Préservatifs et tikkoun olam : une orthodoxe aide les travailleuses du sexe à Prague
Yael Schoultz procure prophylaxie et soutien depuis 2011. Avec l'organisation L'Chaim qu'elle a fondée, elle souhaite aider les femmes victimes

PRAGUE (JTA) — Le temps de ranger ses chandeliers de Shabbat argentés et sa challah maison, Yael Schoultz se fraie un chemin dans un couloir sombre et monte un escalier en béton gris. Passé une porte, elle retrouve un groupe de femmes très maquillées, en string rouge et noir et talons aiguille, qui offrent des prestations sexuelles tarifées.
Dans cette maison close de Prague, Schoultz, 43 ans, retrouve une trentaine de femmes qui passent de pièce en pièce, plus ou moins vêtues – négligés, soutiens-gorge transparents – et avec des accents aussi variés que la couleur de leur rouge à lèvres. Certaines sourient, d’autres trompent l’ennui en jouant à des jeux sur leur téléphone et d’autres enfin tentent de persuader des clients en leur disant : « Venez passer un bon moment, venez dans ma chambre ».
C’est la routine du samedi soir, après Shabbat, pour Schoultz, Sud-Africaine juive orthodoxe qui a récemment créé L’Chaim, organisation d’aide aux travailleurs du sexe en République tchèque.
Schoultz et ses collègues engagent la conversation avec ces femmes en parlant santé ou météo, en prenant soin de ne pas interrompre celles qui se trouvent avec des clients.
Les bénévoles de L’Chaim sont venues avec des centaines de préservatifs gratuits, des savons de qualité et des bracelets artisanaux.
« Les filles demandent toujours des cadeaux en plus pour leurs ami(e)s », confie Schoultz.
Familière des maisons closes tchèques depuis son installation à Prague en 2011, Schoultz ne se limite pas à ces petits cadeaux. Son objectif est d’établir un lien avec les femmes qu’elle rencontre afin qu’elles puissent quitter le milieu du sexe si elles le souhaitent. Sa foi juive est ce qui l’incite à vouloir offrir une vie meilleure aux travailleuses du sexe.
« Certaines femmes sont des victimes de la traite », explique-t-elle, utilisant le terme de référence des autorités et défenseurs des droits de l’homme pour décrire une forme contemporaine d’esclavage.
« Certaines filles ont été ligotées pendant des jours et violées, parfois même par la police. Certaines peuvent donner l’impression d’être là de leur plein gré mais ce n’est pas la vérité. Endettées, elles estiment que le travail du sexe est le seul moyen de s’en sortir. »
Vêtue de noir de la tête aux pieds – tenue qu’un magazine de mode pourrait décrire comme du gothique modeste -, Schoultz est une habituée de la lutte contre la traite. Il y a de cela quelques années, lorsqu’elle enseignait l’anglais en Corée du Sud, Schoultz a fait du bénévolat pour une organisation désireuse de mettre fin à la traite des Nord-coréennes vers la Chine. Elle a obtenu une maîtrise en théologie et décidé de s’installer en Europe pour y passer son doctorat, ce qui était possible à l’Université Charles de Prague.
« Lorsque je suis arrivée en République tchèque, j’ai cherché des personnes qui travaillaient sur la question de la traite et j’ai trouvé trois femmes : une religieuse catholique et deux missionnaires protestantes. Tous avaient plus de 60 ans », explique Schoultz.
Schoultz leur a demandé si elle pouvait se joindre à elles dans leurs visites aux maisons closes.
« Je suis entrée et j’ai commencé à parler avec ces femmes, de tout et n’importe quoi. La langue n’était pas un obstacle parce que la plupart des travailleuses du sexe parlent anglais », se souvient-elle. « Mais c’était un peu bizarre d’entrer dans ces endroits avec une religieuse en tenue. »

Quelques mois plus tard, Schoultz se sent mal à l’aise, non avec les travailleuses du sexe, mais avec le prosélytisme et le « programme religieux » de ses collègues philanthropes.
« Cela ne m’intéressait pas de remettre des médaillons de la Vierge Marie », dit-elle.
En 2012, Schoultz, qui enseigne l’anglais dans une école internationale de Prague, a créé alors son propre groupe informel de bénévoles pour aider les travailleuses du sexe, tout en approfondissant son cheminement juif.
Persuadée que son père est « d’origine juive », Schoultz grandit au sein d’une famille protestante. Mais elle s’intéresse depuis longtemps au judaïsme, ce que ses études de théologie ne contrarient pas, bien au contraire. Pendant des années, elle assiste aux offices orthodoxes de l’ancienne synagogue, qui date du 13e siècle, et fait du bénévolat pour les services sociaux de la communauté juive de Prague avant de faire sa conversion orthodoxe, en 2020, aux côtés du rabbin israélien David Bohbot. Elle commence alors sa maîtrise en études juives à l’Ashkenazium de Budapest, qui dépend de l’Université laïque Milton Friedman gérée par le mouvement hassidique Habad-Loubavitch.

« Dès le début, lorsque j’ai décidé de me convertir, le judaïsme orthodoxe s’est imposé à moi : j’étais en phase avec, je me sentais à l’aise », explique Shoultz, qui se décrit comme une orthodoxe moderne.
Le rabbin Bohbot rend hommage au dévouement de Schoultz.
« Ce qu’elle fait est noble, et n’est-ce pas ce sur quoi la plupart des grandes religions sont basées ? Montrer de l’amour et du respect pour les autres ? », questionne-t-il.
L’année dernière, Schoultz a franchi une autre étape : elle a obtenu la reconnaissance des autorités tchèques lorsque L’Chaim a été reconnue comme ONG.
Bien que L’Haïm soit une organisation laïque, Schoultz voit son travail à travers le prisme du tikkoun olam, le commandement rabbinique de réparer le monde.
« J’ai l’impression qu’en tant que juive, vous êtes censé apporter la lumière au monde », explique Schoultz.
« L’industrie du sexe est très sombre. Même si vous choisissez d’être une travailleuse du sexe, ce n’est pas un travail que l’on aime vraiment car les clients sont souvent ivres ou violents. »
« Cela peut sembler étrange, mais je me sens très connectée à Hachem quand je suis dans la maison close, parce qu’il est là pour moi, et pour ces femmes aussi », ajoute-t-elle, utilisant le terme hébreu orthodoxe usuel pour désigner Dieu.
Les co-bénévoles de Schoultz, qui ne sont pour la plupart pas juifs, sont conscients de son engagement religieux.
« Lorsque Yael a commencé à s’impliquer dans le judaïsme, elle a trouvé sa voie. Elle était plus complète, elle s’était trouvée », explique Natalia Synelnykova, qui a travaillé avec Schoultz pour lancer L’Chaim.
« Tout le monde trouve que ses amis sont uniques, mais j’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi centré sur l’humain que Yael, et c’est certainement lié à la façon dont elle voit le judaïsme. »
Schoultz a donné à son organisation le nom L’Haïm – à la vie, en hébreu – comme un message à celles qu’elle veut aider.
« Nous voulons que les femmes dans les maisons closes aient une vraie vie, parce que la plupart d’entre elles ont l’impression de ne pas avoir de vie », dit-elle.

Il y a une centaine de maisons closes à Prague, selon les médias, et quelque 13 0000 travailleuses du sexe en République tchèque, dont la moitié seraient des mères célibataires. Bien que le travail du sexe soit légal, le proxénétisme ne l’est pas, de sorte que les maisons de passe opèrent dans un flou juridique auquel les députés tentent de mettre fin depuis des dizaines d’années.
La République tchèque a longtemps été une plaque tournante de la traite des êtres humains, mais elle affiche aujourd’hui un taux relativement bas d’esclavage sexuel, si l’on en croit les statistiques du gouvernement. Schoultz estime que ces chiffres sont trompeurs.
« Personne ne sait vraiment combien il y a de femmes victimes de la traite dans le pays », assure-t-elle.
Un rapport du Département d’État américain a rendu hommage aux mesures prises par les autorités tchèques pour limiter la traite, tout en relevant que l’accent était surtout mis sur les poursuites contre les criminels, aux détriments de l’aide aux victimes.
Schoultz reste discrète sur l’histoire de ces femmes.
« Beaucoup de Nigérianes n’ont pas besoin d’être enfermées pour se sentir retenues, car elles sont enfermées par Juju », explique-t-elle, évoquant cette forme de « magie noire » que certains trafiquants nigérians utilisent pour effrayer les femmes et les inciter à se prostituer.
Elle conseille « ces Roumaines tombées sous le charme d’hommes qui s’avèrent être des trafiquants ».
Ces hommes ont plusieurs femmes qu’il dit être ses « épouses » et avec lesquelles il a des enfants.
« Ces femmes leur donnent tout leur argent pour prendre soin du bébé, qu’il garde comme une forme de garantie en Roumanie », explique Schoultz.
Shoultz a refusé de mettre en contact la JTA avec les travailleuses du sexe qu’elle aide, invoquant la promesse de confidentialité faite par L’Chaim.
La principale organisation de lutte contre la traite des êtres humains en République tchèque, La Strada, a une orientation différente de celle de L’Chaim envers le travail du sexe. Elle estime en effet qu’il s’agit d’une profession légitime qui a besoin d’être organisée et réglementée.
« Nous croyons que les femmes sont pleinement capables de décider elles-mêmes si elles veulent être des travailleuses du sexe et notre objectif est d’assurer la sécurité de celles qui le font, de les aider à s’organiser, de lutter contre la stigmatisation et de bénéficier des mêmes droits que tous les autres travailleurs », explique Marketa Hronkova, directrice de La Strada. La Strada définit la traite comme le fait de contraindre physiquement ou de soumettre à un chantage des femmes pour les forcer à travailler.
Hronkova pense que beaucoup de travailleuses du sexe choisissent leur profession, et qu’il est condescendant voire dommageable que celles qui souhaitent leur venir en aide les « poussent uniquement à quitter une voie qu’elles ont choisie, comme si elles n’avaient pas de libre-arbitre ».
L’alternative au travail du sexe, pour une mère célibataire, peut souvent aggraver sa situation financière, dit-elle.
« Notre objectif est de rendre le travail du sexe sûr, pas de forcer les femmes à arrêter de le faire », affirme Hromkova.
S’agissant de L’Chaim, elle estime que, tant que l’idée est d’écouter les femmes et de ne pas leur faire honte, c’est utile. La Strada travaille déjà avec une autre organisation tchèque, Pleasure Without Risk [NDLT : Le Plaisir sans les Risques], qui affiche une neutralité à l’égard du travail du sexe et offre aux femmes l’accès à des tests de dépistage des maladies sexuellement transmissibles ainsi qu’à des conseils.
L’objectif de L’Chaim, insiste Schoultz, est d’identifier les victimes de la traite et de leur fournir l’aide et les ressources pratiques nécessaires pour reconstruire leur vie. Mais pour avoir accès à ces femmes, il faut gagner la confiance des propriétaires et gérants de maisons closes, aussi L’Chaim ne se présente-t-elle pas comme une organisation de lutte contre la traite.
« Nous nous présentons comme une organisation de soutien aux femmes qui se prostituent, ce qui nous ouvre les portes », dit-elle.
L’Chaim compte une dizaine de bénévoles.
Schoultz met parfois des mois à établir une relation avant de découvrir ce qui a amené une femme à se prostituer.
« On commence par parler des enfants, des animaux », explique Schoultz, « et elles finissent par parler d’elles. Ce sont souvent des histoires de violences, de viols, d’incestes, des traumatismes et des problèmes de santé mentale. »
Elle estime que dans les quelque 13 maisons closes dans lesquelles elle se rend régulièrement, à Prague et à Brno, la moitié au moins des travailleuses du sexe ne sont pas là de leur plein gré.
Schoultz souhaite faire des campagnes de sensibilisation à la traite et faire en sorte que les clients de ces travailleuses du sexe reconnaissent les signes d’une femme contrainte à la prostitution.
Les propriétaires de maisons closes ne sont pas toujours agréables, reconnait Schoultz.
« Dans l’une de ces maisons closes, le propriétaire est arrivé par derrière et m’a embrassée dans le cou. J’ai eu très peur », confie-t-elle.
En dépit de sa tenue vestimentaire modeste, ou tzniout, conforme à ses valeurs orthodoxes, elle dit avoir été poursuivie par le client d’une maison de passe qui voulait qu’elle prenne part à une « relations sexuelles de groupe ».
Elle l’a repoussé calmement en lui expliquant qu’elle « rendait service, mais pas ce genre de services ».
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