Pour ce responsable du Magen David Adom, un paradis californien a volé en éclat
Shimon Abitbol se trouvait à Poway pour la circoncision de son petit-fils ; à la synagogue pour Shabbat, il a vécu ce qu'il pensait impossible dans ce pays
Eric Cortellessa couvre la politique américaine pour le Times of Israël

WASHINGTON — Shimon Abitbol s’y connaît en effusions de sang.
Directeur-adjoint des services de secours du Magen David Adom (MDA), il s’est rendu, de par sa fonction, au cœur de certains des conflits les plus meurtriers d’Israël. Il a notamment été chef du MDA à Kiryat Shmona, sa ville natale située à la frontière nord, qui a essuyé les tirs de roquettes du Hezbollah pendant la Seconde guerre du Liban en 2006.
Mais samedi, Shimon Abitbol a assisté à un type de violences bien plus inattendu et perturbant, selon lui, que tout ce dont il avait pu être témoin jusqu’à présent.
Il assistait à l’office du samedi matin dans une synagogue du mouvement Habad à Poway, en Californie, en compagnie de deux de ses petits-enfants et de son gendre, lorsqu’un homme est entré dans le sanctuaire et a ouvert le feu.
Lori Gilbert-Kaye, 60 ans, a été tuée. Noya Dahan, une fillette de 8 ans, et son oncle de 34 ans, Almog Peretz, ont pour leur part été blessés.

Au début de cette même semaine, l’Israélien de 60 ans s’était rendu dans la même synagogue à l’occasion de la circoncision de son plus jeune petit-fils – dont la naissance l’avait amené en Californie.
Cela fait six ans que sa fille s’est installée à Poway, une petite ville de la banlieue de San Diego, raconte-t-il. Il vient la voir au moins deux fois par an depuis.
Pour lui, Poway est un second foyer – où il se sent souvent plus en sécurité qu’à Kiryat Shmona, à la frontière avec le Liban, pays du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah qui a juré de détruire l’Etat juif.
« Je viens d’Israël, je sais parfaitement ce qu’est une situation sécuritaire », explique-t-il. « Quand je viens ici, j’ai l’impression d’être au paradis ».

Un paradis aujourd’hui pris en otage.
Shimon Abitbol s’est rendu à l’office du Shabbat, ce samedi matin, en compagnie de sa petite-fille de cinq ans, de son petit-fils de deux ans et de son gendre, en cette dernière journée de Pessah. Après une heure et demi d’office, raconte-t-il au Times of Israel, son petit-fils – un petit garçon à l’énergie débordante – voulait aller dehors pour jouer.
Il a alors emmené l’enfant avec lui et s’est dirigé vers une salle réservée aux réceptions, à l’arrière de la synagogue. Quelques secondes après être entré dans la pièce, il entend des coups de feu.
« A ce moment précis, j’ai plaqué mon petit-fils au sol et je l’ai recouvert de mon corps en lui maintenant la bouche fermée. Pas de cris », raconte Shimon. « Après sept tirs, j’ai entendu le rabbin crier : ‘Ne vous levez pas ! Couchez-vous !' »

Le silence une fois revenu, poursuit-il, il part retrouver sa petite-fille et son gendre avec son petit-fils. Lorsqu’il a vu qu’ils étaient sains et saufs, il s’est rendu de lui-même auprès des blessés (il dit ne pas avoir vu le tireur – qui, à ce moment-là, avait déjà fui les lieux).
Depuis la porte, Shimon aperçoit Lori Gilbert-Kaye, touchée par balles, gisant au sol, immobile.
« Une femme se trouvait au sol, inconsciente », dit-il. « J’ai essayé de trouver son pouls. J’étais agenouillé, et un homme se trouvait à côté d’elle. Il m’a dit : ‘C’est mon épouse’. »
Shimon remarque alors que la victime a un trou dans la poitrine. « J’étais assommé », raconte-t-il.

Son mari, médecin, s’est évanoui lorsque Shimon a commencé à tenter de la réanimer, explique-t-il. « Quand une telle chose arrive à un membre la famille, il est impossible de réfléchir », dit-il, dans un anglais teinté d’un accent israélien.
« Ce n’est pas habituel de devoir soigner celle que vous aimez. Je peux le comprendre », confirme-t-il. « C’est un moment que je ne pourrai jamais oublier, je pense, tout le reste de ma vie ».
Les secours de Poway sont ensuite rapidement arrivés et ont emmené la femme à l’hôpital. D’autres membres de la communauté ont raconté qu’elle avait protégé le rabbin des balles du tireur, courant devant l’attaquant.
Peu après la fusillade, le tireur présumé a été placé en détention. Les autorités de Poway ont fait savoir que le suspect s’appelait John T. Earnest, un étudiant de 19 ans qui se trouvait sur le tableau d’honneur de l’école dans laquelle il faisait des études d’infirmier. Il a été emprisonné pour meurtre au premier degré et pour trois chefs d’accusation de tentative de meurtre au premier degré.

Hors des salles de classe, Earnest semble avoir été imprégné de théories relatives à la suprématie blanche et s’être distingué par sa haine des Juifs.
Quelques heures avant d’entrer dans la synagogue Habad de Poway, il aurait publié un manifeste en ligne, avertissant que les Juifs cherchaient à remplacer la race blanche. Il y citait par ailleurs Adolf Hitler comme source d’inspiration, ainsi que Robert Powers – le tireur de la fusillade de Pittsburgh – et Brenton Tarrant, l’attaquant de la mosquée de Christchuch.
Vingt-quatre heures après la fusillade, Shimon Abitbol se dit désorienté et choqué. Il n’avait pas conscience, explique-t-il, de l’ampleur des violences antisémites aux Etats-Unis – et qu’elles puissent gangrener une communauté telle que Poway.
« Je rends visite à mon petit-fils et à ma fille tous les six mois », raconte-t-il. « C’est la première fois que je prends conscience de ce que peut être l’antisémitisme ici ».
Il ajoute : « On arrive ici et on se dit que c’est la plus grande démocratie du monde, puis on voit ce qui est arrivé dans cette synagogue. C’est tout simplement inimaginable ».