Peter Brook, légende du théâtre, est décédé à 97 ans
Ce fils d'immigrés lituaniens juifs a réinventé l'art de la mise en scène en privilégiant des formes épurées au lieu des décors traditionnels
Le Britannique Peter Brook, légende du théâtre et l’un des metteurs en scène les plus influents du XXe siècle, est décédé samedi à l’âge de 97 ans, a appris l’AFP dimanche auprès de son entourage, confirmant une information du Monde.
Le maître de théâtre, né en Grande-Bretagne mais qui a mené une grande partie de sa carrière en France, à la tête de son théâtre parisien Les Bouffes du Nord, avait réinventé l’art de la mise en scène en privilégiant des formes épurées au lieu des décors traditionnels.
C’est dans les années 60, après des dizaines de succès, dont de nombreuses pièces de Shakespeare, et après avoir dirigé les plus grands – de Laurence Olivier à Orson Welles – que ce fils d’immigrés lituaniens juifs entame sa période expérimentale.
Il crée avec la Royal Shakespeare Company un « Roi Lear » dépouillé (1962) et surtout sa surprenante production de « Songe d’une nuit d’été » (1970) dans un gymnase en forme de cube blanc : c’est la théorie de « l’espace vide » qui marquera définitivement le théâtre contemporain.
Parue pour la première fois sous forme d’ouvrage en 1968, elle laisse libre cours à l’imagination du public et est considérée comme une « bible » pour les amoureux du théâtre avant-gardiste. « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène » est une de ses célèbres phrases.
« Le visionnaire, le provocateur, le prophète, le filou et l’ami avec les yeux les plus bleus que j’aie jamais vus, a quitté la maison », a tweeté dimanche son compatriote metteur en scène et acteur Simon McBurney.
Son « Marat/Sade » fascine Londres et New York et lui vaut un Tony Award en 1966.
Au début des années 70, il s’installe en France où il fonde le « Centre international de recherche théâtrale », au Théâtre des Bouffes du Nord.
Pièces monumentales
Il monte des pièces monumentales nourries d’exotisme, avec des acteurs de différentes cultures, et tournera dans le monde entier, souvent dans des lieux inédits : des villages africains jusqu’aux rues du Bronx en passant par la banlieue parisienne.
Sa pièce la plus connue est « Le Mahabharata », épopée de neuf heures de la mythologie hindoue (1985), qu’il présentera pour la première fois au festival d’Avignon et qui sera adaptée au cinéma en 1989.
Dans les années 90, lorsqu’il triomphe au Royaume-Uni avec « Oh les beaux jours », de Samuel Beckett, les critiques le saluent comme « le meilleur metteur en scène que Londres n’a pas ».
Après une aventure de plus de 35 ans aux Bouffes du Nord, Peter Brook quitte la direction du théâtre en 2010, à 85 ans, tout en continuant d’y monter des mises en scène, jusqu’à récemment.
« Peter Brook nous a offert les plus beaux silences du théâtre mais ce dernier silence est d’une infinie tristesse », a réagi sur Twitter la ministre française de la Culture Rima Abdul Malak, estimant qu’avec lui « la scène s’est épurée jusqu’à l’intensité la plus vive ».
En 2019, il rend hommage dans « Why? » à Meyerhold, grande figure russe du théâtre et victime des purges staliniennes, rappelant une de ses citations: « Le théâtre est une arme dangereuse ».
Il a toujours refusé de faire du théâtre engagé, préférant un théâtre qui invite à la réflexion ou à la spiritualité, que ce soit avec des pièces shakespeariennes ou des adaptations comme Carmen.
« Certains journalistes viennent me demander: ‘Alors, vous pensez pouvoir changer le monde?’. Cela me fait rire. Je n’ai jamais eu cette prétention, c’est ridicule », confiait en 2018 à l’AFP celui qui avait été ébranlé trois ans plus tôt par le décès de son épouse, la comédienne Natasha Parry.
Outre sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Estienne, il laisse derrière lui deux enfants, le réalisateur Simon Brook et la metteure en scène de théâtre Irina Brook.