Pour lutter contre l’escalade de la criminalité, les Arabes israéliens intègrent la police
Des centaines de jeunes citoyens se sont enrôlés au cours des dernières semaines, mais certains se demandent encore pourquoi des policiers juifs ne pourraient pas faire l’affaire
JALJULIA – Dans le village arabo-israélien de Jaljulia, le portail métallique de la mairie est criblé d’impacts de balles. Le maire de la ville, Fayik Auda n’est pas surpris par le fait qu’aucun suspect ne soit arrêté pour avoir tiré sur un immeuble officiel.
Dans le village, qui compte 10 000 habitants, dont l’histoire et le nom remontent à l’empire romain, 12 personnes ont été tuées au court de ces 5 dernières années, mais seulement un suspect a été arrêté pour ces crimes. Il s’est rendu.
« Il est clair qu’il y a une différence entre le sang [juif] et le sang [arabe] en ISraël », explique Auda, qui se définit comme un « réaliste » et un « modéré », qui respecte la police israélienne.
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Le sentiment qu’éprouve Auda est très répandu parmi les Arabes israéliens, qui font face à une criminalité et une pauvreté bien plus importante que leurs homologues israéliens, mais ils jouissent de moins de services de police.
En 2015, 59 % des meurtres en Israël ont eu lieu au sein de la communauté arabe, alors que cette dernière ne constitue que 20 % de la population.
La dure réalité pourrait cependant être sur le point de changer.
Le gouvernement israélien actuel a récemment enclenché un programme de 350 millions de dollars pour éradiquer la criminalité de la communauté arabe. Et pour ce faire, ils ont sollicité les citoyens arabes pour rejoindre les forces de police.
Parmi les 1 300 nouvelles recrues de la police, censées travailler pour la communauté arabe dans 12 nouvelles stations, la police israélienne espère recruter 600 citoyens arabes.
Pour faciliter la mise en œuvre du programme, une institution inédite a été ouverte en août, sur l’ancien site de l’école nationale de police, à Kiryat Ata : un cours préparatoire pour que les Arabes puissent rejoindre les forces de police.
Policiers arabes de haut rang : pas de plafond de verre
Lorsque le vice-chef de la police, Jamal Hakrush entre dans la petite salle de classe, les étudiants le fixent silencieusement : il est l’arabe musulman le plus haut gradé de toute l’histoire de la police israélienne.
On demande aux futures recrues de donner leur ville d’origine : « Kafr Kanna, Kafr Qassim, Shfar’am », des villes dans le « triangle » arabe, qui ne sont généralement pas un réservoir pour les services de sécurité israéliens.
Hakrush, qui parle un hébreu teinté d’un léger accent arabe leur dit : « notre but, c’est d’apporter aux communautés arabe une police plus forte et plus efficace. Tous ceux qui vous diront le contraire vous mentent. »
« Nous vous intégrerons aux rangs de la police. Mais le grade que vous atteindrez dépendra de vos efforts », conclut Hakrish.
Durant la semaine de formation, les étudiants arabes reçoivent les outils nécessaires pour réussir l’examen écrit pour intégrer l’académie de la police. Cela signifie que les cours sont donnés en hébreu, langue que les étudiants savent lire et écrire, mais leur vocabulaire est limité lorsque l’on s’attaque au champ lexical de la police. Ils assistent également à des cours d’éducation civique israélienne. Mais le plus important, ce cours est un catalyseur de confiance pour un groupe qui, habituellement, ne réussit pas l’examen. Mais aujourd’hui, Israël veut qu’ils intègrent la police.
Le vice-chef de la police, dans un échange avec les journalistes à Kiryat Ata jeudi, a déclaré qu’il était « la preuve vivante » que tous les policiers sont égaux, indépendamment de leur ethnie ou de leur identité religieuse.
Durant les 38 ans de sa carrière, le jeune homme de Kafr Kanna a occupé tous les postes de la police israélienne.
« J’ai été dans différentes positions. À chaque promotion, on me disait que ça serait la dernière. Mais j’ai continué à gravir les échelons », explique-t-il.
Alors que les Arabes constituent 20 % des 8 000 000 d’Israéliens, l’écrasante majorité est musulmane. Seulement 1,8 % des agents de police sont des arabes musulmans. 3 % des policiers sont arabophones, ce qui inclut les Druzes et les chrétiens.
Katarina Abu Akell, est une jeune chrétienne de 20 ans, originaire de Kfar Yasif. Elle fait partie des centaines de jeunes Arabes qui ont répondu à l’appel pour s’enrôler dans la police. Elle fait aussi partie du phénomène qui montre que les recrues féminines arabes (1/3 des recrues arabes) sont plus nombreuses que leurs homologues juives (12 % de la police).
Avant d’entamer la formation pour devenir policière, elle a travaillé pendant deux ans au commissariat de police d’Akko pendant son service national, un programme post-bac pour ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’enrôler dans l’armée. (On a pu observer au cours des dernières années une augmentation significative du nombre d’Arabes israéliens qui effectuent leur service national.)
Abu Akell, dont le frère est également dans la police, a apprécié l’atmosphère à la station, le rapport entre la police et les employés, et a décidé qu’elle en voulait davantage. Elle espère devenir une enquêtrice criminelle, mais elle doit d’abord réussir l’examen d’admission.
Avant le cours préparatoire, seul un Arabe sur quinze réussissait l’examen écrit. Après avoir suivi la formation d’une semaine, ils sont désormais deux tiers.
Après l’examen écrit, Abu Akell devra réussir un examen qui pose moins de problèmes. Après cela, elle effectuera un séjour d’un an à l’académie de la police à Beit Shemesh. À la fin de ce processus, environ un tiers de ceux qui avaient suivi le cours préparatoire pourront rejoindre les forces de police.
Israël a besoin des Arabes pour gérer les Arabes ?
Le taux de criminalité élevé au sein de la communauté arabe israélienne est imputable à trois causes : les gangs criminels, les querelles familiales et la violence domestique. Le fait que l’État a fermé les yeux sur des centaines de milliers d’armes à feu qui ont proliféré illégalement dans les quartiers arabes n’a fait qu’alimenter ce taux.
Bien que les raisons de cette criminalité viennent de la communauté arabe elle-même, et que certains diront que les querelles familiales et la violence domestique sont des problèmes culturels que la communauté doit rectifier par elle-même, de nombreux dirigeants arabes accusent franchement le manque de services de police.
Il pointent du doigt le fait que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et que le ministre de la Sécurité Gilad Erdan ont décidé de prendre au sérieux le problèmes des armes illégales dans la communauté arabe seulement après qu’un Arabe israélien, du nom de Nashat Milhem, a tiré sur trois personnes à Tel Aviv le 1er janvier. Erdan avait déclaré au New York Times en septembre que le projet était en cours bien avant l’épisode Milhem.
La police, les dirigeants arabes, les civils et le gouvernement s’accordaient tous pour dire que les quartiers arabes ont désormais besoin de services de police plus conséquents. Mais la question qui se pose, c’est de savoir si ces nouvelles forces de police doivent être arabes elles-mêmes.
Le député Ahmad Tibi (Liste arabe unie) a affirmé dans une interview au Times of Israel qu’il était opposé au recrutement des Arabes dans les forces de police.
« Le problème c’est la police. Ça n’est pas le fait que le policier soit arabe ou juif. Lorsqu’il y a un problème avec les accidents de la route, est ce que le ministère des Transports dit « il nous faut des enquêteurs de la circulation qui soient arabes ? », a demandé Tibi sur un ton sarcastique.
Tibi ajoutait que si la police décidait de prendre le problème à bras le corps, comme ils l’ont fait dans la ville à majorité juive de Natanya, qui a souffert du crime organisé, comme les villes arabes aujourd’hui, c’était faisable.
Fayik Auda, le maire de Jaljulia a encouragé le recrutement d’Arabes dans les forces de police tant que cela « garantit un réel changement ». Il a ajouté qu’il n’était pas souhaitable que les recrues arabes ne soient pas affectées dans des villes majoritairement juives telles que Tel Aviv ou Haïfa, mais seulement dans les villes arabes, dans lesquelles ils ont l’avantage de comprendre intimement la langue et la culture.
Il a aussi déclaré que sa ville entretient de bonnes relations avec les forces de police juives qui y entrent. L’an dernier, en novembre 2015, on a démantelé, à Jaljulia, une cellule de sept hommes avant qu’ils ne prennent la route pour la Syrie, dans le but de rejoindre l’État islamique.
La stratégie de la police voudrait qu’Arabes et Juifs travaillent ensemble dans les villes arabes : « C’est un fait, les Arabes comprennent mieux la mentalité », explique Hakrush. « Mais certains diront qu’un Arabe sera mal à l’aise s’il doit arrêter un suspect arabe. Les arguments vont dans les deux sens. Et c’est pourquoi, le type de policier affecté à la communauté ne fera aucune différence. »
Amnon Beeri-Sulitzeanu, codirecteur exécutif de l’Abraham Fund Initiave, dont l’association à but non lucratif travaille sur l’amélioration de relations entre les citoyens arabes et la police, était plein d’espoir avec ce programme du gouvernement, mais avec une certaine réserve.
Il explique que le gouvernement comprend que l’ampleur de la criminalité dans les villes arabes est préjudiciable à la croissance économique, et que cela nuit au pays entier. La nouvelle initiative est cruciale pour intégrer les minorités non-juives à la population via une refonte économique, éducative et du logement.
« Recruter, c’est une bonne partie de l’ensemble du programme visant à faire évoluer l’attitude vis-à-vis des Arabes », ajoute-t-il, en expliquant que les Arabes sont généralement perçus comme une menace pour la sécurité plutôt que comme une communauté qui a besoin des services de la police.
Au cours des dernières années, des policiers ont été affectés aux villes arabes, mais les habitants de Jaljulia, par exemple, racontent que les policiers sont davantage occupés à distribuer des amendes pour infractions routières qu’à faire autre chose.
Après avoir étudié la façon dont les minorités bénéficient des services de la police dans le monde entier, Beeri Sulitzeanu soutient que ce qui compte, ce n’est pas l’identité du policier, mais plutôt l’instauration d’une confiance qui favorisera la collaboration entre les résidents et la police.
« Si la nouvelle police est perçue comme un service qui leur est fait, les fait qu’ils soient arabes sera une bonne chose. En revanche, s’ils servent d’avant-postes de force contre eux, ils seront perçus comme des traîtres », analyse-t-il.
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