Propulsé par la guerre, le projet national de livraison par drone est en passe de décoller
L'initiative Drone, gérée par l'État, s'adapte au fur et à mesure afin de maintenir les drones hors de la trajectoire de Tsahal depuis le 7 octobre
Alors que le ciel israélien s’est rempli de dispositifs militaires suite au déclenchement de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas, le pays a mis en place des restrictions strictes sur le trafic aérien civil, y compris sur les drones. Afin de permettre à certains types de drones civils de continuer à voler, l’Autorité de l’aviation civile (CAA) a chargé un projet gouvernemental développant un réseau expérimental de livraison par drones d’enregistrer et de suivre les aéronefs afin de les tenir à l’écart de l’armée israélienne.
L’Initiative nationale israélienne pour les drones (INDI) a été lancée en 2019 pour tenter de créer un réseau central qui pourrait gérer le trafic aérien pour des multitudes de drones autonomes volant à travers le pays à tout moment. Cette expérience ambitieuse, espérait-on, pourrait finalement inaugurer un nouveau monde, dans lequel les drones circuleraient en toute sécurité dans le ciel, livrant tout, des fournitures médicales d’urgence et même du personnel, à la nourriture et aux achats faits en ligne.
Mais lorsque la guerre a commencé après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, le projet a été contraint de changer d’orientation et de commencer à enregistrer les drones actifs sur un réseau en direct.
« Cette mission a permis de transposer très rapidement nos expériences dans le monde réel », explique Daniella Partem, qui dirige l’INDI en tant que directrice du Centre pour la quatrième révolution industrielle de l’Autorité de l’Innovation israélienne. « Cela nous a obligés à exploiter des capacités que nous avions développées progressivement et à créer un mécanisme opérationnel dans un délai très court. »
Les utilisations commerciales potentielles d’un réseau centralisé de drones sont stupéfiantes et couvrent pratiquement tous les domaines, a fait remarquer Partem.
« Remplacer les options de livraison actuelles par des drones autonomes permettrait de réduire les délais et les coûts de transport, de désengorger les routes et d’accéder à des zones éloignées ou difficiles d’accès. La généralisation de l’utilisation des drones pourrait contribuer à créer de nouvelles industries qui ne sont même pas envisageables à l’heure actuelle », a-t-elle ajouté.
Mais la mise en place d’un réseau efficace de livraison par drone n’est pas une entreprise simple. Jusqu’à présent, l’INDI et les onze entreprises de technologie des drones partenaires du projet ont effectué plus de 24 000 vols d’essai dans le cadre d’expériences de difficulté croissante afin d’apprendre comment un réseau de livraison par drone pourrait être réalisable.
Certains de ces vols pilotes ont contribué à alimenter l’imagination du public avec des réalisations qui relèvent de la science-fiction : livraison de sushis et de bières par drone à Tel Aviv, ou transport de personnes dans des taxis-drones autonomes vers des hôpitaux à Jérusalem.
Mais si ces exploits font les gros titres, ils ne représentent néanmoins qu’une petite partie du tableau d’ensemble. La mise en place d’un réseau national implique de résoudre des problèmes de sécurité, de respect de la vie privée, de logistique, d’exigences réglementaires, de viabilité commerciale et d’une foule de petits détails qui pourraient éventuellement affecter la mise en œuvre d’un système de livraison par drone dans le monde réel.
L’un des plus grands défis est la coordination entre les différentes parties, a expliqué Partem, en comparant le modèle de réseau à celui du centre de contrôle du trafic d’un aéroport.
Au lieu de proposer un système fermé dans lequel un seul fournisseur de technologie gère tout, le réseau national de drones israélien permettrait aux entreprises indépendantes de s’enregistrer sur le système et de déployer leurs propres flottes de drones, tout étant connecté et coordonné par l’intermédiaire d’un centre d’échange d’informations central. Cette approche encourage l’innovation et la concurrence sur le marché, ce qui favorise un écosystème de drones dynamique et durable, a fait remarquer Partem.
Une partie de ce que développe l’INDI est généralement analogue à ce que fait la CAA avec les aéronefs pilotés, en dirigeant le trafic et en tenant les avions commerciaux à l’écart du chemin de l’armée. Mais le nombre impressionnant de drones, associé au fait qu’ils peuvent décoller et atterrir pratiquement n’importe où et être pilotés par pratiquement n’importe qui, sans parler de la petite taille d’Israël et de son vaste éventail de sites militaires, rend la tâche extrêmement complexe.
La difficulté d’équilibrer les besoins civils de l’INDI et ceux de Tsahal est apparue dès le début de la guerre, le 7 octobre 2023, a déclaré Partem.
« L’un des principaux défis de la création d’une infrastructure civile de drones est de mettre au point un modèle permettant au monde de la défense et au monde civil de cohabiter dans le ciel sans interférer l’un avec l’autre », a expliqué Partem.
« Une fois que la guerre a commencé, cette tension s’est accentuée. »
Lorsque les combats ont commencé, Israël a d’abord interdit la circulation de la plupart des drones, mais a autorisé certains d’entre eux à continuer de voler. La CAA a demandé à l’INDI de lui fournir une image complète de l’emplacement des drones civils encore autorisés à voler et de l’aider à s’assurer qu’ils volent dans des zones et à des altitudes approuvées.
En utilisant les technologies d’identification électronique à distance développées par l’INDI, les autorités voulaient enregistrer et suivre les drones pour s’assurer de leur identité et les empêcher d’interférer avec les activités de l’armée. Pour ce faire, l’INDI a dû rapidement mettre en œuvre un grand nombre des concepts théoriques qu’elle développait.
« Nous devions mettre au point un système permettant d’enregistrer rapidement les nouveaux drones sur le réseau et de les coordonner avec le réseau de l’armée. Cela nécessitait à la fois des capacités en technologie, une réglementation et une capacité à agir rapidement. Cela n’a été possible que parce que nous avions déjà développé l’infrastructure et créé une relation de coopération et de confiance avec le régulateur. »
L’INDI, qui est le fruit d’une collaboration entre l’Autorité de l’Innovation israélienne, le ministère des Transports, la CAA et l’Autorité des transports intelligents, a repris ses activités régulières au printemps suivant, lorsque l’autorité de régulation a rouvert le ciel au public.
« Mais la guerre nous a appris beaucoup de choses sur la manière de rendre notre écosystème plus résilient et plus adaptable à de nouveaux scénarios », a déclaré Partem.
Une pizza dans le ciel
L’objectif principal de l’INDI reste la création d’un réseau de drones commerciaux. L’un des premiers enseignements tirés par l’équipe est que les économies d’échelle sont essentielles pour rendre les livraisons par drone financièrement viables.
Au cours de la première phase d’essais en 2021, par mesure de sécurité, l’INDI n’a été autorisée à tester que des livraisons effectuées par de petits drones dont la charge utile ne dépassait pas 2,5 kilogrammes. L’une de ses premières opérations, la livraison d’une pizza Pizza Hut à un village voisin, a permis d’illustrer le manque de rentabilité de cette méthode si elle n’est pas gérée correctement.
« Pour une entreprise, les coûts induits par la mise en place son propre réseau de livraison et le déploiement une flotte de drones signifient que, dans les premiers temps, chaque vol de drone coûtera des centaines de shekels », a noté Partem.
« Cela ne fonctionne pas si vous ne faites que livrer des plats à emporter. »
L’INDI a également compris que la livraison porte-à-porte est techniquement irréalisable, en raison des problèmes de sécurité et de respect de la vie privée posés par les drones qui tournent autour des immeubles d’habitation. Dans le cadre de l’essai de la pizza, entre autres, les livraisons sont effectuées à des points de dépôt désignés, où elles sont prises en charge par un livreur qui les amène en personne à leur destinataire.
La deuxième phase d’essais, qui a débuté en 2023 grâce à un investissement de 60 millions de shekels de la part du gouvernement et d’organisations privées, s’est fixé des objectifs plus ambitieux, notamment la capacité de transporter des charges plus lourdes, y compris des personnes. Cet été là, elle a testé des taxis aériens – essentiellement des voitures volantes autonomes – pour transporter des passagers et des marchandises lourdes entre des hôpitaux situés dans des zones urbaines comme Jérusalem.
« Il est très probable que les organismes du secteur public, comme les hôpitaux et les commissariats, seront les premiers à adopter les nouvelles technologies », a indiqué Partem.
Elle note qu’au cours de l’année écoulée, un certain nombre de municipalités israéliennes ont commencé à utiliser de nouveaux « drones en boîte » autonomes, capables de se déployer seuls et de surveiller de vastes zones depuis le ciel.
« Mais en fin de compte, tout doit être rentable pour les entreprises », a-t-elle ajouté.
D’autres pays mettent en place ou soutiennent la création d’infrastructures pour les réseaux de drones, notamment les États-Unis, la Suisse, l’Australie, l’Inde et le Brésil. Cependant, Israël est généralement reconnu comme le leader dans ce domaine, a noté Shlomi Kofman, vice-président et chef de la division des collaborations internationales de l’Autorité de l’Innovation israélienne.
« Les procédures et les modèles de législation que nous élaborons sont étudiés et copiés dans le monde entier », a-t-il déclaré.
La deuxième phase d’essais devrait s’achever en avril 2025, et on ne sait pas encore comment le programme se poursuivra après cette date.
« Le budget de l’État a été approuvé la semaine dernière et nous ne savons pas encore où nous en sommes », a déclaré Kofman. « Mais nous sommes convaincus que nous continuerons à travailler pour créer des changements révolutionnaires pour Israël et le monde entier. »
En attendant, l’INDI est toujours engagée dans un processus d’apprentissage, testant des thèses et faisant des erreurs dans l’espoir de parvenir à la bonne formule.
« À chaque phase, nous découvrons de nouveaux défis, puis nous nous efforçons de trouver la solution à chacun d’entre eux », explique Partem.
« Combien d’années les gens ont-ils passé à développer des voitures autonomes ? Tout prend plus de temps que prévu. Il y a beaucoup de questions [encore] en suspens, mais nous sommes là pour essayer de les résoudre. »