Procès Papon : fenêtre historique « unique », selon l’avocat à son origine
Gérard Boulanger, l'avocat qui défendit 27 parties civiles, considère que ce procès a bénéficié "d'une fenêtre de tir" historique unique
Inenvisageable plus tôt sans une prise de conscience suscitée par les procédures Barbie et Touvier, il était impossible plus tard, estime ce défenseur bordelais, qui a consacré 17 ans de sa vie et trois livres à l’affaire.
Qu’est-ce qui a rendu possible le procès Papon, et pourquoi si tard ?
Gérard Boulanger : « Avant les années 1980 ce procès n’était pas possible. Il a fallu plusieurs choses importantes : l’émoi en 1971 après la grâce accordée à l’ex-milicien Paul Touvier (par Pompidou), l’indignation en 1978 aux propos de l’ex-Commissaire aux questions juives Darquier de Pellepoix (« A Auschwitz on n’a gazé que des poux »), et aussi une certaine volonté politique (pour faire extrader Klaus Barbie de Bolivie en 1983).
Mais Barbie, le procès d’un nazi, d’un Allemand, d’un tortionnaire, ça ne gênait personne en France.
Touvier, c’était un petit chef milicien, un antisémite.
Mais Papon ? Un Français, haut fonctionnaire, préfet, député, ministre… On demandait à l’Etat de condamner l’Etat.
Et à cela, l’opinion n’était pas prête.
Donc c’était difficile de juger Papon, mais les autres ont préparé le terrain, il y a une dialectique entre ces procédures pour crimes contre l’humanité. Le fait que les deux autres aient été jugés a fait avancer la prise de conscience, mobilisé les associations.
Ce que les politiques ont saisi : ainsi Chirac avec son discours du Vel d’Hiv en 1995 sur la responsabilité de la France. Le terrain était prêt: l’année suivante, après 15 ans de procédure, Papon était renvoyé aux Assises ».
Quelle image gardez-vous de l’accusé, de sa défense ?
« A 86 ans, Maurice Papon était impressionnant de maîtrise de soi. Pas un lapsus en six mois de procès. Une superbe machine de haut fonctionnaire, avec des interventions en trois parties, trois sous-parties, comme appris à l’Ecole libre de Sciences Po.
Sa défense n’a jamais emprunté au fruste ‘je n’ai fait qu’obéir aux ordres’.
C’était ‘je me suis servi de mon pouvoir administratif pour sauver des gens, sauver ce qui pouvait être sauvé’. Il ne comprenait pas, n’admettait pas d’être jugé. ‘Vous ne pouvez pas me condamner, car je suis résistant’.
Il était droit dans ses bottes, obstiné, un côté de psychorigidité. Et savait retourner les choses, ne visant jamais au hasard : au procureur général qui l’interrogeait sur des arrêtés qu’il avait signés, il lança : ‘j’aurais bien aimé vous voir, Mr le Procureur général, pendant la guerre…' »
Que reste-t-il, vingt ans après de ce procès ?
« C’est le procès d’un ‘crime de bureau’, d’un ‘tueur stylographique’, le seul de ce genre en France sur des crimes contre l’humanité.
Et Papon, haut fonctionnaire signant des arrêtés d’internement de Juifs, mais aussi préfet de police de Paris au moment de la répression des manifestations d’Algériens, de Charonne (1961), était quand même emblématique à un point pas possible…
C’était aussi une fenêtre de tir unique : avant ce n’aurait pas été possible, et après il ne restait plus beaucoup d’acteurs en vie de toute façon.
Sur le leg, j’avais plaidé à l’époque qu’après le verdict, l’Histoire de France ne serait plus la même, aurait été bougée.
Cela a pu être le cas après coup, aujourd’hui je ne suis pas sûr. Car depuis, même s’il reste de la mémoire, on vit une drôle d’époque où un événement chasse l’autre. Et je serais curieux de voir une enquête sur ‘Qu’évoque pour vous le nom de Papon ?’ J’aurais peur d’être déçu ».