Qui va obtenir justice pour Alberto Nisman ?
Menacé de mort dans le passé, l'enquêteur courageux, qui a prouvé que l'Iran avait ordonné l'attentat contre l'AMIA en 1994, le pire acte de terrorisme jamais mené en Argentine, a été retrouvé mort à son domicile de Buenos Aires
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le 14 août 1993, à Mashad, la deuxième plus grande ville de l’Iran, le « Comité des opérations spéciales » de la direction iranienne ou « Comité Vijeh Omure », s’est réuni pour discuter de ses problèmes en cours avec l’Argentine – et en particulier le flamboyant président, Carlos Menem.
En réorientant la politique de l’Argentine, et en rapprochant son pays de l’Occident et d’Israël, Menem, qui était natif de Syrie, avait rompu le partenariat jusqu’ici fructueux entre Buenos Aires et Téhéran sur toutes les questions nucléaires, d’abord en suspendant puis en mettant fin à la formation des techniciens nucléaires iraniens en Argentine et au transfert de technologie nucléaire vers l’Iran.
L’Iran avait brutalement manifesté sa colère face à la trahison de Menem en 1992, quand il a organisé l’attentat contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires, dans lequel 29 personnes ont été tuées.
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La réunion d’août 1993 a décidé qu’une nouvelle attaque terroriste sur le pays de Menem était nécessaire. Un « diplomate » iranien basé à Buenos Aires, Mohsen Rabbani, avait constitué une liste de trois cibles potentielles. L’AMIA, l’immeuble à plusieurs étages de bureaux de la communauté juive, a été la première des trois à être discutée, et la proposition a été approuvée.
Un acte d’accusation de 2006 sur l’affaire cite le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, à la tête du conseil, et dit que la décision finale d’attaquer le centre AMIA a été faite par Khamenei et le président d’alors Ali Akbar Hashemi Rafsanjani.
Imad Mughniyeh, le chef terroriste du Hezbollah régulièrement chargé de planifier de telles atrocités, a été transporté ensuite par avion du Liban vers l’Iran et des instructions pour coordonner l’attentat lui ont été transmises.
Un militant du Hezbollah nommé Ibrahim Berro – le quatrième de cinq frères et sœurs d’une famille libanaise ayant une longue implication dans la violence contre Israël – a été choisi pour commettre l’attentat-suicide.
Ainsi le 18 juillet 1994, Berro a foncé avec une camionnette blanche Renault Trafic remplie d’explosifs sur le bâtiment de l’AMIA, le détruisant. Tout l’immeuble de sept étages s’est effondré, 85 personnes ont été tuées et plusieurs centaines d’autres ont été blessées.
Nous savons tout cela grâce au travail d’enquête d’un homme infatigable, Alberto Nisman, qui, il y a 10 ans, a repris l’enquête sur l’attentat. C’était Nisman qui a réuni les preuves – depuis cette réunion de la direction iranienne de Mashad – de ce qui reste le pire attentat terroriste perpétré en Argentine.
Les conclusions de Nisman étaient si définitives et convaincantes qu’Interpol a placé les principaux conspirateurs iraniens, ainsi qu’Imad Mughniyeh, sur sa liste de surveillance internationale, imposant aux pays membres d’aider à leur arrestation et à leur extradition.
Sur cette « liste rouge » d’Interpol on trouvait l’ancien ministre de la Défense iranien Ahmad Vahidi et l’ancien candidat à la présidentielle Mohsen Rezai.
Résolu et déterminé, Nisman a également cherché à soumettre Menem à la justice pour avoir couvert le rôle de l’Iran dans l’explosion de l’AMIA.
Nisman, spécialiste du terrorisme, a interviewé l’ancien président quelques jours après l’attentat contre l’AMIA, alors qu’il s’était juré de suivre toutes les pistes, il a aussi dit qu’il craignait pour sa propre vie et qu’il se savait désormais en danger.
L’enquête qu’a ordonnée Menem a été qualifiée de « honte nationale » par le président Nestor Kirchner, sous lequel Nisman a été nommé.
La semaine dernière, Nisman a affirmé que la présidente argentine actuelle, Cristina Fernández de Kirchner (la veuve de Nestor), et son ministre des Affaires étrangères Héctor Timerman, avaient contribué à couvrir la participation de l’Iran dans l’attaque. Il a dit qu’il cherchait à les interroger sur le scandale.
Lors de sa première visite en Israël il y a sept ans, Nisman, un Juif non pratiquant, m’a dit qu’il avait été mis en garde par l’Iran à propos de l’affaire AMIA. Il avait reçu des menaces de mort, dont une enregistrée sur le répondeur téléphonique de son domicile qui l’avait particulièrement troublée parce que sa fille était à côté de lui quand il l’a écoutée.
Dans une de mes conversations téléphoniques ultérieures avec lui, il a déclaré que les Iraniens lui avaient dit – lors des audiences au cours desquelles ils demandaient en vain de blanchir leurs dirigeants incriminés par Interpol – qu’il avait calomnié leur nation, que sa capture serait requise, et qu’il passerait des années dans les prisons iraniennes.
Comme je l’ai écrit à l’époque, Nisman ne semblait pas particulièrement troublé par ces menaces, et déclarait avec légèreté qu’il n’avait aucune intention de visiter la République islamique. Il a également juré qu’il ne cesserait pas son travail sur l’affaire jusqu’à ce que les auteurs et les instigateurs soient jugés, condamnés et emprisonnés.
Alberto Nisman a été retrouvé mort dimanche dans une mare de sang, avec une blessure par balle à la tête, à son domicile de Buenos Aires.
C’était quelques heures après la mort de Jihad, le fils d’Imad Mughniyeh, qui avait suivi les traces sanglantes de son père, dans une frappe israélienne sur le côté syrien du plateau du Golan. Et c’était quelques heures avant que Nisman devait témoigner devant une commission du Congrès argentin sur ses dernières allégations contre la présidente Kirchner.
Après avoir entendu les informations lundi matin, je ne pouvais m’empêcher de me rappeler ce que Nisman m’a dit en juillet 2013 : Téhéran avait mis sur pied des réseaux terroristes stratégiques à long terme prêts à être utilisés « à chaque fois qu’on aura besoin d’eux ».
Il y a 26 ans, 270 personnes ont été tuées lorsqu’une bombe a explosé à bord du vol PanAm 103 au-dessus de Lockerbie, en Ecosse – le pire acte de terrorisme jamais mené sur le territoire britannique.
Une enquête très imparfaite a finalement conduit à la condamnation très controversée d’un seul agent de renseignement libyen de bas niveau, et n’a jamais vu les instigateurs traduits en justice. Ce dont l’enquête sur Lockerbie manquait manifestement, c’était un procureur avec le cerveau et les tripes d’Alberto Nisman.
J’ai parlé pour la dernière fois avec Nisman il y a un an et demi, quand il a répondu à une série de fausses informations qui prétendaient alors que le président iranien Hassan Rohani avait été présent à cette réunion d’août 1993, lorsque l’attentat contre l’AMIA a été décidé.
Rouhani était en effet à l’époque un membre du Conseil de sécurité nationale de l’Iran, mais « selon les témoignages, » d’après Nisman, il ne siégeait pas au conseil quand celui-ci « traitait d’activités extra-légales … sous le nom de« Comité des opérations spéciales ». Nisman avait l’intention de clarifier le point, soulignant en outre que « rien ne prouve, selon le dossier de l’AMIA, la participation de Hassan Rouhani dans une quelconque attaque terroriste ».
Nisman était un homme déterminé à suivre les faits, et engagé à faire toute la justice. Lorsque Imad Mughniyeh a été tué, apparemment par Israël, dans une voiture piégée à Damas en février 2008, il m’a dit qu’il ne ressentait aucune peine vis-à-vis de la mort du chef terroriste, mais qu’il n’avait pas non plus le sentiment que justice avait été faite.
Ce qui semble le plus tragique dans la mort d’Alberto Nisman à Buenos Aires cette semaine, la mort d’un brave qui était au service de la justice, un honnête homme qui ne s’est pas laissé découragé, c’est qu’il n’y aura personne avec un calibre et des tripes comparables aux siennes pour garantir que justice lui sera faite.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel