Présidentielle : les électeurs juifs français divisés au sujet de Zemmour
Le candidat d'extrême droite met en lumière la mort de Jérémie Cohen, jusque-là considérée comme un accident, affirmant qu'elle était le résultat d'une attaque antisémite
PARIS, France (JTA) — Cela fait six mois qu’Éric Zemmour a quitté son poste de journaliste pour se présenter comme candidat d’extrême droite aux élections présidentielles françaises. Mais cette semaine, le candidat juif à l’élection présidentielle, a probablement décroché le plus gros scoop de sa carrière.
Mardi, quelques jours seulement avant le premier tour de dimanche de la course à la présidentielle, le parti de droite « Reconquête » a dévoilé sur les réseaux sociaux et grand public l’histoire de Jérémie Cohen, un homme juif handicapé de 31 ans dont la mort en février, selon la police, pourrait avoir été le résultat indirect d’une agression banale. D’autres, y voient cependant, un agression antisémite.
Zemmour, ancien polémiste et expert de la télévision âgé de 63 ans dont les chances de devenir président sont minces, a contribué à attirer l’attention nationale sur l’incident en pleine campagne dans laquelle la violence antisémite, l’état de droit et l’islam politisé sont des thèmes centraux.
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Interrogé mercredi dernier sur TF1 sur le geste symbolique qu’il effectuerait le jour de son investiture, Eric Zemmour a promis de rendre visite à la famille d’un jeune homme qui s’appelle Jérémie Cohen. « Le public français ne le connaît pas encore, c’est normal. Je vais raconter l’histoire. » a-t-il ajouté.
Zemmour, qui peine a remonter dans les derniers sondages, a raconté comment la mort de Cohen a été traitée comme un banal accident de tramway pendant près de deux mois, jusqu’à ce que le père du jeune homme, Gerald, partage avec lui les résultats de l’enquête privée de la famille – y compris une vidéo dans lequel Cohen est vu en train de fuir des hommes qui l’ont agressé avant d’être mortellement heurté par un tramway.
La vidéo a attiré l’attention du président sortant Emmanuel Macron et d’autres candidats en lice pour la présidence. Cette révélation a incité le parquet de Paris à annoncer cette semaine pour la première fois l’ouverture d’une enquête pénale.
Pour l’instigateur Zemmour et ses partisans – dont de nombreux Juifs – l’incident est révélateur de ce qui ne va pas dans la société française, y compris la prolifération de la violence antisémite et le traitement qu’en font les médias.
Pour les nombreux détracteurs de Zemmour, y compris les dirigeants de la communauté juive française, cet accident dramatique permet l’utilisation sans scrupule par l’extrême droite des problèmes sociaux et politiques de la France pour fomenter la peur et gagner des voix.
« Je déplore cette utilisation de la souffrance de cette famille, l’utilisation de ce jeune homme comme martyr », a déclaré mardi le grand rabbin de France, Haim Korsia, dans une interview à la radio juive RCJ.
Korsia a qualifié Zemmour qui va parfois à la synagogue, dont la femme et l’associé sont tous deux juifs, d’« antisémite ».
Si Zemmour utilise la mort de Cohen pour booster sa campagne, cela ne se passe pas comme prévu. Occupant la quatrième ou la cinquième place dans les sondages, il devrait sortir de la course après le premier tour de dimanche. Un deuxième tour mettra très probablement en vedette les deux meilleurs candidats ; les sondages pointent vers Macron, un centriste, et Marine Le Pen, fille d’un négationniste de la Shoah qui a cherché à réformer l’image de son parti d’extrême droite du Rassemblement national.
À Neuilly-sur-Seine, une banlieue aisée de Paris comptant de nombreux résidents juifs, plusieurs fidèles ont déclaré à la Jewish Telegraphic Agency qu’ils ne voyaient pas l’affaire Cohen à travers le prisme des élections.
« J’en ai entendu parler sur les réseaux sociaux. Ça me fait peur », a déclaré Pierre Allouche, 60 ans, père de deux adolescentes, dont l’une veut partir en Israël dans le cadre d’un programme de bénévolat juif. « Mais cela n’affectera pas mon vote car ce n’est que le dernier de nombreux incidents de ce type, qui ont déjà façonné ma façon de voter, ainsi que celle de nombreux autres Juifs français. »
Comme beaucoup de Juifs français – y compris les parents de Zemmour – Allouche est né en Algérie, s’est adressé à la JTA par un après-midi pluvieux dans la synagogue de Neuilly, un impressionnant bâtiment de style Bauhaus entouré de barrières pour des raisons de sécurité.
Zemmour, qui a été reconnu coupable de discours de haine pour avoir déclaré que la plupart des trafiquants de drogue en France sont des Arabes ou des Africains, a touché une corde sensible chez Allouche à travers des discours passionnés sur l’anarchie et la croissance perçue de l’islam politique aux dépens de l’État de droit. Mais cela n’a pas eu de poids dans le choix de vote d’Allouche – « en réalité, Zemmour me fait peur », a-t-il déclaré.
« Je suis d’accord avec Zemmour sur de nombreux points, mais je ne voterais pas pour lui. Il en est hors de question », a-t-il dit. « Regardez sa défense de Vichy, sa remarque étrange sur Dreyfus. »
Allouche a nommé deux des problèmes qui ont reçu peu d’attention à l’échelle nationale mais qui ont poussé de nombreux électeurs juifs à ne pas soutenir Zemmour : son affirmation controversée selon laquelle le gouvernement de Vichy, collaborateur des nazis, a sacrifié des Juifs étrangers pour sauver les Français de la Shoah, et qu’Alfred Dreyfus, un capitaine de l’armée franco-juive qui a été condamné pour trahison lors d’un procès que les critiques ont qualifié d’antisémite, a été ciblé non pas parce qu’il était d’origine juive, mais en raison de ses racines allemandes.
« Je suis un patriote. Je suis d’accord avec son appel au patriotisme, mais c’est comme si Zemmour en arrivait au point où je pourrais être d’accord avec lui, puis allait beaucoup trop loin. C’est comme s’il surcompensait d’être Juif et décidait d’être plus français que les français », a ajouté Allouche.
Allouche comptait voter pour Valérie Pecresse, une autre candidate de droite, mais a été déçu par sa « faible performance » dans les débats et les discours. « Je pourrais juste voter pour Macron, qui est en fait assez dur avec l’islam radical », a déclaré Allouche.
Jean-Marc Moskowicz, 63 ans, avocat à la retraite et chef du groupe de défense de droite Europe-Israël, est l’un des électeurs juifs de Zemmour. Il est au courant des critiques mais dit que c’est le résultat d’une « manipulation médiatique ». « Les médias caricaturent ce que dit Éric mais si vous lisez la source, ce n’est pas exagéré. »
Mais il convient que l’affaire Cohen ne changera probablement pas radicalement les habitudes de vote des Juifs français – une minorité d’environ 450 000 personnes, soit 0,7 % de la population générale.
« Je pense que les Juifs français voteront massivement pour Zemmour, mais pas à cause de l’affaire Jérémie Cohen. Tragiquement, cela revient plus ou moins au même », a déclaré Moskowicz.
Le père de Cohen, Gerald, a déclaré qu’il avait contacté Zemmour pour obtenir plus de visibilité de la vidéo qu’il avait découverte.
« Il a tout compris », a déclaré Gerald Cohen à propos de Zemmour. « Cela a aidé à réveiller les gens. Il nous a énormément aidés, nous aidant dans l’enquête et éventuellement procéder à des arrestations et punir les coupables. C’est un homme bon qui défend des causes comme celle-ci, pas seulement pour moi, et Éric Zemmour l’a fait avec courage. »
Pour de nombreux observateurs, la mort de Jeremie Cohen rappelle le meurtre traumatisant en 2017 de Sarah Halimi, médecin de 65 ans que son voisin musulman a tuée au nom d’Allah.
L’affaire Sarah Halimi, qui a également précédé de peu le dernier tour des élections présidentielles de 2017, a d’abord été rapportée comme une dispute de voisinage dans les médias nationaux. Cela a exaspéré des milliers de Juifs français, surtout après que l’auteur des faits a échappé à un jugement invoquant la folie temporaire basée sur sa consommation de marijuana avant l’agression.
« Cela rappelle évidemment le mauvais souvenir de l’affaire Halimi », a déclaré Allouche.
Quelles que soient ses raisons, Zemmour, qui a récemment fondé un parti appelé « Reconquête » – une allusion possible à la reconquête progressive de l’Espagne au 15e siècle de l’ère commune de la domination musulmane – a mis en avant le cas Cohen bien au-delà de tous ses rivaux.
Dans un discours qu’il a prononcé jeudi devant des milliers d’auditeurs, la foule s’est mise à scander « Jérémie » et « justice » dès que Zemmour a commencé à décrire l’incident.
« Je pense que vous savez que je veux vous parler de Jérémie Cohen », a-t-il dit, déclenchant encore plus de cris et d’applaudissements. Zemmour, qualifiant Cohen de « victime de barbares », a demandé à la foule de se lever et d’observer une minute de silence à la mémoire de Jérémie Cohen.
« Tout a été fait pour que cette histoire reste cachée, une machination politique », a-t-il déclaré. « Pourquoi les faits concernant un incident qui s’est produit le 16 février n’ont fait surface que le 4 avril ? Pourquoi la famille a-t-elle dû lancer sa propre enquête ? Pourquoi les médias se sont-ils entendus pour cacher ces faits ? »
Macron a déclaré mardi aux journalistes qu’il exprimait sa « solidarité avec la famille » et souhaitait « que toute la lumière soit faite », ce que les autorités tentaient maintenant de faire au mieux de leurs capacités a-t-il ajouté.
Le Pen a également abordé l’incident, en le qualifiant, dans une interview mercredi à Europe 1, d’exemple d’une augmentation de « la sauvagerie dans notre société et de l’exacerbation des incidents antisémites dans notre pays ».
Les circonstances entourant la mort de Cohen ne sont pas encore claires. Cohen portait généralement sa kippa, mais il n’est pas certain qu’il l’avait la nuit de sa mort. Son père a déclaré à i24 News que la police lui avait, entre autres, remis la kippa de son fils. Le fait que cela se soit produit à Bobigny, une banlieue pauvre et qui compte une importante communauté musulmane, a alimenté la spéculation dans un pays qui a connu plusieurs attaques terroristes perpétrées par des musulmans au cours de la dernière décennie.
De retour à Neuilly-sur-Seine, Madeline Zerbib, une veuve juive de 77 ans, née en Tunisie et ayant élevé trois enfants en France, dit qu’elle « regarde les élections au travers de ses doigts, avec horreur ».
« Je n’ai pas vu la vidéo de Jérémie Cohen, j’avais trop peur pour regarder », a-t-elle déclaré. « Je ne regarde pas non plus la couverture des élections parce que c’est trop horrible, un fasciste contre un Napoléon contre un lèche-cul et j’ai trop peur d’aller voir ma nièce parce qu’elle vit en dehors de ce ghetto juif », a déclaré Zerbib en la secouant sa tête et sa main droite.
« C’est ce qui reste de ce grand pays », a-t-elle ajouté.
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