Qui possède le journal d’Anne Frank ?
A l'occasion de son 87ème anniversaire, des nouvelles de la dernière des incarnations commerciales des victimes de l'Holocauste
Mondialement connu pour avoir prouvé que les « journaux » écrits par Jack l’éventreur et Adolf Hitler étaient des faux, Kenneth W. Rendell a collectionné les artefacts de la Seconde Guerre mondiale depuis 1959. Son musée de la Seconde Guerre mondiale à la périphérie de Boston contient plus de 10 000 pièces, mais un objet appartenant à la plus célèbre victime d’Hitler échappait encore à l’historien – jusqu’au mois dernier.
Dans ce qui fut l’enchère d’une vie pour Rendell, le fondateur du musée, âgé de 72 ans, a payé 50 000 $ pour une édition allemande des contes de Grimm ayant appartenu à Anne Frank, laquelle avait inscrit son nom et celui de sa sœur, Margot, sur une page à l’intérieur. Le livre avait été laissé derrière elle dans l’appartement familial d’Amsterdam lorsqu’ils partirent se cacher en juillet 1942, et sa provenance inclut une note de 1977 d’Otto Frank, le père de l’auteure.
Ayant manqué l’opportunité d’acquérir un objet ayant appartenu à Anne Frank, Rendell a expliqué être entré déterminé dans la vente aux enchères, voulant obtenir le livre pour son musée, où il va rejoindre d’autres pièces et lettres ayant appartenu à des membres de la famille et à des amis de Frank, en même temps qu’une première édition
« extrêmement rare » du journal avec la jaquette intacte.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Vous regardez quelque chose de très personnel lorsqu’on parle de ce livre que nous avons acquis, » a confié Rendell dans un entretien avec le Times of Israël. « Elle était très jeune et je pense que ça pourrait être perdu dans l’histoire – qu’elle était juste une jeune fille qui a été prise dans des temps terribles, » a ajouté Rendell, dont le musée est largement reconnu comme possédant la plus solide collection sur la Seconde Guerre mondiale de tout le pays.
Le livre de contes de fées des sœurs Frank va rejoindre des objets ayant appartenu à Oscar Schindler, Raoul Wallenberg, et d’autres associés avec le sort terrible des juifs d’Europe pendant la Shoah, de même que des pièces du quotidien utilisées par des criminels nazis et par leurs victimes.
Captivé par Anne Frank depuis des décennies, Rendell possède également une lettre d’Otto Frank à propos de la publication du journal, et une autre lettre d’Alice Stern Frank, la grand-mère d’Anne, à propos de la mort de ses petites-filles.
Il est peut-être unique dans son pouvoir d’achat et sa protection académique, mais Rendell est l’un des nombreux enthousiastes cherchant une connexion personnelle à Anne Frank, qui aurait eu 87 ans ce dimanche.
Avec un tas de nouveaux films, pièces de théâtre et attractions touristiques, l’héritage du journal est tout sauf statique. Cependant, planant au-dessus de toutes ces retombées créatives, il existe une méta-question : qui possède le journal d’Anne Frank ?
Une dispute sans fin ?
Beaucoup pensaient que les écrits de Frank entreraient dans le domaine public en janvier de cette année, 70 ans après sa mort à Bergen Belsen. Mais le Fonds Anne Frank à Basel – l’héritier universel et successeur légal d’Otto Frank – a délivré un « avertissement préalable » aux éditeurs, contre l’impression du livre. En citant Otto Frank comme le co-auteur du journal de sa fille, le Fonds s’offre du répit avant la chute du journal dans le domaine public : ii faudra attendre 70 ans après la mort d’Otto Frank, en 1980.
A cause d’une série de lois sur le droit d’auteur dans l’Union européenne et la publication de multiples versions du journal, le Fonds a pu sécuriser une protection des écrits de Frank dans de nombreux tribunaux.
Par exemple, parce que les versions appelées A et B du journal ne furent pas publiées avant 1986, le Fonds peut les empêcher de tomber dans le domaine public avant 2036, soit 91 ans après la mort d’Anne Frank. Utilisant un procédé controversé, le « blocage géographique », le Fonds a aussi pu empêcher l’apparition du journal sur Internet dans la plupart des pays européens, causant des réactions virulentes.
« Etant donné qu’Otto Frank a passé des années à prouver que le journal d’Anne Frank était le travail original de sa fille et de personne d’autre, et que, oui, il était l’éditeur mais rien de plus, je suis outré par le fait que le Fonds ait simplement considéré de placer Otto comme co-auteur », a déclaré Melissa Muller, auteure d’une biographie fondatrice d’Anne Frank publiée en 1998 et révisée il y a trois ans.
« Le Fonds s’est assuré un futur confortable il y a un certain temps, en renouvelant des contrats avec ses partenaires éditoriaux principaux, qui ont rendu plusieurs très bonnes versions du journal disponibles à long terme », a expliqué Muller au Times of Israel. « Cela devrait financer les activités du Fonds pour ‘protéger’ Anne Frank grâce à des projets significatifs, même dans le futur, avec nul besoin de chercher des vides juridiques. »
Depuis 1963, le Fonds a donné ou refusé des milliers de licences pour l’utilisation du journal d’Anne Frank, de ses nouvelles et d’autres écrits. Un Conseil honorifique et bénévole dirige la fondation suisse, et tous les droits d’auteur sont utilisés selon les conditions édictées par Otto Frank, notamment le paiement des frais de santé des personnes ayant aidé des Juifs pendant la guerre. De son point de vue, le Fonds « fait en sorte que Anne Frank reste Anne ».
Des critiques ont cependant accusé le Fonds de pratiquer de « fausses copies ».
Le bien-aimé musée de la maison d’Anne Frank à Amsterdam est depuis longtemps une cible du Fonds, notamment avec des disputes sur la propriété des documents de la famille Frank et des photographies possédées par le musée.
Et les contours du prochain affrontement se dessinent : le musée prépare une « version élaborée du journal pour Internet ». Ce projet aidera les utilisateurs à établir des connexions entre l’histoire de Frank et la tragédie des Juifs néerlandais en général, et pourra aussi mettre en valeur des références culturelles dans le texte de Frank.
Contacté par le Times of Israel, Yves Kugelmann, depuis longtemps membre du Conseil, a réitéré la position de son organisation sur le problème du domaine public, comme expliqué sur leur site Internet.
Kugelmann était récemment en visite en Israël pour la première de « ANNE », une production théâtrale financée par le Fonds et qui a été jouée pendant deux ans dans un théâtre construit sur mesure à Amsterdam. Après une rapide incursion le mois dernier, la pièce en hébreu a été jouée pour la première fois au théâtre Cameri de Tel Aviv.
Comme la production “ANNE”, le film Le Journal d’Anne Frank sorti ce printemps en Allemagne utilise largement les mots du journal de Frank, ces mêmes mots qui ne peuvent paraître sur Internet. Pour le film en langue allemande, les producteurs ont décidé d’utiliser le journal de Frank comme des discours adressés à l’audience, pour « poser la question de l’identité d’Anne », explique le réalisateur Hans Steinbichler.
Mais, selon Muller, la biographe de Frank, le premier film sur Anne Frank réalisé en Allemagne était « une grande déception, une occasion manquée ».
« Raconter une histoire est beaucoup plus puissant que raconter l’Histoire », explique Muller. « Mais les réalisateurs du film sont restés coincés dans de vieux modèles, ils n’ont pas trouvé une approche convaincante pour l’audience d’aujourd’hui et n’avaient rien à ajouter à une histoire qui a déjà été racontée de nombreuses fois », ajoute-t-elle à propos du film.
En tant que jeune fille de 15 ans vivant dans la clandestinité, Anne Frank avait développé une fierté d’être juive, ainsi qu’un appétit pour les langues étrangères et la connaissance du monde, tirant son inspiration des expériences de son père avant son mariage, dans l’armée allemande et à New York. Depuis la publication de son journal, l’héritage d’Anne Frank a été utilisé pour toutes les causes possibles et inimaginables, inquiétant certains critiques qui craignent une dissolution des leçons de la Shoah et de l’identité juive d’Anne Frank.
“Anne Frank venait d’une famille qui se plaçait dans une tradition loyale à ses racines comme à la destinée commune de l’humanité, de paix et de justice”, conclut Muller.
« Si cela peut être accepté comme définition pour le mot ‘universalisme’, alors Anne Frank – une personne indépendante d’esprit qui ne voulait pas abandonner son identité juive et, en même temps, croyait en son ‘émancipation individuelle’ – est un exemple d’universalisme dans le sens le plus positif. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel