Pologne : Un survivant de la Shoah revient dans son village natal, où il est le seul Juif
Lors d’une visite émouvante, le jour de l’anniversaire d’Hitler, Sol Nayman a fait venir à Stoczek une centaine de membres de la marche des Vivants
STOCZEK WEGROWSKI, Pologne – Lorsque Sol Nayman a quitté son village en 1939, il y existait une petite mais florissante communauté juive qui vivait en harmonie avec ses voisins non juifs.
Peu de temps après le départ de Nayman, qui est aujourd’hui âgé de 87 ans, et de sa famille, les soldats allemands ont assassiné toute la communauté, qui a rejoint la longue liste des villes et villages polonais où la Shoah a mis fin à des siècles de présence juive.
La famille de Nayman a trouvé refuge plus à l’Est, avant d’échouer dans un camp de travail soviétique et de finalement partir s’installer au Canada, où Nayman a mené une prospère carrière d’homme d’affaires et cofondé la chaîne de magasins de mode masculine Club Monaco.
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Nayman s’est longtemps demandé ce qu’était devenue la maison de sa famille et le village où il avait grandi et vécu ses derniers moments d’insouciance, avant la terrible réalité de la vie pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Est.
Le mois dernier, Nayman a fini par obtenir des réponses en revenant à Stoczek, 84 ans plus tard, pour une visite des plus symboliques : il est en effet venu accompagné d’une centaine de membres de la délégation canadienne de la Marche des Vivants. La visite, organisée le jour-même de l’anniversaire d’Adolf Hitler, le 20 avril, a permis à Nayman de tourner la page, a-t-il dit, tout en rappelant l’étendue de l’anéantissement des Juifs polonais.
« Il ne reste plus rien », confie Nayman, submergé par l’émotion, au Times of Israel. « Les maisons ont disparu, les chemins de terre sont pavés. » Désignant la partie du cimetière juif toujours visible, il ajoute : « C’est tout ce qui reste. »
Pour autant, Nayman ne parvient pas à oublier les accents juifs de Stoczek. À 87 ans, il est aussi rapide et performant que bien des jeunes hommes et femmes qui l’accompagnent dans sa ville natale. Debout, dans le cimetière, il livre un témoignage d’une heure à la délégation. Il raconte la fuite de sa famille et ce qu’ils ont enduré dans les colonies pénitentiaires russes, que Nayman qualifie « d’autre Shoah ».
À propos de ce retour aux sources, Nayman confie : « Je n’ai jamais pensé que cela arriverait et pourtant si, nous y sommes. Alors, ma chère famille de la Marche des Vivants, bienvenue chez moi : quand je suis parti en 1939, nous étions quelque 1 200 Juifs à Stoczek. Aujourd’hui, il n’y en reste plus qu’un. Je suis le dernier survivant. »
Nayman a remercié Jonny Daniels, un militant de la commémoration israélo-britannique, qui, par l’intermédiaire de l’association Daniels From the Depths, a érigé un monument au cimetière en mémoire des Juifs de Stoczek.
« Nombre d’entre eux reposent dans une fosse commune, non loin d’ici », précise Daniels. « Ce monument, en forme de pierre tombale, nous donne un endroit pour nous souvenir d’eux. »
Daniels estime que la dernière fois que Stoczek, qui est aujourd’hui peuplé de moins de 1 000 habitants, a compté autant de Juifs, c’était certainement dans les années 1940.
Le maire, Zbigniew Klusek, a déclaré dans un communiqué que la ville « n’a pas oublié ses concitoyens juifs, qui en ont toujours fait partie et en font toujours partie, même après leur départ ».
Klusek n’était pas présent lors de la visite de Nayman. Les seuls habitants à l’avoir accueilli sont le propriétaire du service funéraire, qui a fabriqué le monument, et quelques garçons, qui se sont arrêtés en rentrant de l’école à vélo.
Pour certains survivants de Stoczek, parmi lesquels le regretté Chasia Vardi, la mémoire des lieux est irrémédiablement marquée par l’emprisonnement de Juifs et leur convoyage, en 1942, à Treblinka, où ils mourront tous. (Nayman, qui a un penchant pour l’humour, notamment noir, dit que c’est « son camp de la mort de quartier » parce qu’il est situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Stoczek.)
Pour autant, Nayman, dont la famille a quitté Stoczek quelques jours avant l’arrivée des Allemands, garde de son village le souvenir du seul endroit où il se soit jamais senti en sécurité, enfant.
« Nous allions à la synagogue le vendredi et je voulais toujours m’asseoir sur la bimah, où le rabbin m’offrait un bonbon à la fin des prières », se souvient Nayman. Des spectacles et des pièces de théâtre étaient parfois organisés dans la caserne de pompiers.
L’unique trésor de Nayman était alors un cheval à bascule blanc, fabriqué à la main, confie-t-il. Il s’asseyait dessus, devant le comptoir de l’épicerie de sa grand-mère. Son seul souvenir désagréable de Stoczek est la réprimande de sa grand-mère après avoir mangé une savoureuse tranche de viande, qui s’est avérée être du porc, qu’elle réservait à ses clients non juifs. « Elle a été tout sauf adorable cet après-midi-là », se rappelle-t-il.
Huit jours après l’invasion de la Pologne par les nazis, Nayman, sa sœur Mania, ses parents et sa grand-mère quittaient leur maison pour une forêt tout proche à l’insistance de son père, Yudel, peintre en bâtiment et polyglotte passionné de littérature et de théâtre yiddish, mais aussi de reportages de toute l’Europe.
La décision de Yudel est exceptionnelle. Là où la plupart des Juifs polonais attendent de voir ce qui se passe, Yudel entraine sa famille dans un voyage périlleux qui manque de coûter la vie à son épouse, Sore Roize Rosenberg, qui souffre de problèmes gastriques chroniques graves. La grand-mère de Sol est, elle, reviendra en ville faire du bénévolat à l’hôpital : personne ne le reverra jamais.
Yudel, lui, emmène sa famille à Lublin, occupée par l’armée soviétique qui envahit la Pologne en même temps que les nazis, en 1939.
La famille est à l’abri de l’armée d’Adolf Hitler, mais entre les griffes de celle de Joseph Staline, qui « réalise alors qu’il dispose d’une formidable main-d’œuvre réduite en quasi-esclavage », comme le dit Sol Nayman.
Les Nayman sont mis dans des trains, à Lublin, avec quelque 250 000 autres réfugiés juifs que l’Union soviétique a fait prisonniers. Ils sont envoyés à l’Est, ce qui les sauve des nazis, qui prennent le contrôle de toute la Pologne en 1941. Mais survivre en Union soviétique n’est pas simple.
La famille est logée dans une cabane à Syktyvkar, un camp de travail du nord de la Russie située à la même latitude qu’Anchorage, en Alaska, et qui, en hiver, est un des endroits les plus froids qui soient.
« C’était une période misérable », se souvient Nayman. La faim et le froid sont constants, tout comme la mort, se confie-t-il. Une mère de famille avec laquelle les Nayman partagent une cabane y meurt d’une infection contractée à cause d’une écharde , se rappelle Nayman.
« Mme Mita est morte de l’infection causée par l’écharde. Il n’y avait aucun moyen de la guérir. Il n’y avait pas de médecin », regrette Nayman. Il se bat régulièrement avec les habitants, qui le malmènent parce qu’il est juif, ajoute-t-il.
Le fait que des centaines de milliers de Juifs aient échappé aux hommes de main d’Hitler pour mieux souffrir et souvent mourir entre celles de Staline est souvent ignoré, ou alors expédié en une phrase, souligne Nayman.
« Mais pour nous, qui y avons survécu, c’est une autre Shoah. »
Le discours de Nayman est un récit de survie émaillé d’anecdotes amusantes tout autant que de chiffres édifiants. Il demande à ceux qui l’écoutent de le faire avec toute l’ouverture de coeur possible envers tous les autres survivants. « Nous comptons sur vous pour vous nourrir de tout ceci et d’en faire quelque chose », dit-il.
Nayman, qui a eu deux fils avec sa femme Queenie, met en pratique ce qu’il recommande aux autres de faire.
Il s’est rendu en Pologne à plusieurs reprises, y compris à Treblinka, mais il n’était jamais revenu à Stoczek auparavant. C’est le témoignage et l’action d’une autre survivante de sa ville, la regrettée Chasia Vardi, qui lui donne envie de revenir, lui aussi.
« Non seulement elle a contribué à témoigner de ce qu’était la communauté juive de Stoczek, mais elle a fait le voyage depuis Israël et réuni des bénévoles polonais pour rénover le cimetière juif », témoigne Naymnan. « Cela m’a incité à faire ma part. »
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