Pourquoi fermer la Knesset au moment où les Israéliens en ont le plus besoin ?
Et pourquoi ni le Likud ni Kakhol lavan ne font rien pour sortir de l'impasse qui voit Rivlin implorer Edelstein de remettre les députés au travail pour servir la démocratie

La semaine a été mauvaise pour la plupart des Israéliens. Les enfants ne sont pas scolarisés, les entreprises ont fermé et des centaines de milliers de familles sont confrontées à la perte de l’un ou des deux revenus alors que les perturbations sociales, éducatives et économiques de la pandémie COVID-19 s’accélèrent. Mardi, le responsable du budget du ministère des Finances, Shaul Meridor, a averti qu’il n’y aurait pas assez d’argent pour renflouer tout le monde, laissant le demi-million de travailleurs indépendants et de petites entreprises du pays se demander s’il restera des miettes à ramasser quand tout sera terminé.
Pourtant, alors même que l’économie israélienne s’arrête et que la pandémie menace de faire ses premiers morts parmi les Israéliens, la réponse des politiciens du pays semble étonnamment indifférente. Une querelle sur une procédure de la Knesset a entraîné la fermeture du Parlement – celui-là même qui pourrait adopter des projets de loi de financement pour aider ces familles désespérées, ou qui pourrait créer un contrôle significatif et des limites sur les nouvelles politiques de cyberpistage sans précédent mises en place pour aider à endiguer la propagation du coronavirus responsable de la COVID-19.
Le président de la Knesset, Yuli Edelstein, du Likud, s’est mis à l’ouvrage, déclarant en début de semaine qu’il ne démissionnerait pas pour laisser la place à un nouveau président, même s’il ne représente plus la majorité du nouveau Parlement. Et il n’est pas obligé de le faire. Le règlement de la Knesset stipule qu’un nouveau président n’a pas à être choisi tant qu’un nouveau gouvernement n’a pas été approuvé. Que Benny Gantz, de Kakhol lavan présente un gouvernement à l’approbation du Parlement, a dit Edelstein, et j’autoriserai alors un vote pour me remplacer.
Mais ce n’est pas seulement l’entêtement d’Edelstein à s’accrocher à son fauteuil qui a fait fermer le Parlement. Il n’autorisera aucun vote en plénière – ni pour créer la commission des Finances pour commencer à répondre à la catastrophe économique imminente, ni pour former la commission des Affaires étrangères et de la Défense pour superviser le nouveau régime de surveillance introduit mercredi, ni pour mettre en place la « commission corona » exigée par Kakhol lavan pour superviser et coordonner la réponse du pays à la pandémie.
Edelstein a une explication pour son extraordinaire intransigeance. Il dit craindre pour le bien-être des membres estimés de la Knesset. Alors que le ministère israélien de la Santé a émis des directives d’urgence interdisant à tous les Israéliens de se réunir avec plus d’une poignée de personnes, le plénum de la Knesset est composé de 120 membres qui se réuniraient normalement dans une seule salle pour élire le nouveau président (sans parler du nouveau gouvernement, des nouvelles commissions et des nouveaux budgets pour ceux qui sont coincés dans une urgence économique provoquée par le coronavirus).

En effet, quatre membres de la Knesset – deux de chaque côté de l’échiquier politique – sont entrés en quarantaine cette semaine, tandis que le ministre de la Santé Yaakov Litzman, invoquant son âge avancé (71 ans), a notifié à Edelstein qu’il ne se rendrait pas de sitôt au Parlement.
Pourtant, même si le problème du coronavirus est réel, l’excuse demeure manifestement absurde. Comme l’a montré la prestation de serment de la Knesset lundi, le vote en plénière peut se dérouler de manière fragmentée, avec une petite poignée de députés votant au coup par coup. Ce serait un processus lent et laborieux, mais ce serait un processus légal. L’existence de l’option au coup par coup ôte à l’excuse d’Edelstein toute pertinence.
En fait, si la peur du coronavirus était véritablement le facteur déterminant, Edelstein s’efforcerait maintenant de modifier les règlements de la Knesset pour permettre aux députés de se réunir par vidéoconférence ou par le biais d’autres technologies et de voter par correspondance lors des votes en plénière et en commission. Un tel changement nécessiterait au moins 14 jours pour être mis en œuvre (il existe des règles strictes empêchant des changements rapides dans les procédures parlementaires), mais il permettrait à la Knesset de disposer de deux semaines pour mieux gérer l’urgence, peu importe qui se trouve dans le fauteuil du président de la Knesset ou dans celui du Premier ministre.
Aucune de ces mesures n’est prise, car le gel actuel ne concerne pas le virus. Il s’agit de paralyser le Parlement afin d’empêcher Kakhol lavan de prendre le pouvoir avec sa majorité de 61 sièges.
Pas étonnant que Kakhol lavan se soit élevé contre l’intransigeance d’Edelstein, la qualifiant d’ « atteinte à la démocratie ». Un gouvernement élu il y a trois Knesset(s), gèle le Parlement dans un contexte d’urgence sanitaire tout en adoptant de nouvelles mesures de surveillance draconiennes sans faire l’objet d’aucun contrôle significatif. N’est-ce pas là une raison suffisante de s’inquiéter, même pour ceux qui n’espèrent pas voir Benny Gantz devenir notre prochain Premier ministre ?

Sentant que lui et ses alliés perdaient le débat, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé mercredi soir dans une interview à la Douzième chaîne que le Likud avait gelé le processus de formation des commissions parlementaires parce que Gantz prévoyait de nommer un membre du parti de la Liste arabe unie comme président d’une des nouvelles commissions.
Il est aussi extrêmement difficile à prendre cet argument au pied de la lettre. D’une part, la Liste arabe unie a déjà présidé une commission lors de la dernière session de la Knesset en exercice – la 20e, il y a trois législatures de la Knesset pour ceux qui suivent – et elle a maintenant plus de sièges qu’elle n’en avait à l’époque (15 sièges sur 120, soit la troisième force parlementaire pour être précis). À moins d’une modification fondamentale des statuts et des procédures de la Knesset, il serait extrêmement difficile pour un Premier ministre de refuser à la Liste arabe unie la présidence d’une commission si le parti le souhaite.
Alors, que se passe-t-il vraiment ? Pourquoi ce traînage de pieds sans précédent et ces dissimulations ? Qu’est-ce qui peut bien être si important pour Netanyahu et Edelstein pour justifier le gel des travaux du Parlement dans une situation d’urgence aussi vaste et évidente pour tout le monde ?
La réponse pointe les priorités des politiciens israéliens et les raisons pour lesquelles Kakhol lavan, apparemment le joueur passif de ce mélodrame, est également coupable d’empêcher la Knesset de se mettre enfin au travail.

Alors que Rome brûle
Sous la façade, la peur et la dissimulation, une seule question – apparemment marginale et procédurale – occupe l’esprit des dirigeants des deux partis : Combien de représentants chacun aura-t-il au sein de la commission des Arrangements de la Knesset ?
Après chaque élection, la nouvelle Knesset – par un vote en plénière – établit une commission des Arrangements, un outil puissant pour décider du fonctionnement du nouveau Parlement, et décide du nombre de membres qui y siègeront. La commission détermine dès le départ quelles commissions parlementaires seront constituées et qui en seront membres.
Elle détermine donc qui contrôle le calendrier parlementaire et peut faire avancer la législation, y compris les projets de loi budgétaire urgents ou les propositions de modification de la loi électorale. L’un de ces changements électoraux est actuellement en cours d’élaboration sur ordre de Kakhol lavan : l’interdiction pour un député comme Netanyahu d’être choisi comme prochain Premier ministre désigné.
En d’autres termes, le contrôle de la commission des Arrangements décidera de facto si Kakhol lavan dispose des voix et des leviers législatifs pour écarter Netanyahu de la compétition. C’est le chemin le plus sûr pour Kakhol lavan vers le poste de Premier ministre.
Il y a juste un problème : les deux blocs de la Knesset sont si proches en taille, la majorité de Gantz si étroite et ténue, que le calcul parlementaire prévu par la loi qui détermine qui finit par contrôler la commission des Arrangements dépend d’un petit détail – la taille de la commission.
L’arithmétique est complexe, mais restez avec moi : Selon la loi, la commission des Arrangements doit comprendre au moins un membre de la Knesset pour chaque faction ayant remporté plus de quatre sièges, des membres supplémentaires étant ajoutés en fonction de la taille totale de chaque faction.

Dans la Knesset actuelle, cela signifie que la commission des Arrangements doit compter au moins 8 membres – un pour chaque faction.
Mais que se passera-t-il si la 23e Knesset décide de former une commission de neuf membres ? Qui obtiendra le siège supplémentaire ? La réponse : le parti dont le nombre total de députés divisé par la taille de la commission donne le plus grand nombre de sièges restants. C’est-à-dire la faction qui compte le plus grand nombre de députés non représentés.
Par exemple, si la commission des Arrangements devait compter 30 membres, cela créerait une simple équation de 1 siège pour 4 députés. Les 36 députés du Likud auraient donc 9 représentants au sein de la commission, les 32 députés de Kakhol lavan en auraient 8 – tandis que les 15 députés de la Liste arabe unie seraient représentés par seulement 3 membres, les trois députés restants n’étant pas comptés dans le nombre de membres. Augmentez maintenant la taille de la commission de un à 31 membres, et c’est la Liste arabe unie, avec ses 0,75 représentants restants, qui obtient le siège supplémentaire au sein de la commission.
Les nouveaux sièges sont calculés par faction, et non par bloc, de sorte que huit décomptes différents se déroulent simultanément, et la taille apparemment aléatoire des commissions penche soit vers Gantz (un siège supplémentaire pour Travailliste-Meretz, Kakhol lavan, Yisrael Beytenu ou la Liste arabe unie) soit vers Netanyahu (un siège supplémentaire pour Shas, Yahadout HaTorah, Yamina ou Likud).
(Désolé, je vous avais prévenu.)
L’excuse du coronavirus d’Edelstein n’est pas née de la nécessité d’empêcher le plénum de l’éliminer, mais de la lutte plus importante sur la taille de la commission des Arrangements. Il serait dangereux, a-t-il fait valoir, d’avoir une commission de 10 personnes ou plus pendant une épidémie. En toute coïncidence, une commission de 8 ou 9 membres favoriserait de facto Netanyahu.
Kakhol lavan, quant à lui, a exigé une commission de 27 membres, parce que les calculs favorisaient Gantz – du moins jusqu’à ce que la députée Orly Levy-Abekasis annonce son retrait de l’alliance Travailliste-Gesher-Meretz pour former une faction à siège unique. Un seul siège ne lui fournit presque aucune influence sur la nouvelle Knesset, mais fait pencher les calculs de la commission des Arrangements légèrement vers Netanyahu, suffisamment pour que 27 soit une taille intenable pour Gantz. Kakhol lavan a ensuite modifié sa demande pour former une commission de 17 membres.

Le Likud, craignant d’être écrasé par une commission des Arrangements avec une majorité soutenant Gantz, a tenu bon. Edelstein n’autorisera pas un vote en plénière, en partie parce que les votes en plénière pourraient modifier les règles en faveur de Gantz.
Parallèlement, le Likud tente d’utiliser le seul atout de son jeu – Edelstein – pour forcer Kakhol lavan à négocier le premier tour des missions des commissions avant de se voir confier le contrôle de ces commissions.
Des jours de pourparlers dans l’impasse se sont concentrés sur la question, alors que la pandémie faisait rage et que l’économie commençait à sombrer.
Cynisme des deux côtés
On a souvent constaté qu’une élection israélienne ne se gagne pas dans les urnes, mais plutôt dans les luttes entre partis qui s’ensuivent. Et à ce titre, l’élection israélienne bat toujours son plein.
Gantz manœuvre pour prendre le contrôle de la commission des Arrangements afin de faire avancer les lois qui écarteraient Netanyahu de la compétition.
Netanyahu, quant à lui, a érigé des barricades parlementaires sur le chemin de Gantz, pour ralentir son avancée.

Il y a du cynisme des deux côtés.
Gantz fonce tête baissée dans le mur. S’il parvient à faire passer la loi empêchant Netanyahu de conserver le poste de Premier ministre, il est presque certain qu’il condamne l’option du gouvernement d’unité avec le Likud de Netanyahu. Cela condamnerait probablement le gouvernement de Gantz à une minorité parlementaire dépendant des députés anti-sionistes de la Liste arabe unie. Un tel gouvernement serait mal accueilli, voire contesté, par certains membres du parti de Gantz – et le placerait, lui et Kakhol lavan, dans une position très inconfortable pour organiser la prochaine campagne électorale.
Gantz a besoin de Netanyahu s’il veut diriger le genre de gouvernement élargi et sans compromis qu’il veut réellement diriger. Ce simple calcul parlementaire suggère qu’il ne considère pas les projets de loi visant à disqualifier Netanyahu comme une fin en soi, mais comme des moyens de négociation destinés à forcer Netanyahu à accepter que Gantz passe en premier dans un accord de rotation.
Mais pour disposer de ce moyen de pression, il doit d’abord être capable de menacer Netanyahu avec une législation viable avant la fin de ses 28 à 42 jours en tant que Premier ministre désigné.
En d’autres termes, Gantz semble vouloir laisser le Parlement fermé jusqu’à ce que le Likud lui permette de faire son chemin au sein de la commission des Arrangements, ce qui lui assurera un avantage dans les négociations de coalition à venir.

Il n’est donc pas étonnant qu’Edelstein se soit donné pour mission de retarder Gantz, même au prix de l’arrêt de tout travail parlementaire en pleine crise nationale. Lui aussi a prouvé qu’il était prêt à se prêter au même jeu avec le bien-être des Israéliens.
Ironiquement, Netanyahu est également confronté à une horloge politique. La réponse d’Israël au coronavirus a probablement été parmi les meilleures au monde jusqu’à présent, mais des questions se posent quant à la préparation et à l’efficacité globales du système de santé pour répondre à la crise. Et ce, avant même que le virus ne commence à faire des ravages. Les Israéliens sont sur le point de faire face à un douloureux tourbillon médical et économique, et le ralentissement risque fort de nuire à l’homme politique qui dirige l’État depuis 14 ans (en tout).
Et c’est Netanyahu (par l’intermédiaire de son agent Edelstein), et non Gantz, qui est maintenant accusé d’avoir retardé le travail de la Knesset. Plus il reporte l’adoption d’un budget de l’État et de diverses initiatives législatives qui pourraient contribuer à la lutte contre le virus, plus la crise risque de s’aggraver. Il y a un moment où l’obstruction de Netanyahu à Gantz commencera à faire plus de mal à Netanyahu qu’à Gantz, puisque c’est Netanyahu qui sera tenu pour responsable des dommages à venir.
Quand cela va-t-il s’arrêter ?
Netanyahu peut-il résister au mandat de Gantz en tant que Premier ministre désigné sans pour autant concéder le contrôle de la Knesset ni s’attirer la colère populaire à cause du statu quo ?
Gantz peut-il exercer un contrôle suffisant sur le Parlement, et le faire assez rapidement, pour forcer Netanyahu à accepter une deuxième place dans son gouvernement ?
C’est une impasse désagréable, et elle peut encore se transformer en une impasse dangereuse. Le président Reuven Rivlin implore déjà Edelstein de rouvrir le Parlement, et vite, pour ne plus nuire à la démocratie israélienne.
Mais personne dans les salles à moitié vides de la Knesset ne doute que l’impasse, aussi complexe qu’elle puisse paraître, porte sur quelque chose de simple et de central : Il s’agit ni plus ni moins de la poursuite du vote du 2 mars par d’autres moyens, de la part de deux partis politiques qui semblent insensibles aux dommages qu’ils causent aux intérêts vitaux d la population qu’ils prétendent servir.
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