M. Rodogno, perturbaient l’ordre public dans la région en traquant les Juifs et en faisant fi des menaces légitimes, c’est pour cela que les Italiens ont voulu les soustraire de la vue des Oustachis.
Tenir les Juifs à l’écart des nazis était un acte de défi contre les Allemands, destiné à montrer qu’ils n’étaient pas un État satellite des Allemands, a expliqué Rodogno.
« L’armée n’exploite pas et n’installe pas de lieux de refuge. Si elle décide de créer des camps de concentration, c’est pour maintenir l’ordre public et s’assurer que ces personnes sont sous son contrôle », a fait observer M. Rodogno.
Les Italiens considéraient les Juifs comme une marchandise qui leur appartenait, « et personne, pas même les nazis, n’avait le droit de décider de leur sort. C’est ce qu’ils voulaient faire comprendre. Cela n’a rien à voir avec de l’humanisme. La conséquence involontaire a été un sauvetage », a poursuivi M. Rodogno.
Quelles que fussent les motivations de l’armée italienne, Costabel est encore aujourd’hui reconnaissante envers ses geôliers italiens.
« Tout le monde mourait de faim, nous n’avions rien à manger. Nous ne pouvions pas nous en sortir, évidemment, c’était un camp de concentration », a dit Costabel.
« Mais les Italiens nous ont accordés le droit de nous administrer nous-mêmes. Il y avait quelques dirigeants juifs. Cela en a fait un endroit où il faisait bon vivre. Tout le monde a offert ses livres, et nous avions une bibliothèque. Nous avions des gens très intelligents dans ce groupe, des chanteurs et des musiciens, et ils l’ont rendu supportable, » explique-t-elle.
Quand les forces alliées ont mis en déroute les Allemands et les Italiens en Afrique du Nord à la fin de 1942, les Italiens pensaient que les Juifs de Yougoslavie pouvaient servir de monnaie d’échange dans un accord de paix, explique Rodogno ; ils les maintinrent ainsi en vie et sous leur contrôle jusqu’à la fin de la guerre.
Maîtres de leur propre destin
L’Italie capitula le 8 septembre 1943.
« C’était le chaos total. Chacun était livré à lui-même. Les soldats italiens voulaient simplement rentrer chez eux », dit Rodogno. « Ils se moquaient de ce qui était arrivé aux Juifs », a-t-il dit.
La libération représentait un danger pour les Juifs du camp de Rab. Quand l’Italie est tombée, la Yougoslavie a été divisée entre les Allemands et les Croates, qui voulaient tous deux tuer les Juifs qui se trouvaient là.
« Pour les internés juifs du camp d’Arbe [Rab], le jour de la libération fut un jour de grand danger. Mais c’était le jour où, pour la première fois depuis le début de la guerre, ils avaient la possibilité de cesser d’être des réfugiés impuissants et persécutés et de devenir maîtres de leur propre destin. Pour la première fois, ils étaient libres de s’organiser, de se rendre dans les zones déjà libérées par les partisans et de participer à la lutte », écrit Walston.
Lorsque l’Italie capitula, sur les 2 661 Juifs de Rab, 204 décidèrent de rester dans le camp, principalement des personnes âgées ou infirmes. Ils furent capturés par les Allemands et déportés à Auschwitz où aucun ne survécut. Parmi les Juifs « libérés » qui ont rejoint les partisans, 277 ont été tués pendant la guerre, a écrit Walston.
Certains des Juifs de Rab avaient des liens avec le parti communiste yougoslave avant leur confinement et ont formé une petite cellule dans le camp, a écrit Emil Kerenji, un historien du United States Holocaust Memorial Museum. Ils avaient des contacts avec des communistes à l’extérieur du camp, y compris dans la ville de Rab elle-même.
Avant la capitulation de l’Italie, les communistes juifs du camp s’étaient préparés à rejoindre les partisans et avaient fait passer clandestinement un rapport vers le continent à la fin de l’été 1943, écrit Kerenji. Lorsque l’Italie cède aux nazis, cette cellule, avec les prisonniers slovènes dans le camp, désarme les gardes italiens et s’empare des armes stockées dans les entrepôts du camp.
Des représentants des partisans arrivèrent du continent et invitèrent les Juifs à rejoindre leurs rangs. Ils commencèrent à organiser leur évacuation vers des zones reculées des forêts et des montagnes de Yougoslavie sous le contrôle des partisans. L’opération complexe de sauvetage comprenait le transport des anciens détenus vers le continent sur des bateaux, parfois sous bombardement aérien allemand, le transport des malades et des personnes âgées dans des camions et l’approvisionnement des centaines de personnes qui avaient rejoint leurs rangs.
Égalité entre les victimes
Les partisans communistes, dirigés par Josip Broz Tito, étaient une force multi-ethnique composée de Juifs, de Serbes et de musulmans. Leur ethos socialiste et inclusif s’est avéré être un avantage dans la lutte contre les Allemands, car ils ont attiré des combattants de différents segments de la population.
Tito a énoncé les objectifs du groupe comme étant « la fraternité et l’unité des peuples en Yougoslavie » dans la « lutte pour la libération nationale ». Le sauvetage des Juifs de Rab s’inscrit dans ce cadre.
La région était en proie à des violences sectaires perpétrées contre les Serbes, les Croates et les musulmans, et les Juifs étaient considérés comme les autres victimes, à égalité avec les partisans, qui ont également protégé les autres groupes minoritaires. Tito lui-même ordonna à ses combattants d’aider les Juifs à fuir les Allemands, selon Yad Vashem. Le sauvetage des Juifs de Rab était donc motivé par une vision politique, et non par des préoccupations éthiques ou humanitaires, comme la plupart des sauvetages durant la Shoah en Europe, d’après Kerenji.
« Bien que rejoindre les partisans signifiait donc de facto aussi sauver sa vie (du moins dans un premier temps), les communistes ont préféré souligner l’acte formel de rejoindre le mouvement de résistance et lui donner ensuite une signification idéologique : les peuples frères de Yougoslavie rejoignent, de leur propre gré, la lutte de libération nationale menée par Tito et les partisans », a écrit Kerenji.
La libération des Juifs de Rab fut l’une des plus grandes opérations de sauvetage de la Shoah. Pour situer le contexte, Oskar Schindler est crédité d’avoir sauvé 1 200 Juifs, tandis que les partisans en ont sauvé plus de 2 000 rien qu’à Rab.
La plupart des Juifs qui ont quitté le camp et qui n’ont pas pu combattre avec les partisans ont trouvé refuge auprès des civils, y compris la plupart des 500 enfants libérés. Certains se sont rendus dans des camps d’internement sur le continent italien. La plupart des autres, y compris Costabel, qui était dans le camp depuis 18 mois, ont rejoint les rangs des partisans.
« Nous n’avions nulle part où aller, alors les partisans, la résistance de Yougoslavie, eux nous attendaient. Des soldats ont marché des centaines de kilomètres jusqu’à une zone de Croatie occupée par les partisans, et je me suis enrôlé dans l’armée », raconte Costabel.
L’unité de propagande des partisans
Les partisans ont installé Costabel dans un petit village de montagne peuplé de paysans serbes. Elle a commencé à travailler comme infirmière.
« Il y avait toutes ces maisons de paysans. Nous avions l’habitude de dormir à même le sol avec 30 personnes. Ils étaient tous très rustiques », dit Costabel. « On ne se déshabillait jamais, jamais, à cause des nazis, il fallait toujours courir. »
Elle a commencé à dessiner les gens autour d’elle dans le village – des enfants orphelins de la guerre et de la typhoïde, son logeur et sa femme, un officier militaire juif nommé Baruch – sur tous les morceaux de papier qu’elle pouvait trouver en utilisant crayons, encre et aquarelle.
« C’était pendant la guerre, alors j’ai dû dessiner au dos de vieilles lettres. Il n’y avait pas de papier et je portais toujours un sac à dos, c’était tout ce que je possédais, mais j’avais toujours de la peinture et de l’encre ou tout ce dont j’avais besoin », dit-elle. « Je suis très fière parce que je n’ai pas du tout étudié l’art. Je n’ai pas pu aller à l’école pendant des années. »
Les dirigeants des partisans ont remarqué ses compétences et l’ont affectée à leur unité de propagande.
« Ils appelaient ça le bureau de propagande. Quand ils ont vu que je savais dessiner, ils ont voulu faire appel à moi. Je faisais du lettrage et du dessin. Ils avaient un petit journal », raconte-t-elle.
Les partisans sont restés attachés à leur idéologie multiethnique tout au long de la guerre et ont continué à accueillir les combattants juifs et à protéger les civils juifs sur leur territoire. Il y avait cependant quelques tensions entre les Juifs et la population rurale locale. Les Juifs venaient pour la plupart des zones urbaines et étaient en meilleure forme physique que la population locale, qui avait souffert lors d’une récente offensive nazie, d’où une certaine méfiance entre les groupes. Il y a eu quelques incidents d’antisémitisme, ou qui ont été perçus comme antisémites par les Juifs, d’après Kerenji.
Costabel s’en est rendu compte et a refusé d’adhérer officiellement au parti communiste, a-t-elle dit.
« Je ne voulais pas rejoindre le parti communiste. J’avais 19 ans, j’étais idéaliste, mais je n’aimais pas ce qu’ils faisaient. Je veux dire, ils combattaient les nazis, mais ils étaient très antisémites, alors je ne voulais pas les rejoindre. Alors mon ami m’a dit : ‘Tu ferais mieux de te joindre à eux, sinon ils vont te tuer' », a dit Costabel.
Sur la route, encore une fois
Costabel s’est enfuie pour la côte. Elle a rencontré un groupe de Juifs autrichiens et hongrois qui avaient pris contact avec le fils de Winston Churchill, Randolph, qui se trouvait dans l’Adriatique dans le cadre des efforts de l’armée britannique pour aider les partisans avec du matériel médical et militaire. Le groupe a fait appel à Churchill, en tant que citoyens étrangers, pour l’aider à fuir la Yougoslavie déchirée par la guerre.
« Nous sommes les témoins des réfugiés juifs étrangers persécutés. Les autres sont tombés entre les mains de l’ennemi et il est certain qu’ils ne sont plus en vie », a écrit le groupe, dans une lettre du 1er septembre 1944, adressée à Churchill dans un anglais approximatif. « C’est pourquoi nous vous implorons de satisfaire à notre demande le plus tôt possible et de nous transférer en Italie », ont écrit les réfugiés.
Là encore, le passeport autrichien de Costabel lui a permis de partir en tant que citoyenne étrangère. Un navire de guerre britannique a transporté les réfugiés à travers la mer Adriatique jusqu’à Bari, dans le sud de l’Italie, qui était contrôlée par les Alliés. Costabel passa le reste de la guerre dans un camp de réfugiés à Bari.
Après la fin de la guerre, Costabel s’installe à Rome avec sa mère et sa sœur. Elle voulait se consacrer à l’art, mais elle avait perdu cinq années d’éducation à cause de la guerre. Rome était une ville en désarroi, sans annuaires téléphoniques fiables, alors Costabel parcourait les rues à la recherche d’une école d’art qui l’accepterait. Quelqu’un l’oriente vers l’Académie des Beaux-Arts, une imposante école d’art classique datant du XVIe siècle. Elle a expliqué sa situation à un employé vêtu d’une salopette de travail qu’elle a rencontrée à l’extérieur de l’école et qu’elle a pris pour un porteur.
« Je lui ai raconté toute mon histoire et il s’est avéré qu’il n’était pas porteur, qu’il était le directeur de l’école et qu’il m’a dit : ‘Je vais te faire entrer dans cette école’. Il fallait huit ans de lycée ou deux ans d’université. Je n’avais que quatre ans de lycée. Ils m’ont quand même acceptée », a déclaré Costabel.
« Je n’avais pas un centime en poche, rien, et j’ai pu faire ça en toute liberté. Tout ce que je sais aujourd’hui, c’est ce que j’ai appris au cours de ces deux années d’académie », précise-t-elle.
Une nouvelle vie dans le Nouveau Monde
Elle a obtenu un visa américain alors qu’elle était à l’académie, et a déménagé à New York en 1949. Elle ne parlait pas anglais et n’avait pas de relations ni de formation professionnelle au-delà de ses deux années d’éducation artistique.
Après quelques jours en ville, elle a trouvé un emploi en peignant des roses sur des boîtes de maquillage en poudre pour un cent la pièce, ce qui la plaçait déjà sous le seuil de pauvreté, à l’époque. Une rencontre fortuite a débouché sur un emploi pour des vitrines de magasins, qui étaient à l’époque des publicités élaborées. Elle peint des sculptures en papier mâché pour des magasins de Manhattan, puis commence à concevoir des emballages commerciaux. La conception de ces emballages lui assurera un revenu stable pendant la majeure partie de sa carrière.
Son premier emploi se situait sur la 57e rue à Manhattan. Elle a eu du mal à s’acclimater à la nouvelle ville, mais elle a trouvé refuge dans des galeries d’art et des musées. À l’époque, de nombreuses galeries d’art de New York se trouvaient dans le centre-ville, de sorte que Costabel les découvrait pendant ses pauses-déjeuner.
« Je ne parlais pas anglais. Je n’avais pas d’amis. J’ai acheté un livre et j’ai visité tous les musées de New York la première année, et je le fais toujours. J’adore New York », avoue Costabel. « Je n’aime pas m’ennuyer, et on ne peut pas s’ennuyer à New York. »
Mais c’était une période difficile pour elle. La plupart des survivants qu’elle a rencontrés préféraient passer du temps avec d’autres survivants de leur propre pays, dit-elle, et elle ne connaissait pas beaucoup de Juifs de Yougoslavie. Elle était également aux prises avec le trouble de stress post-traumatique de la guerre, dont elle s’est finalement remise, grâce à l’art et à la thérapie.
« Tout survivant aurait dû consulter un psychiatre. On ne peut pas vivre avec ça. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas gérer si vous n’arrivez pas à le sortir de votre corps », a-t-elle dit.
Costabel a commencé à étudier la peinture au Pratt Institute de Brooklyn avec le célèbre expressionniste abstrait Franz Kline. Le mouvement de l’après-guerre, basé à New York et rendu célèbre par Jackson Pollock, William de Kooning et Mark Rothko, se concentre sur l’action, l’émotion et la création spontanée. Cela a permis à Costabel de faire face aux bouleversements de sa vie.
« Ce qui m’aide énormément, c’est que je suis une artiste. Les gens pensent que mes peintures sont très joyeuses, mais en fait ce que j’ai fait, c’est de mettre toute mon émotion, toute ma frustration dans mes peintures, alors même si elles semblent heureuses, elles sont le fruit de malheurs, de souffrances. »
En dehors de sa carrière de designer, elle a animé des ateliers sur l’art abstrait pour les personnes souffrant de maladies chroniques et a écrit et illustré des livres pour enfants sur l’histoire juive et américaine, dont « The Jews of New Amsterdam », sur les premiers Juifs qui se sont installés dans la colonie néerlandaise qui deviendra New York City.
Elle refuse de retourner en Croatie, malgré les invitations. Les rues de sa ville natale portent le nom de criminels de guerre, a-t-elle dit, et le pays n’a jamais vraiment tenu compte des crimes des Oustachis et autres collaborateurs nazis.
Le président israélien Reuven Rivlin a déclaré lors d’une visite au camp de concentration de Jasenovac et à Zagreb cette année : « Certains préfèrent refouler leur passé et le considérer comme un « trou noir » qui ne nécessite ni étude ni réflexion… La capacité de la Croatie à gérer le passé et à ne pas l’ignorer constitue une obligation morale, qui fait partie intégrante de toute société juste ». Mais cette année, l’équipe croate de la Coupe du Monde a célébré son succès avec un chanteur connu pour ses sympathies pour les Oustachis.
Aujourd’hui, Costabel vit seule dans le centre de Manhattan. Sa garde-robe est assortie à ses peintures audacieuses et lumineuses. Elle s’occupe avec ses obligations sociales, ses visites chez le médecin et ses visites dans les musées. Son mariage fut malheureux et elle n’a jamais eu d’enfants. Aujourd’hui, elle essaie de trouver un lieu pour installer ses tableaux à New York ou en Israël, mais sans succès pour le moment.
Dans son petit appartement, ses étagères débordent de livres sur l’art, l’histoire d’Israël et l’histoire juive, et ses murs sont tapissés de ses œuvres. Une photo de son père est posée sur une bibliothèque à côté de son lit et, près de sa fenêtre donnant sur la 8e Avenue, son chevalet, ses pinceaux et ses tubes de peinture.
« J’ai une très belle vie, tout bien considéré. Je ne suis pas une personne avide. Les gens se rendent malheureux parce qu’ils veulent une voiture, ils veulent ceci, ils veulent cela, mais je ne suis pas comme ça », confie Costabel. « Je ne suis pas avide, donc je me satisfais de ce que j’ai. C’est tout ».
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