Pourquoi le gouvernement de Netanyahu gère chaque question comme une guerre ?
La nouvelle génération de politiciens de droite est liée par la conviction que des élites de gauche bien ancrées se cachent derrière chaque institution et chaque problème politique

En 2017, un militant de la droite israélienne a publié un livre qui est devenu du jour au lendemain un pilier de la librairie conservatrice israélienne. Il s’agissait d’une polémique féroce et efficace dont le titre était aussi brutal que son contenu Pourquoi vote-t-on à droite et obtient-on la gauche ?
Depuis la fin des années 1970, explique l’auteur Erez Tadmor, les électeurs ont généralement envoyé des majorités de droite à la Knesset, et pourtant la politique gouvernementale est restée, selon lui, « de gauche. » La raison en est simple. À chaque fois, une étroite élite de gauche a fait obstacle à la volonté du peuple, en particulier dans trois domaines clés : les médias, le système judiciaire et les universités.
La droite ne pourra pas vraiment gouverner ou mettre en oeuvre sa vision du pays, a averti Tadmor, tant que cette élite ne sera pas mise sur la touche.
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Il a formulé trois propositions pour atteindre cet objectif, essentiellement dans un langage emprunté au conservatisme américain : la concurrence doit être imposée dans les médias, le pouvoir judiciaire et la bureaucratie judiciaire du gouvernement doivent être restreints par des réformes judiciaires, et les universités doivent être poussées à adopter une orientation plus conservatrice dans la recherche et l’enseignement.
Aucun des arguments du livre n’était nouveau, mais leur présentation dans un récit unique, cohérent et combatif a contribué à cristalliser la vision du monde d’un mouvement en pleine expansion. Pour les jeunes militants de droite, l’histoire avait un sens. Leur expérience déterminante était le retrait israélien de Gaza en 2005, mené de manière inexplicable par un gouvernement dirigé par le Likud. Le leader imbattable de la droite, Benjamin Netanyahu, n’était pas un héros pour ce groupe, mais l’incarnation du problème. Dans les années qui ont suivi son retour au pouvoir en 2009, il s’est montré extrêmement prudent sur les questions de guerre et de paix, a repoussé les tentatives de réforme judiciaire et a généralement préféré les larges coalitions avec le centre-gauche (comme ses gouvernements de 2009 et 2013) aux gouvernements de droite plus étroits.
Tadmor a cherché à expliquer cette étrange dévotion de droite à ce que les militants comme lui ne pouvaient s’empêcher de considérer comme un programme politique essentiellement de gauche. Sa réponse – une clique de gauche au sein de la bureaucratie d’État, de l’enseignement supérieur et de la magistrature – a fait sens pour beaucoup.

Le récit a rapidement prouvé son utilité. Lorsque Netanyahu a répondu à son inculpation pour corruption en novembre 2019 en affirmant qu’il était persécuté par une conspiration des élites de gauche, les opposants ont entendu un conspirationniste téméraire, dos au mur, mais les partisans ont hoché la tête en signe d’approbation. Si une élite gauchiste cohésive et intéressée existait effectivement dans les principales institutions judiciaires, journalistiques et universitaires du pays, il ne semblait guère farfelu de suggérer que ses membres pourraient être unifiés dans leur désir de faire tomber le champion le plus victorieux de la droite sur deux générations.
Dans toutes les démocraties, les élites enracinées et les longues mémoires institutionnelles ralentissent le rythme du changement, et à un moment ou à un autre, s’élever contre les élites enracinées peut s’avérer trop efficace dans les urnes pour que tout aspirant politicien puisse y résister.

Mais la réalité israélienne est plus compliquée que tout récit politique simpliste ne peut l’admettre. Il existe une élite israélienne bien établie, mais elle est plus méritocratique et diversifiée que ne le prétend la rhétorique de droite, avec une représentation croissante dans les institutions d’élite des communautés autrefois marginalisées. Les élites médiatiques, judiciaires et universitaires tendent effectivement vers la gauche, mais pas aussi uniformément qu’on le croit généralement.
Mais le récit lui-même est le point essentiel ici. Il est impossible de comprendre la culture, la rhétorique et les instincts politiques du nouveau gouvernement sans lui – ou pourquoi le gouvernement semble avoir pris un départ aussi chaotique. Le récit est devenu une habitude de base de l’esprit de la droite israélienne, au point que les politiciens sont maintenant prêts à voir – ou à faire semblant de voir – des élites oppressives à chaque coin de rue.
La défense du Shabbat
C’est ainsi que, dans son premier acte significatif en tant que membre du nouveau gouvernement, le ministre de la Culture et des Sports, Miki Zohar, a décidé de tracer une ligne audacieuse pour défendre le jour sacré du repos juif.

« Le public observant le Shabbat ne sera pas discriminé sous mon mandat », a-t-il déclaré le 22 janvier, en annonçant que son cabinet annulait son financement du programme « Israeli Sabbath » mis en place par son prédécesseur Chili Tropper, offrant un financement de l’État aux événements culturels des conseils locaux le Shabbat.
Selon Zohar, en finançant des programmes le jour du Shabbat, son ministère dépensait des fonds publics pour des activités auxquelles les Juifs pratiquants ne pouvaient pas participer.
Le soutien ne s’est pas fait attendre. La Quatorzième chaîne, pro-Netanyahu et pro-Shas, a fait l’éloge de la décision, en titrant « Il est venu pour gouverner » et expliquant que la décision allait « renforcer le Shabbat sur la place publique ». Le chef du parti Yahadout HaTorah, Yitzhak Goldknopf, a salué la déclaration de Zohar comme une « importante expression de valeurs ».
Puis, un jour plus tard, Zohar a brusquement fait volte-face.
Alors que les témoignages d’Israéliens pratiquants affluaient sur son compte Twitter et d’autres comptes en ligne, Zohar a découvert tardivement que le programme « Israeli Sabbath » était presque diamétralement opposé à ce qu’il avait compris. Il ne favorisait pas les laïcs ; en réalité, il rendait accessibles aux religieux des événements et des sites culturels auparavant réservés aux laïcs. En finançant jusqu’à 90 % du budget des événements, des droits d’entrée aux musées et autres pendant le Shabbat, il supprime les guichets, tourniquets et autres accessoires qui bloquent l’accès à ceux qui ne peuvent pas interagir avec l’argent ou l’électronique le jour saint. Une partie des fonds du programme était en fait destinée à des mesures de « compatibilité avec le Shabbat », comme l’installation d’horloges automatiques pour faire fonctionner les lumières et la climatisation, et de nombreux musées ont profité de la subvention pour faire exactement cela.

Le premier acte de Zohar à son premier poste ministériel s’était retourné contre lui de manière embarrassante. Il est entré en fonction à la recherche de signes révélateurs de l’élitisme de la gauche laïque afin de pouvoir lui déclarer une guerre immédiate et sans compromis. C’est par pure malchance qu’il s’est accidentellement retrouvé en guerre contre le mauvais segment de la population.
Une fois la poussière retombée, Zohar s’est emporté contre « les médias menteurs » qui, selon lui, avaient déformé sa politique. Il avait seulement cherché à mettre un terme à la pratique du ministère de la Culture consistant à lancer des programmes culturels le jour du Shabbat, a-t-il dit, et n’avait jamais eu l’intention de financer ou de supprimer les événements des conseils locaux. Les responsables locaux n’étaient pas d’accord et ont fait remarquer qu’avant la volte-face de Zohar, ils avaient été informés que les budgets des programmes initiés par les conseils seraient également gelés.
La chaîne publique israélienne
Un processus similaire est en cours dans la tentative du ministre des Communications, Shlomo Karhi, de fermer la chaîne publique israélienne Kan.
Le plan semble être basé en partie sur un document de quatre pages du Kohelet Policy Forum qui préconise, entre autres, de transférer le financement des programmes originaux de la chaîne publique vers des chaînes commerciales concurrentes.
Le plan est révélé au compte-gouttes ; une grande partie de celui-ci reste inconnue. Lorsqu’on lui a demandé des détails, les réponses de Shlomo Karhi lors d’interviews, qu’elles soient enregistrées ou non, ont été vagues et parfois contradictoires, ce qui laisse penser que les détails ne sont pas clairs, même pour leur principal instigateur.

Il n’y a rien d’intrinsèquement déraisonnable à réclamer le passage d’un radiodiffuseur public de type britannique à l’aise financièrement à un arrangement dans lequel les chaînes commerciales se disputent les subventions gouvernementales pour produire un contenu original de haute qualité. Le contre-argument n’est pas non plus déraisonnable : si la chaîne publique israélienne n’est pas financée, des intérêts commerciaux hautement centralisés et coopérant étroitement contrôleront la totalité du paysage télévisuel en hébreu, sans qu’il y ait de média public indépendant ou d’opération d’information télévisée pour rappeler ces intérêts commerciaux à l’ordre.
Il ne s’agit pas ici de débattre des mérites de cette politique. Il s’agit simplement du fait que le ministre qui l’a proposée n’a pas semblé capable d’articuler clairement ces mérites, ou toute autre spécificité, lorsqu’il l’a dévoilée. Il a régulièrement semblé confondre les agences concernées, la façon dont l’argent circulerait sous le nouveau régime, et d’autres détails clés.
Un exemple éloquent : dans une interview accordée à la mi-janvier à « Rencontre avec la presse », Karhi a affirmé qu’aux États-Unis, « il n’y a pas de radiodiffusion publique » et « l’État ne finance pas la radiodiffusion publique ». C’est une affirmation étrange de la part d’un ministre israélien des Communications. Le système de radiodiffusion publique américain est très différent de celui d’Israël – très localisé et principalement financé par des donateurs – mais il est néanmoins massivement financé par l’État. Pour la seule année 2022, la Corporation for Public Broadcasting a reçu quelque 465 millions de dollars du contribuable américain.
La méconnaissance du dossier par Karhi est significative non pas parce qu’elle remet en cause ses qualifications ou son sérieux, mais pour la raison inverse : en raison de sa réputation d’être l’un des esprits politiques les plus affûtés du gouvernement. Il est titulaire de diplômes des meilleures universités israéliennes, dont un doctorat en comptabilité, systèmes d’information, ingénierie industrielle et gestion. Au cours de sa courte présence à la Knesset (il a été élu pour la première fois en 2019), il s’est fait un nom en tant qu’homme de pointe influent et bien informé sur des questions complexes comme la réforme bancaire.
Son manque de connaissance de sa propre politique ne peut donc pas être expliqué par une quelconque limitation de son intellect ou de ses capacités brutes. Au contraire, tout comme Zohar, Karhi est un ministre néophyte qui sait que pour progresser politiquement au sein de la droite israélienne actuelle, il doit être perçu comme brisant des choses. La chaîne publique israélienne, considérée par les populistes de droite comme une institution « oppressive, raciste » et « anti-Likud », était mûre pour une telle rupture. Ce qu’il pourrait finir par construire à sa place est, en termes de bénéfice politique pur, beaucoup moins important.

Un temps pour démolir, un temps pour construire
Il est difficile de dissocier la réforme judiciaire proposée par le ministre de la Justice, Yariv Levin, de cette culture plus large de belligérance habituelle – une fois encore, indépendamment de la substance des réformes.
Un grand nombre de juristes de droite comme de gauche sont favorables à une réduction des pouvoirs inhabituels du système judiciaire israélien. Il existe également de nombreuses raisons de craindre que les réformes de Levin aillent trop loin.
Mais peu de responsables de ce plan de grande envergure, y compris ses principaux bergers politiques, Levin et le président de la commission des Lois de la Knesset, le député Simcha Rothman, se sont engagés sérieusement et publiquement à répondre à ces préoccupations ou à faire des tentatives de compromis.
Et un grand nombre d’Israéliens, y compris à droite, se demandent pourquoi.
Sont-ils, comme certains de leurs défenseurs le prétendent, en train de jouer les durs avant l’inévitable virage vers un terrain d’entente ? Ou bien la refonte est-elle une autre interprétation de l’impulsion de Zohar et Karhi d’aller vite et de briser les choses, bien qu’avec des enjeux beaucoup plus élevés ?

La droite israélienne est désormais au pouvoir avec une majorité parlementaire inattaquable. Mais les habitudes de pensée sont difficiles à briser ; une grande partie de la droite parle et agit encore comme les jeunes militants anti-désengagement en colère d’antan. Et des politiciens comme Zohar découvrent les pièges de cette belligérance instinctive.
Une réforme judiciaire née d’un même élan de confrontation, immunisée contre la critique et convaincue que toute opposition sert un ennemi malfaisant, pourrait bien s’avérer aussi imprévoyante et désastreuse que ses détracteurs le prétendent.
Alors que le gouvernement s’engage dans certains des changements les plus ambitieux de l’Histoire d’Israël, il est juste de demander à cette génération de politiciens apparemment perpétuellement mécontents s’ils sont venus pour construire ou simplement pour démolir.
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